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Le Printemps du football arabe

Elles ne se sont pas forcément qualifiées pour les huitièmes de finale mais se sont distinguées face à de grandes nations de football. Les équipes nationales arabes commencent à récolter les fruits de choix faits en amont
Mercredi 30 novembre à Doha. La Tunisie est éliminée de la Coupe du monde mais gagne 1 à 0 contre la France sur un but du n°10 tunisien Wahbi Khazri (AFP/Miguel Medina)
Mercredi 30 novembre à Doha. La Tunisie est éliminée de la Coupe du monde mais gagne 1 à 0 contre la France sur un but du n°10 tunisien Wahbi Khazri (AFP/Miguel Medina)
Par Nazim Bessol à DOHA, Qatar

En accueillant la 22e édition de la Coupe du monde, la première à avoir lieu dans un pays arabe et au Moyen-Orient, le Qatar n’a jamais caché sa volonté de lui donner une dimension arabe.

Une volonté affichée et affirmée par l’émir du Qatar lui-même, Tamim ben Hamad al-Thani, lors de la cérémonie d’ouverture. « Au nom de Dieu le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux, du Qatar, la patrie des Arabes, je souhaite la bienvenue à tout le monde à l’occasion de la Coupe du Monde 2022 », a lancé le souverain au stade al-Bayt (la maison) qui affichait complet le 20 novembre. Une enceinte ultra-moderne inspirée des tentes traditionnellement utilisées par les peuples nomades du Qatar et de la région du Golfe.

Dimanche 27 novembre, à Doha. Le défenseur marocain Achraf Hakimi (à droite) est félicité par sa mère aux côtés du milieu de terrain Abdelhamid Sabiri (à gauche) après la victoire du Maroc contre la Belgique (AFP/Fadel Senna)
Dimanche 27 novembre, à Doha. Le défenseur marocain Achraf Hakimi (à droite) est félicité par sa mère aux côtés du milieu de terrain Abdelhamid Sabiri (à gauche) après la victoire du Maroc contre la Belgique (AFP/Fadel Senna)

Si al-Anabi (surnom de l’équipe du Qatar), champion d’Asie en 2019, n’a pas été à la hauteur des attentes, les trois autres formations arabes – l’Arabie saoudite, le Maroc et la Tunisie – ont, elles, montré un tout autre visage.

Qualifié d’office en tant que pays hôte, le Qatar aurait certainement pu mieux faire s’il avait mieux négocié son entrée en la matière. Tétanisés lors du match d’ouverture, les hommes de l’Espagnol Félix Sánchez Bas ont enregistré trois défaites, lors des trois matchs de la phase de groupe.

Battu par l’Équateur (2-0), puis par le Sénégal (1-3) et enfin par les Pays-Bas, le onze national du Qatar quitte « sa » compétition sans avoir enregistré le moindre point. Jamais une nation hôte n’a perdu ses trois matches.

La révolte des Arabes

Un crash amorti dès le troisième jour de la compétition par l’Arabie saoudite. Les « Faucons » beaucoup plus aguerris, plus expérimentés – il s’agit de leur sixième participation en Coupe du monde –, ont fait sensation le 22 novembre en battant l’ogre argentin avec son septuple ballon d’or Lionel Messi (2-1).

Les hommes du technicien français Hervé Renard, 54 ans, champion d’Afrique en 2012 avec la Zambie, la Côte d’Ivoire en 2015 et mondialiste en 2018 avec le Maroc, ont sonné la révolte des Arabes.

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Une victoire célébrée durant des jours dans tout le monde arabe, dont on se souviendra sans doute plus que de leur élimination avant les huitièmes de finale face au Mexique (2 à 1) mercredi 30 novembre, et qui a surtout montré la voie aux équipes « sœurs » et même au-delà.

Tout le monde, particulièrement les « petites » équipes, s’est inspiré de cet exploit pour aborder ce tournoi. De Félix Sánchez  à Walid Regragui, le sélectionneur du Maroc, en passant par Rigobert Song, celui du Cameroun, tous ont été unanimes pour saluer la performance de l’Arabie saoudite et la citer en exemple.

Avant d’aborder le second match des Lions de l’Atlas face à la Belgique d’Eden Hazard et de Kevin De Bruyne, le technicien marocain n’a pas hésité à rappeler que son équipe devait s’inspirer de ce qu’avait fait l’Arabie saoudite.

Un exemple suivi à la lettre puisque les coéquipiers de Hakim Ziyech ont accroché les Diables rouges à leur tableau de chasse.

Cinq jours après la victoire de l’Arabie saoudite sur l’Argentine, le Maroc, qui avait joué d’égal à égal face au vice-champion du monde en titre, la Croatie, lors du premier match (0-0), s’imposait devant la Belgique et entrevoit désormais les huitièmes de finale.

Enfin, le troisième représentant arabe, la Tunisie, n’est pas en reste. Bien qu’éliminée après une victoire contre la France mercredi 30 novembre (1-0), les Aigles de Carthage n’ont pas flanché face à des adversaires réputés difficiles à jouer.

« La victoire surprise de l’Arabie saoudite face à l’Argentine a été un élément déclencheur pour les autres équipes »

- Waël Gomaa, ancien capitaine des Pharaons d’Égypte

Les hommes de Jalal Kadri se sont aussi illustrés en imposant le partage des points à la robuste équipe du Danemark, avant de s’incliner par la plus petite marge face à l’Australie (1-0), une défaite qui leur coûte leur place en huitièmes de finale malgré leur victoire à l’arrachée contre les Bleus.

Des résultats jamais enregistrés par les représentants des pays arabes en Coupe du monde.

Interrogé sur cette belle dynamique des ambassadeurs arabes au Qatar, l’ancien capitaine des Pharaons d’Égypte, Waël Gomaa, triple champion d’Afrique (2006, 2008, 2010), affirme qu’elle est aussi due à la victoire de l’Arabie saoudite face à un des grands favoris pour le sacre final, l’Argentine.

« La victoire surprise de l’Arabie saoudite face à l’Argentine a été un élément déclencheur pour les autres équipes, notamment les pays présents ici. Elle leur a donné beaucoup d’espoir et de la détermination », explique à Middle East Eye l’ancien Pharaon, rencontré à Doha quelques heures avant le coup d’envoi des matchs de la soirée.

Incubateurs

Plus que l’exploit ou le one shot, c’est la maîtrise et la répétition des matches de haut niveau que démontrent les « petites » nations, et notamment les équipes arabes, qui interpelle.

Une lecture confortée par le sélectionneur des champions d’Afrique 2022, Aliou Cissé.

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« L’objectif est de faire comme le Maroc, que nous félicitons. C’est une très belle victoire contre la Belgique. Cela peut être une source d’inspiration pour nous dans la mesure où il nous faudra impérativement gagner », expliquait le technicien sénégalais en conférence de presse, avant d’affronter l’Équateur pour le compte de la troisième journée du groupe A.

Mais si les résultats du voisin ou du pays frère en terre arabe constituent à coup sûr une source de motivation supplémentaire, ils ne sauraient en être la seule explication.

Il y a bien évidement un gros travail en amont et des choix qui finissent par porter.

Dans le cas du Qatar, le pays hôte a opté pour une sorte d’incubateur de talents regroupés à longueur d’années et qui ont grandi ensemble, dans un encadrement qui est resté le même, sous la conduite du même coach.

Son apogée aura été le titre asiatique en 2019 et une demi-finale de Coupe arabe de la FIFA en 2020. Un palmarès insuffisant pour gravir la marche suivante.

L’Arabie saoudite elle, a opté pour « le sorcier blanc » Hervé Renard, qui est venu apporter toute son expérience dans la gestion d’un groupe et des tournois.

L’homme à la chemise blanche n’est pas parti du néant mais a perfectionné une organisation déjà existante et apporté une rigueur qui a souvent manqué à l’Arabie saoudite, une habituée de la Coupe du monde (dont c’est la quatrième participation consécutive).

Dans le cas du Qatar, le pays hôte a opté pour une sorte d’incubateur de talents regroupés à longueur d’années et qui ont grandi ensemble, dans un encadrement qui est resté le même, sous la conduite du même coach

Concernant les deux représentants maghrébins, la Tunisie et le Maroc, ils ont choisi, comme l’Algérie championne d’Afrique 2019, de miser sur la compétence issue de sa diaspora, notamment les joueurs.

Au Qatar, 16 % des joueurs présents portent les couleurs d’un pays qui n’est pas celui de leur lieu de naissance. Avec quatorze joueurs porteurs d’une autre nationalité, le Maroc est la sélection avec le plus de joueurs nés et formés hors du royaume. Il est suivi par la Tunisie, qui en compte onze.

Mais en plus de cet apport, la qualité des techniciens à la tête de ces sélections et la maîtrise de l’environnement et des codes sont tout aussi capitales.

En effet, depuis 2004 et le changement de nationalité sportive de l’Algérien Antar Yahia, premier joueur à bénéficier des nouvelles dispositions de la FIFA (autorisant un joueur ayant porté les couleurs d’un pays en catégories jeunes à en porter une autre une fois senior), nombreux sont les sélectionneurs locaux ou étrangers qui se sont succédé à la tête des équipes nationales au Maghreb.

Peu ont réussi à marquer leur passage, à l’exception du Français Roger Lemerre, vainqueur de la CAN 2004 avec la Tunisie devant le Maroc entraîné par la légende Badou Zaki.

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Vahid Halilhodžić a réussi à hisser l’Algérie en huitièmes de finale de la Coupe du monde 2014 au Brésil avant de qualifier le Maroc pour l’édition actuelle, alors qu’Hervé Renard avait fait de même en 2018 avec les Lions de l’Atlas.

Depuis 2019 et le sacre de l’Algérie de Djamel Belmadi en Coupe d’Afrique en Égypte, devant le Sénégal d’Aliou Cissé, la priorité est donnée aux jeunes coachs locaux ou aussi issus de la diaspora.

La métamorphose du Maroc en un temps record sous la conduite de Vahid Halilhodžić en est la parfaite illustration. Les joueurs de la nouvelle génération habitués à un certain mode de fonctionnement en club le retrouvent aujourd’hui en grande partie en sélection : à présent, les grandes fédérations africaines et arabes offrent presque le même standing que les clubs européens.

Finis les entraîneurs au discours paternaliste, les entraîneurs à l’ancienne : ces joueurs ont aujourd’hui affaire à des coachs qui parlent le même langage qu’eux avec une folle envie de hisser haut les couleurs du pays.

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