Des Syriens et des Irakiens tentent de s’adapter à la vie dans un paisible village allemand
SPECHBACH, Allemagne – Partant de pays comme la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak, des centaines de milliers de personnes ont accompli cette année un voyage éprouvant dans l’espoir d’atteindre l’Europe, et en particulier l’Allemagne. Une fois arrivés, parfois après des mois de marche ou avec l’aide de trafiquants, les réfugiés et les migrants sont logés en masse dans des « centres d’accueil ».
Ces centres sont habituellement situés dans de grandes villes comme Munich dans le sud, où des milliers de personnes attendent d’être réinstallées dans des logements plus permanents.
Elles sont réparties entre différentes régions d’Allemagne, en fonction des moyens locaux, les régions les plus riches recevant plus de réfugiés dans le but d’essayer de minimiser l’impact de nouvelles arrivées. Cependant, les petites communautés rurales sont tout aussi concernées que les grandes villes.
Spechbach est un petit village de 1 770 habitants situé dans la campagne d’Heidelberg, dans le sud-ouest du pays.
Niché entre deux collines dans un paysage vallonné, c’est l’un des plus petits villages de la région à avoir accueilli des réfugiés, et ce depuis plusieurs années – un afflux qui présente à la fois des défis et des opportunités à cette petite communauté.
Une histoire liée aux réfugiés
Spechbach se trouve dans le Bade-Wurtemberg, la région la plus riche d’Allemagne par habitant. Le gouvernement y a relogé des réfugiés depuis cinq ans – bien avant l’augmentation massive, au cours de cette année, du nombre de personnes arrivant dans le pays.
Le foyer des réfugiés de Spechbach se situe en bordure du village et abrite une centaine de personnes. Le bâtiment servait de maison de convalescence dans les années 1960 et 1970, où les malades des villes voisines venaient se rétablir au grand air. Il a été transformé en foyer pour réfugiés en 2010.
Depuis, il héberge des réfugiés pour une période de un à deux ans, pendant que leurs demandes d’asile sont examinées par les autorités.
« Spechbach est un village hospitalier », a déclaré le maire Guntram Zimmerman à Middle East Eye. « L’accueil des réfugiés fait partie intégrante de l’histoire de ce village. Après la Seconde Guerre mondiale, il y avait peut-être 700 personnes qui vivaient ici, et nous avons accueilli plus de 350 personnes venues de l’est de l’Allemagne – Tchétchènes, Polonais, Hongrois, Tchécoslovaques. Ma belle-mère est tchétchène, et elle dit que la situation actuelle est identique. »
« Quand les réfugiés attendent devant le bureau du maire, elle reconnaît ces gens, elle reconnaît leurs yeux. Et parmi tous ceux qui étaient venus de Tchétchénie et d’autres pays, la plupart vivent toujours au village, ils y ont vieilli. Ils ne l’oublient pas », raconte Guntram Zimmerman, membre du Parti social-démocrate de gauche.
Mais il explique que la relation entre le petit village et les réfugiés arrivés plus récemment, à partir de 2010, n’a pas été aussi paisible.
« Il y a cinq ans, nous avons tenu une grande réunion du conseil municipal et nous avons mis au courant les gens du village [de l’ouverture d’un centre de réfugiés] et ils ont eu peur ; ils ont regardé leurs enfants, leurs filles, leurs voitures et leurs vélos, et ils ont pensé que les futurs arrivants seraient tous des voleurs », explique le maire.
Les locaux sont désormais habitués aux réfugiés et « la situation ici est maintenant redevenue normale, nous n’avons pas de problèmes », dit-il.
Mais le fait d’héberger autant de nouveaux arrivants pose des défis au niveau de l’infrastructure. Spechbach n’a pas de grand magasin d’alimentation, et la ville avec un supermarché la plus proche est à cinq kilomètres environ. Il n’y a pas de cafés, l’unique restaurant est fermé l’hiver, et les trajets en bus jusqu’aux villes voisines coûtent relativement cher.
Beaucoup de réfugiés disent que bien qu’ils soient heureux d’avoir atteint l’Allemagne, ils ont du mal à s’adapter à la taille et à l’isolement du village.
« Nous sommes ici depuis moins d’une semaine, mais nous nous ennuyons déjà, ma famille et moi », dit Whalid, 32 ans, originaire de Sinjar au Kurdistan irakien. « Avant cela, nous sommes restés dans un camp à Heidelberg [la ville voisine] pendant trois mois. Heidelberg était très agréable. C’est une belle ville avec beaucoup de magasins, des marchés, une jolie rivière. Mais ici c’est juste un petit village – pas de magasins, pas de marché, pas beaucoup de commodités pour ma famille. Je suis heureux ici, c’est un petit village charmant, mais il est très difficile d’aller quelque part, et c’est un problème. »
Whalid, sa femme Seyda et leurs cinq enfants ont fui Sinjar cette année à cause des combats avec Daech. « Moi-même je n’ai pas vu l’EI, mais ils ont tué des membres de ma famille et beaucoup d’autres Kurdes », raconte-t-il. « Mon oncle et ma tante ont été tués quand Daech a attaqué leur village. Il y avait des pénuries d’eau, d’électricité et de nourriture. Il y avait des coupures d’électricité plusieurs heures par jour. »
Les enfants de Whalid et Seyda vont rentrer à l’école primaire de Spechbach, qui a des classes spéciales pour les enfants de réfugiés où on leur apprend l’allemand de façon intensive. « Nous serons très contents de rester en Allemagne si nous obtenons le droit d’asile », dit Whalid. « Nous sommes parfaitement heureux ici. La vie est agréable et il n’y a pas vraiment de problème – que ce soit ici ou à Heidelberg, les Allemands sont gentils. »
Mais pour d’autres réfugiés logeant au foyer, l’atmosphère paisible de Spechbach est presque étouffante.
Mohammed, un étudiant en médecine de 20 ans et son frère Zachariah, 14 ans, qui ont quitté Alep cette année, sont venus en Allemagne pour trouver la paix mais ils sont obsédés par le fait que leur famille est toujours en danger.
« Notre famille en Syrie court un danger terrible. Nous sommes en sécurité ici, mais pas ma mère, mon père et mes frères. La Syrie est bombardée nuit et jour », dit Mohammed, qui n’a pas voulu donner son nom de famille.
Mais « nous n’avons pas internet dans cette maison, et il est difficile, parfois impossible de parler avec notre famille. Tout ce que nous pouvons faire ici c’est attendre, manger et dormir toute la journée, pendant que ma famille est exposée à un tel danger », ajoute-t-il, se faisant l’écho d’un problème commun à beaucoup de réfugiés du foyer.
Parmi les nouveaux arrivants à Spechbach, beaucoup sont tourmentés par l’incertitude du futur ; la plupart des réfugiés du foyer ne savent pas si eux-mêmes et leur famille se verront accorder l’asile. L’attente et l’ennui de ne pas travailler et de passer tout son temps avec de nombreuses familles commence à taper sur les nerfs de beaucoup d’entre eux.
Cependant, malgré les difficultés, la plupart des réfugiés de Spechbach disent essayer de s’intégrer. Mohammed et Zachariah assistent à autant de cours d’allemand que possible.
« Nous allons à l’école trois heures par jour pour apprendre l’allemand à Sinsheim, une ville voisine. Mon allemand est bon – c’est facile. Je parle un peu anglais et cela m’aide à apprendre l’allemand. L’Allemagne est un pays très bien. C’est beau. Le système marche bien : les Allemands travaillent et ils étudient – comme les Syriens », dit Mohammed.
Des volontaires locaux
Cinq volontaires allemands originaires de Spechbach et des villes voisines viennent enseigner l’allemand tous les jours au foyer de réfugiés. L’un des professeurs, Ferdi Oberheinrich, 66 ans, habite à Spechbach à quelques centaines de mètres du foyer, et il aide depuis son ouverture. Il explique que la communauté locale est en général solidaire des nouveaux arrivants.
« Certains habitants du village apportent des habits à un genre de bazar qu’on organise dans le foyer de temps en temps, ou des poussettes, ou d’autres choses dont ils peuvent avoir besoin là-bas. Le centre organise aussi des réunions pour les mères et leurs bébés. Et puis les familles ont des volontaires qui s’occupent d’eux – du style "adoptez une famille", et alors les volontaires les aident à remplir des formulaires, à aller chez le docteur, à prendre des rendez-vous, etc. », explique l’enseignant.
« Certaines personnes font des remarques désobligeantes, mais à part ça il ne leur arrive rien. La plupart des gens sont très décontractés par rapport à la présence des réfugiés ici. »
Malgré tout, la situation « n’est pas idéale pour des réfugiés dans ce petit village isolé ; il n’y a pas de commerces », dit Ferdi Oberheinrich.
Sa femme Angèle, bénévole à l’école du village, pense toutefois que ceux qui arrivent à Spechbach ont la vie relativement facile.
« Ils mènent probablement une vie bien plus tranquille ici que, disons, au centre de réfugiés de Sinsheim [une ville située plus au sud], qui est tout simplement horrible. »
« À Sinsheim, il y a environ 300 ou 400 personnes logées dans ce qui ne sont en fait que des conteneurs à moitié délabrés. En général, plus la taille du logement est importante, plus le problème est important. »
La situation est loin d’être la même dans toute l’Allemagne. « Il y a des villes près d’ici », explique Ferdi Oberheinrich, « où l’on entend parler de foyers de réfugiés qui ont été incendiés. Ici au moins c’est paisible et les réfugiés sont relativement bien acceptés. »
Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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