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Craintes d’une « guerre civile kurde » alors qu’Ankara soutient une nouvelle faction kurde en Syrie

Les « Petits-fils de Saladin », qui affirment être soutenus par Ankara et armés par les États-Unis, se disent prêts à combattre à la fois l’État islamique et leurs compatriotes kurdes pour gagner du territoire
Un combattant des YPG aux commandes d’une mitrailleuse sur pivot dans la province d’Hassaké, dans le nord-est de la Syrie (AFP)

ERBIL, Irak – La Turquie soutient une nouvelle faction kurde au sein de l’Armée syrienne libre pour que celle-ci reprenne du territoire au groupe État islamique et empêche les kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) de s’emparer de davantage de terres le long de la frontière turque.

Le groupe, connu sous le nom de « Petits-fils de Saladin », d’après le célèbre chef kurde musulman du XIIe siècle, a déjà capturé plusieurs villages de la région frontalière contrôlée par l’État islamique entre Jarablus et Azaz suite à des attaques d’artillerie et à des frappes de missiles de la Turquie. En réponse, l’État islamique a frappé plus tôt ce mois-ci la ville turque de Kilis, tuant deux civils.

Mais les menaces d’attaques contre les YPG à moins que ces derniers ne se retirent du territoire pris aux rebelles de l’opposition lors d’une avancée des forces pro-gouvernementales dans le nord de la Syrie le mois dernier ont alimenté les craintes d’une possible « guerre civile kurde ».

Mahmoud Abou Hamza, commandant des Petits-fils de Saladin basé en Turquie, a déclaré à Middle East Eye que le groupe était soutenu par les États-Unis et la Turquie et se considérait comme une partie de la coalition internationale qui combat l’État islamique.

« La Turquie ne nous soutient pas avec des armes. Nos armes sont américaines », a-t-il affirmé.

Hamza a précisé que le groupe comptait environ 600 combattants principalement originaires de la ville d’Afrin et des villages à majorité kurde de la province syrienne d’Alep.

Un groupe du même nom a précédemment combattu dans cette zone en 2013, mais celui-ci a été démantelé et ses combattants ont rejoint d’autres groupes rebelles.

Pourtant, Hamza a indiqué que le groupe s’était reformé pour affronter les YPG, qu’il a accusées d’être dans le camp du gouvernement syrien et d’attiser les tensions entre les Kurdes et les Arabes.

« Les Kurdes d’Afrin sont notre peuple et nous ne permettrons à personne de se servir d’eux pour défendre le régime. Ce n’est pas parce que ce sont des Kurdes, mais parce que ce sont des agents du régime et des Russes », a-t-il soutenu.

« Ils [les YPG] sont contre les Kurdes. Ces groupes tentent de déclencher une guerre sectaire entre les Arabes et les Kurdes et cela ne se produira pas parce que nous ne le permettrons pas. Si les YPG ne se retirent pas de Tal Rafat et de la base aérienne de Menagh, nous les combattrons dans la zone entre Jarablus et Azaz [une zone actuellement contrôlée par l’État islamique]. »

« Ce sera le début de la libération du reste des régions kurdes. Daech sera très bientôt expulsé de cette région et sera expulsé de toute la Syrie », a-t-il ajouté, en utilisant l’acronyme arabe de l’État islamique.

Les forces des YPG et les Forces démocratiques syriennes arabes (FDS), toutes deux soutenues par les États-Unis, ont profité des frappes aériennes russes et d’une avancée des forces pro-gouvernementales pour prendre le mois dernier des territoires à des groupes rebelles rivaux, dont la base aérienne de Menagh, permettant aux Kurdes d’élargir leur enclave autour d’Afrin.

Le fédéralisme, « revendication majeure »

Les YPG contrôlent également une enclave autour de Kobane, plus à l’est le long de la frontière turque, et ambitionnent de prendre la bande frontalière Azaz-Jarablus à l’État islamique pour créer une région fédérale kurde étendue.

Mercredi, les Kurdes syriens se sont rencontrés dans la ville de Ramalan pour discuter de la création d’une nouvelle région fédérale, alors que le fédéralisme est l’un des sujets de discussion des pourparlers de paix qui se déroulent actuellement à Genève.

« Le fédéralisme est la revendication majeure des Kurdes en Syrie. Toutes les mesures ont été prises dans ce but et il est désormais temps de le déclarer », a indiqué à MEE Idris Nassan, responsable kurde local.

La Turquie est toutefois farouchement opposée à la création d’une région kurde fédérale en Syrie et pilonne les YPG tout en soutenant les groupes rebelles de l’opposition dans le nord d’Alep pour stopper la progression de cette force.

La Turquie accuse les YPG d’avoir des liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et a affirmé ce mardi que les YPG avaient formé l’auteur de l’attentat perpétré ce lundi à Ankara, qui a tué au moins 37 personnes. Les YPG ont nié auparavant tout lien avec les attentats en Turquie.

« En ce qui concerne les explosions en Turquie, nous ne savons pas qui est à l’origine de celles-ci et nous condamnons les attaques terroristes qui ciblent des civils », a déclaré Salih Muslim, le chef du Parti de l’union démocratique syrien (PYD), la branche politique des YPG, lors d’une conférence organisée ce mercredi à l’université américaine de Sulaimani, dans la région kurde semi-autonome d’Irak.

« Certains partis turcs soutiennent que le Rojava [les YPG] a perpétré ces explosions, mais nous rejetons ces spéculations. »

Des analystes ont indiqué à MEE que la reconstitution des Petits-fils de Saladin semblait laisser entendre que les États-Unis et la Turquie étaient prêts à soutenir d’autres groupes que les YPG dans la lutte contre l’État islamique.

« L’attention récemment accordée à cette organisation est clairement destinée à démontrer qu’une force kurde autre que les FDS et acceptable pour la Turquie peut faire partie de la campagne contre l’État islamique », a expliqué Nicholas A. Heras, chercheur spécialiste du Moyen-Orient au Centre for a New American Security (CNAS), basé à Washington.

« Cette organisation se comprend mieux comme une tentative de la Turquie de mettre sur pied une force par procuration kurde en Syrie. La Turquie est prête à envisager une force kurde qui puisse faire partie de cette équation, mais celle-ci doit être opposée au PKK », a-t-il ajouté.

Galip Dalay, chargé de recherche principal sur la Turquie et les affaires kurdes au Centre d’études d’Al Jazeera, a également indiqué à MEE qu’Ankara était prêt à soutenir une force kurde dans la lutte contre l’État islamique à condition que celle-ci s’oppose également aux ambitions militaires et politiques des YPG.

La guerre civile, une « ligne rouge »

Des questions demeurent toutefois quant à l’étendue du soutien des États-Unis aux Petits-fils de Saladin, des responsables américains ayant nié le fait que le groupe aurait reçu des armes de la part des États-Unis.

« Après vérification avec nos forces qui assurent la mission "Advise and assist" auprès de l’opposition syrienne examinée minutieusement dans la zone de Marea, ces dernières ne connaissent pas les Petits-fils de Saladin », a affirmé à MEE le colonel américain Christopher Garver, porte-parole de la coalition contre l’État islamique, se référant à la zone frontalière du nord de la Syri, où les États-Unis soutiennent les YPG dans la lutte contre l’État islamique avec des frappes aériennes.

« Aucun groupe portant ce nom ne reçoit de munitions des États-Unis », a-t-il ajouté.

Compliquant davantage la situation, le Gouvernement régional du Kurdistan dans le nord de l’Irak a également formé environ 3 000 combattants peshmergas kurdes syriens pour qu’ils rejoignent la bataille contre l’État islamique en Syrie, uniquement pour voir leur retour au pays être bloqué par les YPG face à des craintes de luttes intestines entre groupes kurdes rivaux.

Le Conseil national kurde syrien (CNK), qui fait partie du bloc d’opposition syrien, a tenté de convaincre les YPG et leur branche politique, le Parti de l’union démocratique (PYD), de laisser les combattants entrer en Syrie sur la base d’accords visant à empêcher les combats entre groupes kurdes rivaux.

Bahjat Bashir, membre du CNK qui participe aux pourparlers de Genève au sein de l’opposition syrienne, a néanmoins reconnu que cela n’a eu aucune influence sur les Petits-fils de Saladin.

« Notre ligne rouge est une guerre civile kurde, a affirmé Bashir. Toutefois, nous n’avons aucune relation avec la brigade de Saladin, mais uniquement avec les peshmergas du Rojava. »

L’agence de presse Hawar News Agency, soutenue par les YPG, a pour sa part accusé le CNK de soutenir les attaques des groupes épaulés par les Turcs contre les YPG et les civils kurdes à Alep.

Le CNK a cependant rejeté ces allégations.

« Nous ne soutenons le bombardement de civils par aucune force en général. Personne ne peut dire que le CNK soutient le bombardement de son propre peuple », a déclaré Bashir.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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