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Détenus du hirak algérien : « Rien ne pourra compenser une minute de liberté confisquée »

Placés sous contrôle judiciaire, maintenus en détention ou désormais libérés, des membres du hirak défient toujours la justice algérienne avec l’aide de leurs avocats
Le tribunal de Sidi M’hamed (Alger-Centre) a abrité le gros des procès contre les détenus du hirak (AFP)
Par Zahra Rahmouni à ALGER, Algérie

Dimanche 27 septembre 2019, Smaïl Chebili s’attendait à faire son entrée universitaire. Au lieu de ça, l’étudiant en sixième année de médecine dentaire comparaît devant un procureur d’Alger. Deux jours plus tôt, il a été arrêté lors de la manifestation du vendredi par un policier en civil qui a repéré son drapeau berbère, noué en cache cou.

« J’ai été mis sous mandat de dépôt avant que mon procès ne soit programmé une vingtaine de jours plus tard, le 11 novembre », se souvient Smaïl, 25 ans.

Condamné en première instance à un an de prison dont six mois fermes, il voit sa peine réduite à six mois de prison dont trois fermes après l’appel effectué par ses avocats, membres du collectif de défense des détenus. Le 29 décembre 2019, il quitte la prison d’El Harrach (banlieue-est d’Alger) après avoir purgé sa peine. Depuis, Smaïl a pu reprendre ses études et maintient ses revendications.

« Je ne le regrette en rien »

Avec d’autres détenus libérés, dont Nour el-Houda Dahmani, étudiante devenue une icône du hirak, ils se battent désormais pour leur réhabilitation.

« On a introduit un pourvoi à la Cour suprême pour être réhabilités et indemnisés afin que notre casier judiciaire soit vierge, mais rien ne pourra compenser une journée, une heure, une minute de liberté confisquée. Tout ce que l’on a fait c’est pour notre Algérie et je ne le regrette en rien », explique Smaïl Chebili.

« Il y en a qui ont été libérés mais bien sûr, ils ont raté un semestre ou une année »

- Aouicha Bekhti, avocate

« Il y en a qui ont été libérés mais bien sûr, ils ont raté un semestre ou une année », indique Aouicha Bekhti, avocate et membre du collectif de défense des détenus, en évoquant le cas des étudiants emprisonnés pour leur activité lors du hirak.

Certains d’entre eux sont sous contrôle judiciaire et souffrent depuis plusieurs mois de leurs déboires avec la justice.

« Après mon interpellation, le mardi 8 octobre, je devais pointer un jeudi sur deux, à 9 h, à Baïnem [à l’ouest d’Alger] alors que j’étudie à Bab Ezzouar… Imaginez les déplacements… », raconte Fouad Bachene, étudiant en deuxième année de master, placé sous contrôle judiciaire « pour attroupement non armé, désobéissance et atteinte à l’ordre public ». Ce jeune de 24 ans attend toujours son procès, fixé au 25 mars.

Pas de confiance en la justice

Dans son cas, cet « acharnement » serait le résultat, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), d’une action de contestation menée durant l’été dernier, quand avec d’autres étudiants, il avait perturbé la réunion du panel de médiation coordonné par Karim Younes.

Le 7 août 2019, Fouad Bachene et d’autres étudiants avaient interpellé directement l’ancien coordinateur du panel – récemment nommé médiateur de la République, instance créée « pour veiller au respect des droits des citoyens par les institutions de l’État et les collectivités locales » – en affirmant devant les caméras de télévision leur rejet du dialogue avec « la bande au pouvoir ».

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« Je n’ai pas 100 % confiance en la justice. Mon avocat m’a dit qu’il ne devrait pas y avoir de problème, mais tout est possible », explique aujourd’hui Fouad, toujours inquiet pour la suite de son année universitaire. Malgré ses problèmes avec la justice, il n’envisage pas de faire marche arrière.

Même si les principales figures de l’ancien régime ne sont plus au pouvoir, il considère que les revendications « pour une transition démocratique » n’ont pas été entendues. Comme les autres manifestants, il dénonce « le manque d’indépendance de la justice et la poursuite de la répression ».

Ces derniers mois, des détenus ont été relâchés au compte-gouttes avant une grande vague de libération, jeudi 2 janvier. Ce jour-là, 76 personnes ont recouvré la liberté après avoir passé plusieurs mois en détention.

« C’est la preuve sine qua non d’une justice aux ordres, à laquelle on arrive à faire faire n’importe quoi au mépris des règles juridiques qui régissent la matière », dénonce Fetta Sadat, avocate et députée du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un parti d’opposition. 

« Il s’agit d’une volonté de faire croire à de prétendues mesures d’apaisement. C’est un grossier coup médiatique car les arrestations et poursuites judiciaires ne cessent pas. » D’autant plus que ces ex-détenus ne sont pas blanchis pour autant, soulignent plusieurs avocats.

« Leur libération, acquittement et réhabilitation restent l’une des revendications du mouvement mais rien n’est fait dans ce sens. Il n’y a pas d’avancée car il n’y a pas de reconnaissance officielle du caractère abusif de la détention », indique encore Abdelmoumene Khelil, secrétaire général de la Ligue algérienne des droits de l’homme.

« Il ne peut y avoir d’ouverture d’un processus démocratique authentique sans l’arrêt de la répression »

-  Fetta Sadat, avocate et députée de l’opposition

Pas de réhabilitation ni indemnisation possible sans relaxe préalable, souligne pour sa part l’avocate Aouicha Bekhti. 

« À Alger, il n’y a pas eu de relaxe mis à part pour cinq personnes jugées par le tribunal de Bab El Oued lors de la première audience en novembre 2019. Mais le procureur a fait appel donc nous n’en avons pas fini, ils sont toujours poursuivis. Pour la plupart, les affaires sont soit en appel, soit auprès de la Cour suprême. Dans certains cas, les personnes ne sont même pas encore jugées en première instance », précise-elle.

1 345 poursuites judiciaires

Samir Belarbi, militant de longue date et figure du hirak a, lui, été acquitté lundi 3 février après plus de quatre mois en détention provisoire avant que le procureur d’un tribunal d’Alger n’introduise un appel contre sa relaxe, mercredi 12 février.

Sa libération, un temps considérée comme un signe d’apaisement, fait partie d’une longue suite de signaux contradictoires émanant du pouvoir.

Depuis le début de la contestation populaire du 22 février 2019, les ONG et associations de défense des droits de l’homme peinent à tenir un décompte précis des manifestants, militants, journaliste et étudiant arrêtés pendant ou en marge des manifestations.

Ils seraient toujours 50 à être maintenus en détention à travers le pays alors que 1 345 poursuites judiciaires liées au mouvement sont toujours en cours, selon le CNLD.

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Récemment, Kaci Tansaout, coordinateur de cette organisation formée en août 2019, appelait à engager la bataille pour la réhabilitation des détenus.

Une demande qui avait également été formulée, samedi 25 janvier à Alger, par des partis politiques et membres de la société civile réunis lors des assises nationales pour l’Alternative démocratique et la souveraineté populaire. Dans leur « plateforme pour l’aboutissement de la révolution », les signataires en ont fait une priorité.  

« Il s’agit d’une demande de réhabilitation qui implique que le pouvoir reconnaisse de fait ses erreurs, fasse son mea culpa et donc présente des excuses et sollicite le pardon », indique Fetta Sadat, l’une des signataires. 

« Il ne peut y avoir d’ouverture d’un processus démocratique authentique sans l’arrêt de la répression, la libération de tous les détenus d’opinion et en corollaire l’indemnisation, plus la réhabilitation des personnes détenues et poursuivies judiciairement. La concrétisation de cette exigence s’intègre dans le cadre du combat pour l’instauration d’un État de droit », estime l’opposante et avocate. 

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