De la conférence de Tanger à la « déclaration d’Alger » : soixante ans d’illusions maghrébines
ALGER – Lors de son cinquième congrès à Alger, début février, le Rassemblement pour la Culture et la démocratie (RCD, parti d’opposition, laïc), a entamé des discussions avec d’autres formations politiques maghrébines invitées à cet événement.
Un mois après cette rencontre, et après de nombreuses consultations entre ces partis algérien, tunisien, marocain et libyen, une déclaration commune, la « déclaration d’Alger », a été rendue publique dimanche 11 mars.
Les signataires du document, Mohcine Belabbas, président du RCD, Ahmad Dougha, vice-président du Parti de la nation libyenne, Issam Chebbi, secrétaire général du parti al-Joumhouri (Tunisie) et Mohamed Lokmani, membre du bureau politique du Parti authenticité et modernité (PAM, Maroc), ont appelé « l’ensemble des forces progressistes de nos pays à s’associer à nos débats pour arriver dans les plus brefs délais à créer un climat politique de fraternelle confiance qui implique activement nos concitoyens dans une opportunité capitale qui conditionne nos souverainetés, préalables à nos développements que les gouvernements concernés n’ont pas pu honorer ».
Concrètement, les partis signataires « projettent de se doter d’une instance de débat et de propositions, et de se retrouver chaque année dans un des six pays concernés afin d’évaluer l’écho et l’avancement effectif de leur initiative ».
« L’idée aussi est de fédérer un plus grand nombre de partis dans la région maghrébine, et s’ouvrir aussi à la société civile et à d’autres acteurs », explique Mohcine Belabbas à Middle East Eye. « Et nous travaillerons ensemble pour multiplier, à l’avenir, les rencontres entre les dirigeants des partis des pays concernés. »
Une manière de conjurer les tensions et crises qui secouent cette région, dans laquelle les systèmes politiques ont échoué à bâtir l’Union du Maghreb arabe (UMA), projet lancé en 1989 par les dirigeants des cinq pays maghrébin à Marrakech, au Maroc.
Un idéal inachevé
Mais la question sahraouie, les tensions algéro-marocaines et la fermeture des frontières entre ces deux pays voisins en 1994, ont durablement empêché la concrétisation de cette union régionale. « L’ensemble des participants considère qu’un nouveau pacte englobant les quatre pays et les nations riveraines du Sahel s’avère être désormais un impératif, économique, environnemental et sécuritaire qu’aucun alibi ne peut occulter », lit-on encore dans la « déclaration d’Alger » des quatre partis maghrébins.
Selon des sources au RCD, il est aujourd’hui temps de « sortir du statu quo qui paralyse la région et empêche le Maghreb d’émerger comme puissance régionale alors que nous faisons, chacun dans son coin, face à d’énorme défis sécuritaires, migratoires, démographiques et politiques ».
À Alger, le président du RCD, Mohcine Belabbas, explique qu’en réfléchissant à cette initiative, les signataires de la déclaration avaient en tête un point d’ancrage historique important : la conférence de Tanger, qui fêtera fin avril son 60e anniversaire.
Dans cette ville du nord du Maroc, une délégation du FLN algérien et les représentants du parti marocain Istiqlal et du Néo-Destour tunisien a participé à ce sommet, jalon décisif dans les dynamiques de soutiens internationaux à la lutte des Algériens contre le colonialisme français.
« Nous, les représentants des mouvements de libération nationale de Tunisie, d’Algérie et du Maroc, proclamons solennellement notre foi en l’unité du Maghreb et notre volonté de la réaliser dès que les conditions s’y prêteront, c’est-à-dire quand les forces françaises et étrangères auront évacué leurs bases de Tunisie et au Maroc et quand l’Algérie sera devenue indépendante », proclamait la déclaration de la conférence de Tanger.
Il est possible de remonter le fil des solidarités maghrébines entre partis et acteurs politiques à plus loin en rappelant que le premier mouvement nationaliste algérien, fondé en 1924 par Messali Hadj s’appelait L’Étoile nord-africaine, associant, du coup, les luttes anticoloniales de toute la région maghrébine. Ou encore, de citer l’activisme, à partir de 1927, en France, de l’Association des étudiants musulmans nord-africains, ou enfin rappeler la fondation en 1947 du Bureau du Maghreb arabe, au Caire, par les exilés qu’étaient les Marocains Abdelkrim al-Khattabi et Allal el-Fassi, les Tunisiens Habibi Bourguiba et Habib Thameur, ainsi que les Algériens Mohamed Khider et Chedli Mekki.
Où est l'esprit de Tanger ?
Mais que reste-t-il des combats et des fraternité solidaires ? Lors de la commémoration du 50e anniversaire de la conférence de Tanger, en octobre 2008, Abdelhamid Mehri, ancien ministre du Gouvernent provisoire de la république algérienne (GPRA) qui faisait partie de la délégation algérienne de 1958 à Tanger, déclarait que « l’esprit de Tanger n’a hélas pas été respecté après les indépendances ».
Et comme pour prouver que les fraternités étaient bien fragiles, le colloque du 50e anniversaire, qui devait être animé dans une instance officielle à Alger en avril 2008, a été annulé par les autorités.
« Monsieur le président, vous imaginez bien l’ampleur de la surprise, du choc et de l’embarras provoqués par cette décision et la gravité des interrogations qu’elle suscite. Il n’est guère besoin d’un surcroît d’explications, vous êtes, par votre passé et par votre position, suffisamment instruit pour percevoir toutes les dimensions de ces questions », écrivit Mehri, sous le choc, dans une lettre au président Abdelaziz Bouteflika, restée sans réponse.
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Aujourd’hui, l’UMA et les rêves du grand Maghreb demeurent englués dans des considérations qui n’ont que peu à voir avec les profonds liens entre les peuples du Maghreb, malgré les discours des dirigeants.
Mi-février, le président Bouteflika a envoyé un message au roi du Maroc Mohammed IV, pour le 29e anniversaire de la proclamation de l’UMA, insistant sur « l'attachement constant de l'Algérie à l'Union du Maghreb arabe en tant que choix stratégique et revendication populaire et sa volonté à redynamiser ses institutions et structures pour défendre les intérêts communs ». Vœu pieux, loin de l’esprit de la rencontre de Tanger, il y a de cela 60 ans.
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