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Des Yéménites désespérés marquent leurs enfants traumatisés au fer rouge

Faute de pouvoir payer un traitement, de nombreuses familles yéménites ont recours au marquage au fer rouge pour soigner les troubles psychologiques liés à la guerre
Un enfant yéménite montre la cicatrice laissée quatre mois après avoir été marqué au fer pour tenter de traiter son traumatisme psychologique (MEE)

HODEIDA, Yémen – Hana Absi rentrait chez elle après l’école le 14 octobre quand une frappe aérienne a visé une moto près d’elle, rue du 7-juillet à Hodeida.

Des éclats d’obus ont fusé autour de la fillette de 12 ans. Des cadavres gisaient autour d’elle, la vision s’est gravée dans sa mémoire. Submergée par la scène, Hana s’est évanouie.

« J’ai vu un homme et son enfant couverts de sang près de l’école », raconte-t-elle à Middle East Eye. « Un éclat d’obus a failli me tuer. Il a atteint la clôture de l’école. »

Après l’incident, la jeune fille du quartier de Ghulail a commencé à manifester des symptômes de traumatisme psychologique et avait trop peur de retourner à l’école, si près du lieu où elle avait assisté à la frappe meurtrière.

Walaa Absi, la mère de Hana, se sentait impuissante face à l’angoisse de sa fille. Son mari, enseignant dans la ville portuaire de l’ouest du pays, n’avait pas été payé depuis deux ans et la famille avait à peine les moyens de s’alimenter – et encore moins de déménager dans une zone plus sûre ou de donner à Hana accès à une thérapie.

Finalement, explique Walaa, elle n’a pas eu d’autre choix que d’opter pour « le dernier recours » et de marquer sa fille au fer rouge

Finalement, explique Walaa, elle n’a pas eu d’autre choix que d’opter pour « le dernier recours » et de marquer sa fille au fer rouge.

Un vieil adage arabe dit : « Le dernier remède est le marquage. » De nombreuses familles yéménites dans le besoin se sont tournées vers le marquage au fer dans une tentative désespérée de guérir leurs enfants de maladies physiques et de traumatismes psychologiques, marquant ainsi la résurgence d’un dangereux remède populaire, alors que les soins médicaux appropriés sont de plus en plus inaccessibles après quatre ans de guerre.

Une mesure désespérée

Après la frappe aérienne, Hana a commencé à souffrir de vertiges, d’insomnie, d’épuisement et d’un manque d’appétit. La nuit, la jeune fille restait éveillée dans son lit, craignant que les batailles qui faisaient rage à environ cinq kilomètres n’atteignent bientôt sa maison.

« Je reste éveillée toute la nuit à écouter les combats », confie-t-elle. « J’ai l’impression qu’ils pourraient nous tuer comme l’homme et son enfant. »

Walaa cherchait désespérément une solution pour Hana.

« J’ai essayé d’emmener ma fille à l’hôpital, mais cela m’aurait coûté si cher et nous avons du mal à trouver à manger », se justifie Walaa. « Après une semaine, j’ai emmené ma fille chez une vieille femme pour la faire marquer. »

« La vieille femme a chauffé un morceau de fer jusqu’à ce qu’il devienne rouge, puis elle l’a mis sur le ventre de ma fille. Hana a pleuré et je me suis sentie coupable », raconte encore Walaa à MEE. « Puis la vieille femme a mis du dentifrice sur le ventre en feu de ma fille pour atténuer la douleur. »

Walaa a payé la vieille femme 1 000 rials yéménites (3,50 euros), mais la souffrance de Hana est maintenant devenue double : aux blessures psychologiques laissées par la frappe aérienne s’ajoute la douleur physique et mentale provoquée par le marquage.

« La vieille femme a chauffé un morceau de fer jusqu’à ce qu’il devienne rouge, puis elle l’a mis sur le ventre de ma fille. Hana a pleuré et je me suis sentie coupable »

- Walaa Absi, mère de Hana

« Je ne crois pas que le marquage soit un traitement, mais plutôt une souffrance plus grave que la première, de sorte que les enfants oublient les mauvaises choses et ne pensent qu’à la douleur du marquage », témoigne Walaa.

Walaa a vite découvert que « des dizaines » de ses voisins avaient également soumis leurs enfants à un traitement similaire, tout en essayant de se convaincre qu’en l’absence d’alternatives, cette méthode était une bonne solution aux problèmes de leurs enfants.

Après le marquage, Hana a retrouvé un peu d’appétit, a commencé à dormir un peu plus et a cessé de parler des victimes sanglantes de la frappe aérienne. Mais son traumatisme psychologique est profondément enraciné.

Une pratique ancienne

Avant que l’accès aux médecins et aux hôpitaux ne se généralise, le marquage au fer était une pratique courante au Yémen, en particulier dans les zones rurales, où cette méthode était utilisée pour traiter des affections hépatiques chroniques ou d’autres maladies.

Umm Mohammed raconte que des dizaines de personnes viennent tous les jours chez elle à Hodeida pour se faire marquer – un traitement qui, selon elle, est plus efficace que toute autre chose. Cette octogénaire a expliqué avoir appris la pratique auprès de sa mère.

« Par le passé, il n’existait pas de médicaments ni d’hôpitaux, il n’y avait que le marquage et il n’y avait pas de prolifération de maladies comme aujourd’hui », affirme Umm Mohammed à MEE.

La femme âgée a un feu qui brûle toute la journée dans sa maison, un fer rouge est prêt pour le prochain visiteur. Elle dit qu’elle peut résister aux cris et aux pleurs des enfants et attache tous ceux qui essaient de se dégager.

Un enfant yéménite montre la marque récente sur son estomac pour « soigner » son traumatisme psychologique, recouvert de dentifrice pour faciliter le processus de guérison (MEE)

Le marquage prend environ trois minutes et se fait le plus souvent sur le dos, le ventre ou parfois à la tête.

« Le marquage est le traitement de toutes les maladies », assure Umm Mohammed. « Chaque maladie nécessite un marquage sur une zone spécifique du corps. »

Elle ajoute que de nombreuses personnes se sont adressées à elle après des visites à l’hôpital et alors que d’autres traitements médicaux ont échoué, affirmant que toutes ont guéri après avoir eu recours au marquage.

Aujourd’hui, de plus en plus de Yéménites viennent la voir à cause d’un traumatisme psychologique, poursuit Umm Mohammed, contre lequel elle prescrit un marquage sur le ventre.

« La guerre a traumatisé des milliers d’enfants – et même d’adultes –, alors j’essaie de les aider en les marquant », explique-t-elle.

Umm Mohammed précise qu’elle ne demande pas d’argent aux plus pauvres qui viennent à elle, n’acceptant que les paiements de ceux qui le lui offrent.

« Je ne prends pas d’argent des nécessiteux. Seuls ceux qui peuvent me payer 500 ou 1 000 rials (entre 1,75 et 3,50 euros), je les prends pour subvenir aux besoins de ma famille », promet-elle. « J’ai aussi une famille à nourrir. »

Un choix dangereux

Sayaf Noori, 8 ans, est un autre enfant yéménite présentant des séquelles psychologiques après avoir été témoin de combats dans le quartier al-Rabash, à Hodeida, en juillet, lorsque sa famille a fui leur domicile au milieu de violents affrontements.

Depuis, Sayaf souffre de symptômes traumatiques, notamment d’insomnie et d’une perte d’appétit, et voit parfois du sang dans ses urines.

Trop pauvre pour emmener son fils à l’hôpital alors qu’il tente de subvenir aux besoins d’une famille de sept enfants, le père de Sayaf, Saleh, l’a emmené chez un vieil homme pour le marquer.

Cependant, l’état de Sayaf ne s’est pas amélioré depuis.

« Je ne crois pas que le marquage soit un traitement, mais plutôt une souffrance plus grave que la première, de sorte que les enfants oublient les mauvaises choses et ne pensent qu’à la douleur du marquage »

- Walaa Absi

« Mon fils ne va pas mieux jusqu’à présent. Plus dangereux, il y a du sang dans ses urines », confie Saleh à MEE.

« Le vieil homme m’a dit de marquer à nouveau mon fils dans un mois s’il ne guérissait pas des effets de la peur, et je le ferai parce que je n’ai pas d’autre choix. »

Les médecins yéménites ont dénoncé la popularité croissante du marquage et estiment que cela équivaut à de la négligence de la part de certains parents lorsqu’ils remplacent des soins spécialisés.

« S’il y a du sang dans les urines, cela signifie qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec le rein ou le système urinaire de l’enfant », souligne le docteur Mustafa al-Haj à MEE. « Il doit consulter un médecin, sinon cela pourrait entraîner la mort. »

Walaa, la mère de Hana, affirme qu’elle-même et de nombreux autres parents ont eu recours au marquage parce qu’ils n’avaient aucun moyen d’avoir accès à une quelconque forme de traitement.

« J’espère que les ONG fourniront à nos enfants un traitement gratuit pour les traumatismes psychologiques et nous aideront à partir vers des zones sûres », ajoute-t-elle.

« J’en appelle les ONG car elles sont les seules à pouvoir nous aider aujourd’hui. Nous avons privé nos enfants de nombreux droits parce que nous vivons dans des zones de conflit. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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