Des manifestations en Égypte marquent les deux ans du renversement de Morsi
Les allées et les petites rues adjacentes du quartier d'al-Mataria, au Caire, sont toujours bondées et regorgent d'activité, remplies de jeunes enfants qui jouent au football, de touc-toucs (des rickshaws à moteur) conduits par des adolescents bavards, de marchands de légumes qui crient du haut de leurs chariots tirés par des chevaux ou des ânes, de femmes voilées de noir (le niqab islamique) et d'hommes portant la barbe.
Mais, le 30 juin 2015, au deuxième anniversaire du coup d'Etat soutenu par le peuple et mené par l'actuel Président Abdel Fattah al-Sissi, les petites rue de ce quartier très peuplé étaient pleines de protestations, de cris, de fusées de détresse, de coups de feu, de cocktails Molotov et de gaz lacrymogène.
Les manifestations sont intervenues à un moment déjà tendu et critique, à la suite de l'assassinat du plus haut procureur général égyptien Hisham Barakat alors qu'il rentrait chez lui dans sa voiture blindée, donnant également suite aux propos de mauvais augure du Président Sissi le lendemain matin lors des funérailles de M. Barakat, lors desquelles il a accusé l'ancien Président actuellement détenu, Mohamed Morsi, d'être responsable de l'assassinat, appelant à faire changer la loi en vue d'autoriser des exécutions plus rapides.
Ce quartier a l'habitude des manifestations. Directement après le coup d'Etat de 2013, il a été le témoin de manifestations quotidiennes organisées par des membres des Frères musulmans et soutenues par d'autres mouvements et groupes islamiques. Ces manifestations ont été réprimées avec violence et ont subi l'attaque de la police, qui a tiré à balles réelles afin de contenir les manifestants, en particulier pour des occasions importantes. Ce quartier très peuplé et aux faibles ressources était à nouveau plein hier, pendant que les partisans de différents groupes islamiques se rassemblaient pour commémorer trois décennies de luttes.
Témoin de meurtres de masse
En tant que photographe pour MEE, j'étais présent en 2014 lors du troisième anniversaire de la révolution du 25 janvier, et j'ai vu 150 personnes se faire tuer et plus de 500 être blessées lors d'affrontements à al-Mataria Square et autour du tristement célèbre poste de police d'al-Mataria.
J'étais également présent pour le quatrième anniversaire de la révolution, il y a environ six mois, quand près de vingt personnes sont mortes lors d'affrontements entre les manifestants et les forces de police. Parmi les morts se trouvait un garçon chrétien de onze ans, dont le seul tort a été de passer par là quand la police s'est mise à tirer sur les manifestants.
Les tactiques utilisées par la police au cours des deux dernières années pour supprimer et étouffer les manifestations se sont montrées efficaces dans la mesure où la fréquence des manifestations et le nombre de personnes y assistant ont baissé en comparaison avec les rassemblements bien plus importants d'il y a exactement deux ans.
Les tactiques de la police incluent des détentions jusque tard dans la nuit, la participation de policiers infiltrés aux manifestations afin de localiser les organisateurs et de les attraper de force à la fin de la manifestation, et il y a, bien sûr, de nombreux témoignages de torture extrême dans des postes de police tristement célèbres.
Les violences dont en entend parler sur les détenus accusés d'avoir manifesté vont dans certains cas jusqu'à la mort, comme cela s'est passé pour Karim Hamdy, un avocat de 27 ans qui a été torturé à mort par une froide soirée de février. En fait, le cas de Karim Hamdy et les images de son corps à la morgue, couvert de blessures, qui ont été largement partagées sur les réseaux sociaux, ont placé la police sous le feu des projecteurs, et l'ont forcée à enquêter sur le dossier.
En conséquence de cette enquête, deux officiers de police ont dû être jugés pour abus de pouvoir, mais leur identité reste secrète en raison d'une interdiction de communiquer à ce sujet, prononcée par le désormais défunt procureur général Hisham Barakat.
Les manifestations continuent
En dépit de toutes les difficultés, les manifestations sont continues et se tiennent au moins trois fois par semaine. Le 30 juin 2015 n'a pas fait exception. Deux manifestations ont débuté à cinq heures du matin devant des mosquées du quartier. Les manifestants étaient majoritairement de jeunes hommes âgés de 18 à 25 ans, accompagnés d'un petit nombre de femmes principalement âgées d'une vingtaine d'années.
Ils ont scandé des slogans contre le « régime militaire » qui règne en Egypte, certains de ces mêmes slogans ayant déjà été utilisés lors de la révolution du 25 janvier, notamment le célèbre « Le peuple veut la chute du régime ».
Après s'être réunis environ cinq minutes, les groupes protestataires ont été attaqués par sept ou huit policiers qui tiraient à balles réelles sur la foule. Les jeunes manifestants ont pu leur tenir tête et les ont repoussés à renfort de pierres et de pétards. Les manifestations ont continué leur parcours au son des puissantes et énergiques paroles « Allah Akbar / Dieu est grand ».
Il était clair que les organisateurs de la manifestation avaient à leur service des hommes qui suivaient les policiers eux-mêmes à la poursuite des manifestants, informant leurs camarades de leur position exacte. En conséquence, les manifestants ont pu éviter la police pendant une heure environ, courant et criant au travers du labyrinthe d'allées qui distingue le quartier al-Mataria des autres quartiers ouvriers.
Finalement, les officiers de police ont pu rattraper la manifestation et ils ont commencé à tirer des bombes de gaz lacrymogène qui ont eu un effet puissant sur les manifestants, en plus des balles qui ont blessé plusieurs manifestants au visage. Les tactiques des jeunes hommes et leurs pétards ne faisaient pas le poids face aux agents puissamment armés, et, cinq minutes plus tard, les manifestations ont été dispersées, les gens courant et fuyant dans les allées reculées. D'autres manifestations sont à prévoir.
Traduction de l'anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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