Des Tanzaniennes employées à Oman et aux EAU décrivent les abus dont elles sont victimes
La première fois que Basma a essayé de quitter Oman, c’est quand son employeur l’a battue. Meurtrie, victime de violences physiques et psychologiques, elle voulait absolument partir et sollicita l’aide de l’ambassade tanzanienne.
Cependant, comme son passeport lui avait été confisqué, l’ambassade ne fut pas en mesure de l’aider, et la jeune fille de 21 ans se retrouva en grande détresse.
Incapable de fuir, elle continua à travailler 21, voire 23, heures par jour, et il lui fut interdit de quitter la maison, sauf pour sortir les poubelles.
Un mois plus tard, alors qu’elle nettoyait le haut d’une armoire, le fils de son employeur a mis en marche un ventilateur du plafond.
Une pale du ventilateur la frappa à la tête, et Basma tomba. Du sang coulait de sa tête et elle s’enfuit à l’ambassade de Tanzanie, une main sur sa blessure pour la comprimer.
Partir lui coûta très cher. Basma reçut six points de suture et en garda une profonde cicatrice à la tête, en plus d’une montagne de dettes.
Ses employeurs refusèrent de la laisser partir tant qu’elle ne leur remboursait pas 6 000 $ (5000 euros). Cette somme représentait les frais facturés à son employeur par un agent pour l’amener à Oman, et la famille de Basma fut tenue de rembourser en échange de sa libération.
« Je leur ai bien dit... Ma famille n’a jamais reçu cet argent ! Or mes employeurs ont rétorqué : ‘’On ne veut pas le savoir, c’est la somme qu’on a payé à votre agent... et l’on tient à récupérer cet argent’’ », se souvient Basma.
« J’ai seulement dit que je voulais rentrer chez moi ».
Elle a ensuite engagé une procédure de règlement des différends, mais le fonctionnaire du gouvernement omanais chargé de la médiation a dit à l’employeur de Basma de la dénoncer à la police si elle refusait de payer les frais de recrutement d’une remplaçante.
Basma était tellement démoralisée qu’elle rentra chez elle en abandonnant trois mois de salaire et paya les billets d’avion avec l’argent emprunté à un fonctionnaire de l’ambassade de Tanzanie.
Un an après son retour chez elle en février 2016, elle n’avait toujours pas terminé de rembourser l’emprunt.
Basma fait partie des 50 femmes qui ont révélé à Human Rights Watch (HRW) les terribles conditions dans lesquelles travaillent les Tanzaniennes à Oman et aux Émirats arabes unis.
Leurs récits ont été intégrés dans un nouveau rapport de HRW qui examine le processus de recrutement et déplore l’absence de protection accordée par leur ambassade et les autorités émiriennes et omanaises aux Tanzaniennes du Golfe.
Dans ce rapport, les femmes interrogées ont entre 20 et 46 ans, et la majorité d’entre elles sont originaires de Zanzibar en Tanzanie.
Harcèlement sexuel
L’Afrique de l’Est a pris une importance de premier plan pour les travailleurs domestiques envoyés dans le Golfe, car le personnel y est moins cher à embaucher et bénéficie de moins de protections qu’en Asie du Sud.
Le rapport contient des détails poignants sur les Tanzaniennes victimes d’abus sexuels et raciaux aux mains de leurs employeurs et des agents de recrutement chargés de trouver des domestiques en Afrique de l’Est.
Rothna Begum, chercheure, a rédigé le rapport pour HRW. Elle explique à Middle East Eye que, contrairement à d’autres cas de violence contre des employées de maison dans le Golfe, les Tanzaniennes de tous âges sont confrontées à des taux plus élevés de harcèlement sexuel.
« De nombreuses domestiques tanzaniennes ont décrit leurs épouvantables conditions de travail. La plupart d’entre elles se sont vues confisquer leur passeport et ont été victimes de violences raciales et physiques. Certaines femmes ont déclaré avoir subi des attouchements et une autre avoir été violée par voie anale », rapporte Rothna Begum à MEE.
« Les travailleuses domestiques tanzaniennes subissent de graves abus à Oman et aux Émirats arabes unis. Mais leur gouvernement ne leur assure pas une protection adéquate contre les mauvais traitements qu’elles subissent – que ce soit avant leur départ, pendant leur séjour dans le pays d’emploi ou à leur retour. »
Le rapport dénonce le manque de protection des domestiques tanzaniennes, victimes de ce fait de violations généralisées des droits de l’homme.
Violence raciale
Rothna Begum précise à MEE que les abus subis par la plupart des domestiques tanzaniennes présentent des connotations raciales, car leurs employeurs n’ont pas le même comportement qu’avec les autres et les traitent des « chiennes ».
« Certaines se font insulter et hurler dessus. Les insinuations raciales sont devenues patentes car les employeurs prétendent qu’elles doivent leur sort de domestiques à leurs origines africaines », déplore Rothna Begum.
« Certaines domestiques ont accusé [leurs employeurs] de discrimination raciale parce qu’ils refusaient de toucher la même assiette qu’elles ou de manger la même nourriture. »
La Tanzanie exige que les travailleurs présentent leur demande de migration par l’intermédiaire de leur ministère du Travail, mais de nombreux travailleurs recourent à d’autres moyens pour partir travailler dans les pays du Golfe.
Les autorités exigent que les femmes passent par une agence de recrutement pour émigrer, mais n’ont pas fixé de normes minimales pour les agences tenues d’aider les travailleuses en cas de mauvais traitements, et ni inspections ni sanctions ne sont prévues en cas d’infraction.
Les lois tanzaniennes sur le travail interdisent aux agences de facturer des frais et honoraires aux domestiques, mais de nombreuses femmes ont déclaré à HRW qu’on leur en faisait payer quand même.
Oman et les Émirats arabes unis estiment que les domestiques ne relèvent pas de leur législation sur le travail. Les autorités omanaises ont promulgué de nouvelles réglementations sur les travailleurs domestiques en 2004, mais ces lois s’avèrent trop faibles, et ne prévoient aucune sanction contre les employeurs en infraction.
En septembre 2017, les EAU ont promulgué une loi accordant pour la première fois des droits du travail aux travailleurs domestiques, mais la nouvelle loi leur offre une moindre protection qu’aux travailleurs relevant du droit général.
À Oman et aux Émirats arabes unis, la kafala demeure le plus grand obstacle aux droits des domestiques, et ce système devrait être aboli, souligne Human Rights Watch. Ce système interdit aux domestiques de changer d’employeur sans le consentement du premier. Quant à celles qui fuguent, elles risquent d’être accusées de « délit de fuite ».
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].