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Dans la Ghouta orientale, « les hôpitaux débordent de sang »

Au moins 335 civils ont perdu la vie dans les bombardements effectués par le gouvernement syrien contre l’enclave rebelle assiégée depuis dimanche. Des attaques qui visent les civils et les hôpitaux, d’après les médecins de la zone
Un enfant est soigné dans un hôpital de la Ghouta orientale mardi. La zone est en état de siège depuis 2013 (AFP)

Les médecins de la Ghouta orientale ont de grandes difficultés à faire face à l’afflux de personnes blessées dans l’offensive du gouvernement syrien, laquelle, affirment-ils, a pour cibles les civils et les hôpitaux.

Au moins 335 personnes ont été tuées et plus de 1 400 autres blessées depuis le début, dimanche dernier, de la campagne dévastatrice de bombardements menée par les forces gouvernementales contre la Ghouta orientale, seule zone tenue par les rebelles près de Damas. Jeudi matin, treize autres civils, dont trois enfants, ont été tués par de nouveaux bombardements, selon l’Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).  

Mercredi soir, l’ambassadeur de la Russie à l’ONU, Vasily Nebenzya, a appelé le Conseil de sécurité à se réunir ce jeudi pour discuter de la situation.

« Quand le régime attaque un abri, c’est une pression énorme parce que nous traitons quinze à vingt personnes à la fois »

- Dr. Malik

« Cela est nécessaire, compte tenu des préoccupations que nous avons entendues aujourd’hui, afin de s’assurer que toutes les parties puissent présenter leur vision, leur compréhension de cette situation et trouver des moyens d’en sortir », a déclaré le diplomate russe.

Outre les frappes aériennes et les bombardements, des secouristes et résidents de la zone ont déclaré à Middle East Eye que le gouvernement avait largué des bombes-barils sur les quartiers résidentiels, des affirmations appuyées par des photos postées sur les réseaux sociaux.

Un homme transporte un garçon blessé hors des décombres d’un bâtiment bombardé dans la ville rebelle assiégée de Hamouriyeh, dans la Ghouta orientale (Reuters)

Alors que les bombes pleuvent et que les fournitures médicales sont déjà presque totalement épuisées en raison d’un siège qui dure depuis quatre ans, les médecins préviennent que la situation est en train de devenir ingérable.

« Nous n’avons plus assez d’ambulances pour transporter les blessés, ce qui signifie que de nombreuses personnes meurent avant de nous atteindre », a déclaré à MEE le Dr. Malik, qui n’a pas souhaité donner son nom de famille pour des raisons de sécurité.

« Les hôpitaux débordent de sang. Nous faisons ce que nous pouvons pour aider, mais la situation devient intenable. »

Médecins sans frontières a indiqué mercredi que treize centres médicaux de la Ghouta orientale auxquels l’ONG apporte son soutien avaient été bombardés depuis lundi ; Médecins pour les droits de l’homme, une autre ONG médicale, a pour sa part déclaré que huit des établissements qu’elle aidait avaient été touchés. On ignorait hier s’il s’agissait des mêmes établissements.

Médecins pour les droits de l’homme a qualifié ces attaques de « crimes de guerre flagrants », devenus « une caractéristique quotidienne » de la guerre.

Dix opérations en une journée

Les médecins de la zone expliquent que les attaques contre des centres médicaux n’ont fait qu’aggraver un travail déjà quasiment impossible.

« Quand le régime attaque un abri, c’est une pression énorme parce que nous traitons quinze à vingt personnes à la fois », a expliqué le Dr. Malik.

« Nous travaillons comme des clandestins. Nous n’avons ni équipement, ni électricité »

- Dr. Mohammed Salem

« Peu importe qu’ils soient parents ou amis, en tant que médecins, nous devons continuer notre travail pour sauver autant de vies que possible. Sauver ne serait-ce qu’une seule vie est déjà une grande réussite pour nous. »

Le Dr. Mohammed Salem, chirurgien de la Ghouta orientale et coordinateur des soins médicaux auprès de la Direction de la santé de Damas, a déclaré que maintenant que la plupart des équipements avaient été détruits, les conditions dans les hôpitaux encore ouverts étaient extrêmement primitives.

« Nous travaillons comme des clandestins. Nous n’avons ni équipement, ni électricité », a-t-il précisé.

Des habitants de la Ghouta orientale descendent dans des abris souterrains pour échapper au pilonnage effectué par les forces gouvernementales (Reuters)

Le Dr. Rida, un autre médecin de la région qui n’a pas souhaité décliner entièrement son identité, a déclaré à MEE que les équipes médicales travaillaient « au maximum de leurs capacités ».

« Mardi, j’ai procédé à dix opérations, dont l’amputation d’une jambe », a-t-il rapporté.

« Les civils sont la cible principale de ce que nous avons vu. Ces bombardements constituent une tactique visant à faire taire la révolution. »

« Cette folie doit cesser »

Mardi, plusieurs agences de l’ONU ont condamné cette dernière escalade de la violence alors que le gouvernement syrien poursuivait son pilonnage de l’enclave rebelle.

La Russie, qui soutient le gouvernement de Bachar al-Assad depuis 2015, a affirmé que les rebelles avaient blessé quatre personnes mercredi avec des obus de mortier, et que six autres avaient été tuées mardi.

« Aujourd’hui, les zones résidentielles, les hôtels de Damas ainsi que le Centre russe pour la réconciliation syrienne ont été bombardés massivement par des groupes armés illégaux de la Ghouta orientale », a déclaré mardi le ministère russe de la Défense.

« Tout le monde est épuisé tant sur le plan physique que militaire »

- Valerie Szybala, Syria Institute

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a décrit mercredi comme étant « sans fondement » les accusations selon lesquelles la Russie était responsable de la mort de civils dans la Ghouta orientale.

Environ 400 000 civils se trouvent toujours pris au piège dans l’enclave assiégée, dont des centaines de personnes devant recevoir des soins médicaux d’urgence hors de l’enclave.

Valerie Szybala, directrice exécutive du Syria Institute à Washington, a déclaré que c’était « la première fois » que des bombes-barils étaient utilisées à un tel niveau dans la Ghouta orientale.

« L’une des principales raisons pour lesquelles ils n’ont pas utilisé de bombes-barils dans la Ghouta jusqu’à présent est que les rebelles étaient en mesure d’abattre les hélicoptères », a expliqué Szybala à MEE.

« Mais maintenant, à cause du siège, tout le monde est épuisé tant sur le plan physique que militaire. »

Un homme blessé dans un centre médical de la ville assiégée de Douma, dans la Ghouta orientale (Reuters)

Les organisations humanitaires ont déclaré qu’à cause de ces bombardements intensifs, leur aide ne pouvait plus atteindre ceux qui en avaient besoin. Une catastrophe est en cours, ont-elles prévenu.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a appelé mercredi à un accès humanitaire à la Ghouta, en particulier pour atteindre les blessés ayant un besoin urgent de soins.

« Les combats risquent de causer beaucoup plus de souffrances dans les jours et les semaines à venir », a déclaré Marianne Gasser, chef de la délégation du CICR en Syrie. « C’est de la folie et cela doit cesser. »

« Ceci n’est qu’un bombardement préliminaire »

Un commandant des forces qui combattent le gouvernement d’Assad a déclaré à l’agence de presse Reuters que les bombardements avaient pour objectif d’empêcher les rebelles de lancer des obus de mortier sur les zones orientales de Damas.

« L’offensive n’a pas encore commencé, ceci n’est qu’un bombardement préliminaire », a-t-il averti.

Un autre commandant, Suheil al-Hassan, a déclaré dans une vidéo : « Je le promets, je leur donnerai une leçon, au combat et dans le feu.

« Vous ne trouverez personne pour vous sauver. Et si vous rencontrez un sauveteur, vous serez secouru avec de l’eau pareille à de l’huile bouillante, vous serez secouru avec du sang. »

Traduit de l’anglais (original).

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