Dans les montagnes de Qandil, le PKK fête le nouvel an kurde sous le signe de la résistance
MONT QANDIL, Irak – Dès l’aube du 21 mars, à la sortie de la ville de Sangasar, dans les montagnes de la province de Souleimaniye non loin de la frontière iranienne, le checkpoint de l’Union patriotique kurde (UPK) contrôlant l’accès à Qandil ne filtre presque plus le traffic incessant. En ce jour de Newroz, le nouvel an kurde, cette route sinueuse est congestionnée par des centaines de véhicules venant célébrer l’événement avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Dans les derniers lacets, les voitures se bousculent pour tenter de passer devant les autres, leurs passagers désireux d’obtenir une bonne place sur le site des festivités et éventuellement poser leur natte dans un coin de verdure pour pique-niquer.
Au dernier col, le traffic ralentit considérablement et c’est au tour des guérilleros d’inspecter les véhicules. On peut ensuite pénétrer dans le repère sauvage et montagneux du PKK.
« On vient ici chaque année. À Qandil, Newroz, c’est un peu plus qu’une fête folklorique »
- Rezhiar, participant
« On vient ici chaque année. À Qandil, Newroz, c’est un peu plus qu’une fête folklorique », nous confie Rezhiar, un participant. Effectivement, la dimension politique d’un tel événement n’aura échappé à personne.
Un festival culturel et politique...
Le PKK est une organisation considérée comme terroriste par de nombreux pays et organisations, comme l’OTAN et l’Union européenne, et surtout la Turquie. C’est la plus importante organisation paramilitaire kurde qui lutte depuis la fin des années 70 pour la reconnaissance des droits des Kurdes et leur auto-détermination.
Initialement marxite-léniniste, le PKK a évolué vers une idéologie singulière basée sur la démocratie directe, le confédéralisme démocratique, issu de la pensée d’un anarchiste américain du nom de Murray Bookchin et qui a profondément influencé le leader du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné en Turquie depuis 1999.
Depuis les années 90, le PKK, dont le terrain d’activité concernait principalement la Turquie, s’est implanté à Qandil, la chaîne montagneuse du Kurdistan irakien longeant la frontière iranienne, plus à l’abri des excursions turques. Ce bastion quasi-inexpugnable est devenu une base arrière hautement stratégique où sont prises l’essentiel des décisions importantes de l’organisation.
Au creux d’une large vallée entourée de montagnes enneigées, les organisateurs ont installé une estrade flanquée de centaines de drapeaux aux couleurs kurdes : rouge, jaune, vert. L’étoile rouge du PKK est omniprésente, tout comme les drapeaux arborant le soleil, symbole zoroastrien que se sont réappropriés les Kurdes, y voyant la marque de leur religion ancestrale.
Dans le public, les uniformes kakis des havalan (camarades, en kurde) se mèlent aux robes traditionnelles des femmes kurdes et les chaussures tout terrain des combattants aux tallons satinés des dames de la ville. Beaucoup arborent d’autres éléments de la culture locale comme le cemedani, le foulard kurde, ou bien encore la tenue traditionnelle composée d’un sarouel et d’une veste brune tenue par un foulard coloré noué à la taille.
Le public est de tout âge, les étrangers sont tous des Kurdes venus de Turquie, de Syrie ou d’Iran, à de très rares exceptions près. On peut rencontrer des vétérans en tenue de combat et des familles multi-générationnelles bivouaquant dans un coin de la plaine.
Dans le public, de nombreux Kurdes demandent aux combattants en tenue kakies de poser avec eux pour un selfie, tant la renommée de ces guérilleros est légendaire. Peu auront l’occasion de ramener une photo avec le visage des combattants du PKK.
... sous la menace turque
Au centre de la plaine, sont alignés des stands où l’on peut trouver toutes sortes d’écharpes, de gadgets du PKK ou encore des ouvrages du leader, Öcalan. D’autres servent des plats traditionnels préparés pour l’occasion. Les bénéfices de certains restaurateurs vont financer une aide humanitaire pour les déplacés d’Afrin, nous dit-on.
« Les Turcs n’ont jamais osé frapper Qandil pendant le festival »
- Un membre du PKK
En fin de matinée, le public grossit peu à peu. Alors qu’ils viennent de loin, certains visiteurs ont peur des frappes aériennes turques et restent à distance de la foule, préférant prendre de la hauteur sur les collines et observer le spectacle de loin entre les chênes qui bourgeonnent.
« Les Turcs n’ont jamais osé frapper Qandil pendant le festival », soutient un membre du PKK. Toutefois, la détonation des feux d’artifices en fait sursauter plus d’un pendant la journée.
Pour attirer un peu les visiteurs, la sono entonne des chansons kurdes, pour la plupart composées pendant et pour la bataille d’Afrin. Enfin, des intervenants prennent le micro et entament des discours entrecoupés de chants et de musiques.
Sur un ton martial, une femme harangue la foule et rappelle les énormes sacrifices de la « résistance » depuis des décennies de combats pour l’indépendance et l’autodétermination des Kurdes. La dernière bataille d’Afrin est dans tous les esprits et les orateurs ne manquent pas de faire entonner en chœur des slogans de résistance au public : « Biji Bexwedaneh ‘Afrineh ! [Vive la résistance d’Afrin] ! ».
Sous une tente, nous sommes accueillis par Zagros, un porte-parole du PKK. « La bataille d’Afrin n’est pas terminée », soutient-il. La veille, Salih Muslim, principal leader politique kurde du nord de la Syrie, a annoncé qu’une guerre de guérilla menée par les YPG et YPJ allait prendre le relais de la confrontation face aux forces turques et aux milices syriennes qui les appuient dans le canton syrien d’Afrin.
Les YPG et YPJ sont des milices principalement kurdes qui combattent en Syrie au sein des Forces démocratiques syriennes. Elles sont considérées comme une émanation du PKK en Syrie. La Turquie les considère donc naturellement comme des terroristes, alors que les Américains en ont fait leurs principaux alliés dans leur lutte contre l’État islamique.
« La Turquie est engagée dans un combat existentiel ; l’idéologie kémaliste [le nationalisme turc] est basée sur la négation de l’existence des autres communautés dans et autour de la Turquie actuelle »
- Zagros, porte-parole du PKK
Zagros reprend : « La Turquie est engagée dans un combat existentiel ; l’idéologie kémaliste [le nationalisme turc] est basée sur la négation de l’existence des autres communautés dans et autour de la Turquie actuelle. Cette opération en Syrie n’est autre qu’une tentative désespérée d’empêcher tout développement d’alternatives politiques au fascisme turc, alternatives basées sur le respect des identités multiples comme tentent de le mettre en place les institutions du nord de la Syrie ».
Alors que les YPG ont évacué la capitale du canton, Zagros semble convaincu que la guérilla parviendra à reprendre le dessus et que les Kurdes qui se sont enfuis du canton pourront revenir chez eux à l’avenir.
Dans la foule, cet optimisme semble partagé. Malgré une opération militaire turque en cours à quelques dizaines de kilomètres au nord contre des positions du PKK dans les montagnes kurdes d’Irak, les visiteurs chantent, dansent et entonnent les slogans de la résistance tout l’après-midi.
Dans la journée, au milieu du public, une grande coupe remplie de bois s’embrase et réchauffe la foule déjà écrasée par un soleil pesant. Si beaucoup de visiteurs sont clairement motivés d’une fougue militante, d’autres sont moins politisés et semblent surtout avoir étés attirés par la renommée du festival.
« Je suis venu pour fêter Newroz avec mes amis kurdes, mais je ne suis pas particulièrement proche des idées du PKK »
- Mazen, Kurde de Soran
« Je suis venu pour fêter Newroz avec mes amis kurdes, mais je ne suis pas particulièrement proche des idées du PKK », nous raconte Mazen, un Kurde de Soran, ville des montagnes situées au nord de Qandil. « Par contre, je n’ai pas apprécié que le PDK ferme le checkpoint qui mène à Qandil depuis le nord. Le PKK a dû faire pression sur eux pour qu’ils laissent les visiteurs passer ».
Près de deux-cents voitures s’étaient effectivement retrouvées bloquées à l’entrée des montagnes. Le PDK, principal parti politique du Kurdistan irakien, dirigé par Massoud Barzani, entretient des relations ambiguës avec la Turquie et voit le PKK comme un rival au Kurdistan Irakien.
« Pourquoi chercher à diviser les Kurdes alors que nous sommes cernés par les ennemis ? », s’interroge Mazen.
Alors qu’un groupe de musique kurde en remplace un autre sur l’estrade, deux Kurdes en profitent pour faire une requête un peu particulière à Zagros. « Ils me demandent si je ne peux pas organiser un rendez-vous avec leurs filles qui ont rejoint le parti », dit-il.
La discipline militaire très stricte du PKK fait que les jeunes recrues quittent leur familles pendant des mois, des années parfois, sans donner de nouvelles à leurs proches. Le festival de Newroz est dès lors l’occasion de quelques exceptions qui permettent à des familles de se réunir le temps d’une journée.
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« Ma sœur a rejoint le mouvement pendant trois ans. Elle en est revenue changée pour toujours. Elle est très sûre d’elle aujourd’hui. Elle a de grands projets et s’est émancipée du partiarcat qui imprègne notre société », nous explique, très fier, Rajo, un Kurde de Souleimaniye.
Alors que le soleil entame sa courbe décroissante, les visiteurs commencent à redescendre de la montagne. Dans un dernier discours, les intervenants souhaitent une joyeuse nouvelle année aux visiteurs venus célébrer Newroz avec eux. S’ensuit une énième chanson à l’honneur de la résistance d’Afrin, après laquelle des feux d’artifices illuminent le ciel.
Dans la nuit qui recouvre la montagne, les voitures font la queue sur l’étroite route qui les ramènera dans la plaine. L’euphorie est retombée, une nouvelle année débute, probablement pas moins entachée de violences que la précédente : dans la nuit, les montagnes proches de Choman sont touchées par une frappe attribuée aux forces turques. Quatre civils sont morts sous les décombres de leurs maisons. Ils revenaient de Qandil, où ils avaient fêté le nouvel an avec le PKK.
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