Aller au contenu principal

L’Égypte connaît un pic de chasse au requin après plusieurs attaques de touristes

Des Égyptiens se vantent d’attraper et de tuer des squales, mais les experts préviennent que cette pratique en plein essor pourrait nuire à la vie marine et au tourisme
La surpêche pourrait perturber la présence de certains poissons, avertissent des experts égyptiens (AFP)
Par Correspondant de MEE à LE CAIRE, Égypte

Une nouvelle tendance se répand chez certains Égyptiens : la chasse au requin.

Depuis qu’un requin tigre a mutilé à mort un touriste russe de 23 ans au large de la station balnéaire de Hurghada, sur la mer Rouge, en juin, un nombre croissant d’Égyptiens attrapent les squales et les tuent. 

Certains s’en vantent même publiquement.

« Vous voyez ce requin ici », dit à la caméra un jeune homme tenant un petit requin près de la plage.

« Il a essayé de m’attaquer en mer », affirme-t-il. « Mais personne ne peut prendre le dessus sur les Égyptiens. »

Il s’agit de l’une des nombreuses vidéos partagées récemment sur les réseaux sociaux égyptiens, montrant des gens se vanter d’attraper des requins.

Mais cette pratique en plein essor fait craindre aux experts des dommages irréparables sur la faune et flore marines au large des côtes égyptiennes.

« Attraper et tuer des requins dévaste la vie marine », explique Ehab Hamdi, défenseur de la vie marine, à Middle East Eye. « On constate un pic notable de cette pratique, qui est honteuse et dangereuse. »

La peur des attaques de requins règne chez les vacanciers locaux et étrangers après le décès du touriste russe début juin.

Quelques heures après l’attaque, des pêcheurs locaux ont attrapé le requin qui a causé sa mort et l’ont sauvagement tué, apparemment pour réconforter les touristes et vacanciers paniqués. 

« La surpêche peut mettre fin à la présence de certaines espèces de poissons, en particulier les requins »

- Sahar Mehana, biologiste marin

Le requin devrait être momifié et exposé dans un musée.  

Néanmoins, cet incident a suscité une vague de condamnations et de mises en garde contre les effets dévastateurs d’une campagne débridée contre les requins. 

Selon certains, cela s’inscrit dans un problème plus large d’atteinte à la faune et flore marines dans le pays. 

Un journal local a publié une vidéo plus tôt ce mois-ci montrant un pêcheur jubilant de posséder une tortue de mer. 

Quelques jours plus tard, un défenseur de la vie marine a publié une photo d’un poissonnier proposant plusieurs petits requins à la vente dans la ville de Suez, sur la mer Rouge. 

« Cela conduit à des déséquilibres dangereux des écosystèmes marins, étant donné que les requins sont un composant de base de ces systèmes », explique à MEE Sahar Mehana, biologiste marin à l’Institut national d’océanographie et de pêche, le principal organisme de surveillance de la vie marine en Égypte. 

« La surpêche peut mettre fin à la présence de certaines espèces de poissons, en particulier les requins », prévient-elle. 

Les autorités exhortées à agir

Bien que les attaques de requins soient rares au large des côtes égyptiennes, l’incident début juin au large de Hurghada n’était pas le premier. 

En 2010, un requin a tué une Allemande qui nageait près du rivage de la station balnéaire de Charm el-Cheikh, sur la mer Rouge, attirant l’attention sur le fait que les côtes égyptiennes pourraient désormais être à la portée de requins meurtriers. 

L’année dernière, une Roumaine et une Autrichienne ont été tuées en l’espace de trois jours dans deux attaques de requins distinctes au large de Hurghada. 

À l’époque, les autorités locales avaient imputé les attaques au déversement d’animaux morts dans la mer par des marins se déplaçant dans la région, attirant des requins meurtriers plus près du rivage. 

Mais à la suite du dernier incident, les autorités sont exhortées à prendre davantage de mesures pour protéger à la fois les touristes et la vie marine.  

Un employé se tient sur une plage fermée après la mort d’un citoyen russe dans une attaque de requin près de la station balnéaire égyptienne de Hurghada, sur la mer Rouge, le 9 juin 2023 (Reuters)
Un employé se tient sur une plage fermée après la mort d’un citoyen russe dans une attaque de requin près de la station balnéaire égyptienne de Hurghada, sur la mer Rouge, le 9 juin 2023 (Reuters)

Dans la foulée, le ministère de l’Environnement a annoncé l’installation de dispositifs de surveillance pour suivre les mouvements des requins et prévenir les attaques contre les touristes.

Par ailleurs, les autorités ont déclaré qu’elles s’efforceraient de prévenir les atteintes commises contre les créatures marines par la population locale.

En mai, le gouverneur de la mer Rouge a interdit la pêche récréative et la vente de poissons et d’espèces marines de la mer Rouge sur les marchés.

Or, d’après le député Mohamed al-Gabalawi, membre de la commission de l’Environnement et de l’Énergie au Parlement égyptien, il reste encore beaucoup à faire. 

« Je pense que les autorités environnementales doivent redoubler d’efforts pour prévenir de telles atteintes », déclare-t-il à MEE.

En outre, il faut changer la perception du public sur la faune et flore marines, selon Sahar Mehana. Tant qu’il n’y aura pas de réel changement dans les comportements du public, la répression des atteintes commises par la population demeurera de l’encre sur du papier, estime-t-elle.

« Je pense que nous avons cruellement besoin de promouvoir une nouvelle culture sur l’importance de protéger la vie et les espèces marines », déclare la spécialiste à MEE

« Sans cela, l’action officielle [ne suffira] pas, et les atteintes continueront de se produire. »

Impact sur le tourisme

La faune et flore marines, en particulier les récifs coralliens, constituent une attraction majeure au large des côtes égyptiennes, un aimant pour un grand nombre de touristes qui viennent pour plonger dans la mer Rouge chaque année. 

Le secteur du tourisme est une importante source de devises étrangères pour l’Égypte, représentant environ 12 % du produit intérieur brut du pays et employant environ 9,5 % des actifs en 2018. 

Le secteur a souffert de l’invasion russe de l’Ukraine, les citoyens de ces deux pays représentant jusqu’à près d’un tiers de tous les touristes visitant l’Égypte certaines années. 

Égypte : pourquoi un requin tigre a attaqué un nageur russe
Lire

Ces derniers mois, le secteur touristique local a commencé à se redresser.

Environ sept millions de personnes ont visité l’Égypte au cours du premier semestre 2023, selon le ministre du Tourisme.

L’Égypte aspire à attirer jusqu’à 15 millions de touristes d’ici la fin de l’année, alors qu’elle s’efforce d’augmenter ses recettes en devises étrangères dans un contexte de difficultés économiques majeures, en partie causées par la guerre en Ukraine. 

L’abattage des requins peut toutefois aggraver les souffrances du secteur du tourisme et ternir la réputation internationale de l’Égypte, affirment les spécialistes. 

« Le message que vous envoyez à travers le monde en tuant les requins est que vous ne vous souciez pas du tout de la vie ou des créatures marines », déclare à MEE Magdi Selim, spécialiste indépendant du tourisme.

« Les touristes, dont la plupart viennent ici pour profiter des paysages de haute mer, cesseront sûrement de venir. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].