Egypte : les réfugiés syriens en difficulté face à la crise budgétaire de l’ONU
LE CAIRE – « Cet endroit était plein de vie », raconte la coordinatrice de l’association Souriyat, Jan Abaza, en marchant dans les salles désertes du centre social pour réfugiées syriennes à Héliopolis, au Caire. Jusqu’à la semaine dernière, le centre Souriyat résonnait des bruits des enfants qui jouaient et les salles étaient remplies de femmes apprenant des savoir-faire, assistant aux sessions de soutien psychologique ou discutant entre elles.
Or, depuis que les fonds que le centre recevait du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) par le biais de l’Organisation arabe pour les droits de l’homme (OADH) ont été coupés, les services qu’il offrait ont été réduits au minimum.
Il y a très peu de centres sociaux pour les réfugiées syriennes au Caire. Souriyat existe depuis sept mois seulement et gère des projets de formation professionnelle destinés aux femmes les plus vulnérables – souvent celles qui élèvent seules leurs enfants, qui ont reçu peu d’éducation et ont des difficultés à trouver un emploi – afin de leur enseigner des compétences. La coupe des financements a entrainé l’abandon des petits projets de coiffure et de cuisine syrienne. Un projet de couture et de broderie – qui permet aux participantes de recevoir un petit revenu en confectionnant des sacs et des porte-monnaie qui sont ensuite vendus dans les bazars – représentait un soutien pour vingt-deux femmes ; maintenant le projeta été divisé par trois, et le salaire fortement réduit.
Nour*, quarante-et-un ans et mère de trois enfants, a perdu son mari dans la guerre. « Avant d’arriver ici, j’avais beaucoup de difficultés à rencontrer des gens – Syriens ou Egyptiens », explique-t-elle. « Le fait d’être une réfugiée me déprimait et venir au centre m’a encouragée à affronter la vie et m’a aidée à m’en sortir et à travailler. » Nour a appris à broder et à coudre et cela lui a permis de gagner un peu d’argent pour sa famille. Désormais, elle n’a plus de revenu. Bien qu’elle ait décidé de continuer à coudre à la maison, il lui sera difficile de le faire sans le soutien matériel, social et psychologique du centre. « J’ai perdu ma stabilité », confie-t-elle.
Shaimaa, trente-six ans, continuera à travailler au centre mais avec un salaire considérablement réduit. « Avec mon salaire, je pouvais payer mon loyer. Maintenant, ce que je gagne n’est pas assez », déplore-t-elle. Shaimaa a des enfants à sa charge et son mari est en Suède et ne peut pas travailler. En décembre, ses coupons alimentaires du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été réduits, passant de 200 EGP par personne et par mois à 120 EGP. Les coupons ne peuvent être utilisés que chez Carrefour – un supermarché haut de gamme et onéreux du Caire. Du fait de l’inflation, les prix n’ont cessé d’augmenter alors que la valeur des coupons a presque été divisée par deux. « Nous vivions déjà au seuil minimum », affirme Shaimaa, ajoutant qu’elle a dû s’adapter en achetant des produits alimentaires d’une qualité encore inférieure et en survivant avec moins.
Les coupes dans les financements touchent aussi les services à l’enfance. Souriyat a suspendu son « Club du samedi » qui organisait des voyages et des activités pour environ soixante enfants.
Contrairement à Souriyat, le centre Tadamon pour réfugiés syriens, situé dans le quartier de Faisal au Caire, résonne du bruit des enfants courant partout joyeusement. Dans la cour poussiéreuse qui sert de terrain de jeux, un groupe d’enfants est occupé à assembler une table de ping-pong cassée. Le centre offre des formations et des activités aux familles syriennes, attachant une importance particulière à l’éducation.
Pourtant, bien que le centre paraisse très actif, il a été contraint de réduire ses services depuis qu’il a cessé de recevoir les fonds du HCR le 1er janvier 2015. Le coordinateur général du centre, Alaa al-Kraidy, explique que le HCR l’a informé que cette décision était due au manque de fonds. Tout le personnel du centre travaille désormais sans recevoir de salaire, ajoute-t-il, et beaucoup ont dû partir pour trouver un autre emploi. Le centre doit encore trouver d’autres sources de financement.
« Nous ne pouvons pas assurer nos services à tous ceux qui en ont besoin car nous n’avons pas assez d’argent », indique al-Kraidy. « La qualité des services est aussi en baisse. »
Alaa Al-Kraidy raconte qu’auparavant le centre offrait des cours à environ quatre-vingt enfants syriens qui n’avaient pas la possibilité de s’inscrire à l’école à cause du manque de places et des difficultés à obtenir des permis de séjour. Suite aux coupes budgétaires, le nombre d’enfants non inscrits à l’école qui suivent les cours du centre a presque été divisé par deux – les autres restent à la maison. Cela aura un énorme impact sur l’éducation et l’équilibre psychologique des enfants, affirme al-Kraidy. « Cela affecte leur avenir, ainsi que celui de toute la famille. »
La crise budgétaire des Nations unies
Alors que le conflit syrien entre dans sa cinquième année, le HCR a appelé à un soutien international plus important pour les réfugiés syriens. Le HCR a recensé près de quatre millions de réfugiés syriens ayant fui les violences depuis la révolte contre le président syrien Bachar al-Assad, qui a débuté en mars 2011. Plus de 136 000 sont enregistrés en Egypte – bien que le chiffre réel soit probablement plus élevé.
A la fin de l’année dernière, le HCR avait collecté seulement 54 % des fonds nécessaires à l’assistance des réfugiés syriens hors de Syrie. Une série de crises dans des pays comme l’Irak, le Nigeria et la République centrafricaine ont aussi contribué à mettre à dure épreuve sa capacité à fournir l’aide humanitaire, affirme un porte-parole du HCR.
Actuellement, la majeure partie des fonds du HCR provient des gouvernements. « Une sorte de ‘’fatigue des donateurs’’ se manifeste à cause de la durée de la crise [syrienne] et du fait qu’on n’en voit pas la fin », ajoute le porte-parole du HCR.
D’après lui, le budget opérationnel du HCR pour la Syrie fait face à une réduction de l’ordre de 30 %, ce qui s’est traduit par une coupe du même ordre dans le financement des organismes communautaires syriens en Egypte. Le HCR fournit actuellement une aide financière à seulement 26 000 réfugiés syriens en Egypte, contre 56 000 début 2014.
Le HCR affirme se concentrer sur « l’aide vitale » pour les réfugiés les plus vulnérables et cibler de plus en plus les fonds provenant du secteur privé ainsi que les donations individuelles afin d’augmenter ses capacités.
Amina al-Korey, chargée de communication au PAM, affirme que la réduction de 40 % des aides sous forme de coupons alimentaires pour 80 000 réfugiés syriens et 3 500 Palestiniens-Syriens en Egypte est aussi le résultat de la pénurie de fonds exacerbée par la durée du conflit. « La valeur des coupons garantit encore aux réfugiés le nombre minimum de calories dont ils ont besoin pour mener une vie saine mais cela limite indubitablement le choix des produits alimentaires qu’ils peuvent acheter. Une évaluation de la vulnérabilité des réfugiés syriens en Egypte est en cours afin de déterminer leurs niveaux de vulnérabilité et d’insécurité alimentaire », précise-t-elle.
Ces réductions budgétaires accroissent la pression sur de nombreux réfugiés syriens en situation déjà précaire en Egypte. Beaucoup d’entre eux sont dans l’impossibilité d’obtenir un permis de séjour ou de renouveler leurs documents de voyage. Les Syriens rencontrent désormais des difficultés à obtenir un visa pour entrer en Egypte, ce qui entraîne la séparation de beaucoup de familles. De nombreux réfugiés syriens se plaignent des mauvaises conditions d’hébergement, du manque d’accès aux soins de santé et à l’éducation, d’une attitude hostile à leur égard et de l’exploitation économique dont ils souffrent en Egypte - de longues heures de travail, dans des emplois subalternes et mal payés – alors que d’autres ne parviennent tout simplement pas à trouver de travail.
Des voyages périlleux
Le porte-parole du HCR affirme que les organismes communautaires sont parfois trop ambitieux quant à leurs objectifs et devraient plutôt chercher à construire un modèle viable à long terme en diversifiant leurs sources de financement. Il ajoute que dans certains cas, des facteurs autres que le manque de fonds expliquent la décision de couper le financement de certaines organisations.
Jan Abaza raconte que le HCR l’a informée que la réduction des financements dont bénéficiait Souriyat étaie due à un manque de fonds. Elle reconnaît qu’il est nécessaire de changer le modèle de gestion de son association afin de diversifier ses financements, mais elle affirme qu’il s’est avéré difficile de trouver des donateurs qui ne soient pas inspirés par des programmes politiques ou religieux. Le HCR continuera à payer le loyer de Souriyat pour le reste de l’année, ainsi que le salaire de Jan Abaza et le projet de broderie, fortement réduit. Pour les autres activités, il ne reste plus grand-chose.
Jan Abaza ajoute que Souriyat devra s’appuyer davantage sur le travail des bénévoles et coopérer plus étroitement avec les organisations égyptiennes. « Ceci est important et c’est ce que nous avions planifié, nous avions juste besoin de plus de temps. J’avais besoin d’un an de soutien financier du HCR pour payer nos salaires afin que nous puissions nous établir, » explique-t-elle.
Entre-temps, à la veille du quatrième anniversaire de la révolte syrienne, le sentiment de désespoir croissant a poussé un certain nombre de familles de réfugiés syriens vers des choix dangereux.
Jan Abaza connaît de nombreuses personnes qui ont quitté l’Egypte par la mer et certains qui sont morts en tentant la dangereuse traversée, mais elle a été capable de convaincre de nombreuses femmes de rester. Cependant, le récent durcissement de leurs conditions de vie incite beaucoup d’entre elles à reconsidérer la possibilité de quitter l’Egypte par bateau.
Shaimaa était sur le point de prendre un bateau avec ses enfants pour rejoindre son mari en Suède, mais elle a ensuite commencé à travailler chez Souriyat : « J’ai perdu plus de la moitié de mon envie de partir car c’était devenu stable pour moi ici ; je pouvais travailler et vivre avec mes enfants, jusqu’à ce que mon mari obtienne les papiers ». Maintenant que son salaire et le soutien du PAM ont été réduits, elle a de nouveau envie de quitter l’Egypte, malgré les risques.
Nour a perdu la totalité de son salaire et est maintenant en train d’organiser son retour en Syrie avec sa fille adulte et ses deux jeunes fils, même si sa famille provient d’une zone de Homs qui a été dévastée par la guerre et si la situation en Syrie continue de se détériorer. « [Au moins] nous serons avec le reste de notre famille là-bas. »
* Le nom a été modifié à la requête de la personne interviewée afin de protéger son identité.
Traduction de l'anglais (original).
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