Les oléiculteurs égyptiens ressentent le souffle du changement climatique
Reda Hassanein compte ses pertes après une saison de récolte décevante.
Cet agriculteur égyptien n’a récolté que six tonnes d’olives dans son exploitation de près de 25 hectares, située dans une zone désertique entre la capitale égyptienne, Le Caire, et le gouvernorat d’Ismaïlia, dans le nord-est du pays – cela ne représente qu’une fraction de ce qu’il a récolté l’année dernière.
« C’est une perte énorme », confie Reda Hassanein à Middle East Eye. « C’est bien plus que ce que je peux encaisser. »
Avec une production annuelle de 450 000 tonnes, l’Égypte est le deuxième plus grand producteur mondial d’olives de table après l’Union européenne. Le pays le plus peuplé du monde arabe a consacré cette année près de 100 000 hectares de ses terres agricoles à l’oléiculture, soit un peu plus qu’en 2020.
Cependant, la production de cette année ne devrait représenter qu’une fraction des récoltes des années précédentes, une situation que les scientifiques attribuent au changement climatique, dont l’impact sur l’agriculture égyptienne ne devrait que s’aggraver dans les années à venir.
La plupart des exploitations oléicoles égyptiennes se concentrent dans des zones désertiques, notamment dans le Sinaï, dans la ville côtière de Marsa Matrouh (nord-ouest du pays) ainsi que dans le gouvernorat de la Nouvelle-Vallée, dans le désert occidental.
La saison de la récolte des olives commence généralement en septembre et dure jusqu’en novembre. Mais le climat du pays devient plus chaud en été et plus froid en hiver, ce qui se répercute lourdement sur la production d’olives.
« Les conditions météorologiques sont de plus en plus rudes depuis quelques années », indique à MEE Mohamed Fahim, directeur du Centre de lutte contre le changement climatique affilié au ministère égyptien de l’Agriculture. Cela a un impact très important sur le secteur agricole dans son ensemble. »
La tonne à 827 dollars
Selon les estimations des spécialistes, la production d’olives a chuté de plus de 30 % cette année en raison de facteurs largement imputés au changement climatique, notamment en ce qui concerne les variétés étrangères.
En plus d’affecter les agriculteurs comme Reda Hassanein, la mauvaise récolte a également entraîné une hausse du prix des olives sur le marché local.
La tonne d’olives se vend désormais 827 dollars sur le marché local, soit une hausse de près de 45 % par rapport aux 573 dollars enregistrés l’année dernière, selon Hussein Abu Saddam, président du Syndicat des agriculteurs.
Il y a quelques mois, l’Égypte a été choquée de voir la majeure partie de sa récolte de mangues se dessécher et succomber à une vague de chaleur estivale. Certaines exploitations d’Ismaïlia, plaque tournante du marché de la mangue, ont perdu 60 % de leurs fruits
Les olives ne sont pas la seule culture égyptienne à être touchée par le réchauffement climatique. Le secteur agricole est particulièrement vulnérable aux changements environnementaux qui affectent les moyens de subsistance des agriculteurs et mettent en péril la sécurité alimentaire du pays.
Il y a quelques mois, l’Égypte a été choquée de voir la majeure partie de sa récolte de mangues se dessécher et succomber à une vague de chaleur estivale. Certaines exploitations d’Ismaïlia, plaque tournante du marché de la mangue, ont perdu 60 % de leurs fruits, ce qui a eu des conséquences financières dévastatrices pour les agriculteurs.
La liste des cultures qui devraient être victimes du changement climatique ne fera que s’allonger, préviennent les spécialistes.
« Le changement climatique infligera un très lourd tribut à un grand nombre de cultures dans notre pays », indique à MEE Ahmed Helmy, chercheur principal à l’Institut de recherche sur l’horticulture, géré par le gouvernement, qui conseille ce dernier au sujet des meilleures pratiques agricoles.
Certaines cultures devront commencer plus tôt ou plus tard que d’habitude en raison de la hausse des températures en été, tandis que d’autres pourraient disparaître complètement, poursuit-il.
Alors que les scientifiques parlent depuis des années de l’impact dévastateur du réchauffement climatique, les autorités égyptiennes n’ont pris aucune mesure sérieuse pour s’attaquer au problème jusqu’à très récemment.
Le Conseil national de lutte contre le changement climatique a été créé en novembre 2015 dans le but déclaré de formuler une stratégie globale d’adaptation au changement climatique, notamment des plans d’action et des budgets pour les organismes d’État afin de mettre en œuvre cette stratégie.
Jusqu’en 2018, cependant, pas un centime du budget égyptien consacré à l’action contre le changement climatique n’avait été alloué, selon Hussein Essa, ancien chef de la commission parlementaire du budget et de la planification.
En avril, la ministre de l’Environnement, Yasmine Fouad, a publié une liste des priorités environnementales de l’Égypte, notamment la protection du littoral, des ressources en eau et des terres agricoles contre les effets attendus du réchauffement climatique. Mais elle a fait allusion à des difficultés dans le financement du plan et appelé les puissances mondiales à apporter leur aide.
Un littoral menacé
Le changement climatique devrait frapper l’Égypte de plein fouet au cours des prochaines décennies. L’élévation du niveau de la mer devrait submerger les villes côtières du pays et ravager les parties du delta du Nil situées en basse altitude.
Selon certaines estimations, près de 15 % des plus de 4 millions d’hectares de terres agricoles égyptiennes pourraient être submergés dans le delta du Nil, épicentre de la production alimentaire du pays.
« Six des régions les plus importantes du delta seront touchées par l’élévation du niveau de la mer. Ce même scénario augmentera la salinité des sols, ce qui aura également des effets dévastateurs »
– Mohamed Fahim, directeur du Centre de lutte contre le changement climatique
« Six des régions les plus importantes du delta seront touchées par l’élévation du niveau de la mer. Ce même scénario augmentera la salinité des sols, ce qui aura également des effets dévastateurs. »
Le changement climatique devrait également mettre sous pression les ressources en eau de l’Égypte en provoquant des épisodes de sécheresse répétés dans certaines parties du pays, tandis que d’autres régions pourraient connaître des inondations récurrentes, comme l’a indiqué en octobre le ministre de l’Irrigation Mohamed Abdel Aty.
« La quantité d’eau de pluie qui tombait habituellement sur notre pays en un mois pourrait s’abattre en deux heures », a déclaré le ministre à une chaîne de télévision locale le 23 octobre. « Cela entraînera des inondations et l’effondrement de bâtiments ».
Mohamed Abdel Aty a révélé que Le Caire avait alloué 50 milliards de dollars sur les vingt prochaines années à un plan national pour l’eau, axé notamment sur le dessalement de l’eau de mer et le traitement des eaux usées. Le plan pourrait se chiffrer au total à 100 milliards de dollars, a-t-il précisé.
L’apocalypse arrive
Les pluies torrentielles et les inondations sont déjà devenues une réalité dans certaines parties de l’Égypte, notamment le long du littoral.
Plusieurs projets sont déjà mis en œuvre par le gouvernement pour la protection du littoral et du delta du Nil.
Par ailleurs, des centres de recherche du pays étudient activement des solutions pour s’adapter à l’augmentation de la salinité de l’eau et aux températures plus élevées afin d’atténuer les effets négatifs de ces phénomènes sur l’agriculture.
En attendant, les agriculteurs comme Reda Hassanein se retrouvent dans l’œil du cyclone.
L’agriculteur égyptien misait sur la récolte d’olives de cette année pour rembourser certaines de ses dettes envers une banque d’État, qui prête de l’argent aux agriculteurs à un faible taux d’intérêt, ainsi que pour résoudre certains des problèmes financiers de ses enfants.
« Les pertes anéantissent tous ces espoirs », déplore-t-il.
Bien qu’il ait anticipé dès le début de l’année les effets de la chaleur estivale sur la récolte, il n’a pas pu faire grand-chose.
« J’ai fait tout ce qui était possible pour éviter que la chaleur ne détruise les cultures », assure Reda Hassanein. « Mais cela n’a pas empêché la crise. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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