Élections israéliennes : Netanyahou et Lieberman se disputent le « vote russe »
Peu après avoir été contraint d’annoncer la tenue de nouvelles élections législatives le 17 septembre prochain en raison de son échec à obtenir une majorité confortable lors des législatives d’avril, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a fait deux déclarations.
Tout d’abord, il a qualifié Avigdor Lieberman, d’origine soviétique et chef du parti nationaliste laïc de droite Israel Beytenou, de « gauchiste ». Deuxièmement, il a annoncé, de manière menaçante, qu’il investirait 50 millions de shekels (près de 13 millions d’euros) dans une campagne visant à courtiser l’électorat russo-israélien.
Ces deux déclarations se complètent.
Lieberman, immigré de Moldavie, dirige ce qui est encore considéré comme un parti sectaire « russe » en Israël. Lors des élections d’avril, cet électorat ne lui a rapporté que 5 sièges sur 120 au Parlement israélien, la Knesset, mais il est toujours perçu comme son clan.
Netanyahou, sans doute celui qui mène la meilleure campagne électorale, s’aventure en territoire inconnu en partant à la conquête du vote russe en solo. En fait, il n’a jamais vraiment eu à convaincre l’électorat russe du pays car celui-ci est généralement venu à lui par affinité pour Lieberman.
Pendant des années, Avigdor Lieberman a opéré comme sous-traitant de Netanyahou en ce qui concerne le vote russe. C’était la nature du pacte tacite de non-agression entre les deux politiciens : vous ne m’attaquez pas, j’apporte mes voix à votre coalition.
Cependant, le refus de Lieberman de rejoindre la coalition de Netanyahou en avril et la tentative subséquente du Premier ministre d’empiéter sur le territoire de Lieberman n’étaient rien de moins qu’une déclaration de guerre.
Alors que le fossé se creuse entre Lieberman et Netanyahou à l’approche des élections, la communauté russophone israélienne se trouve au centre de cette bataille d’influence.
Le « vote russe »
Avec près d’un million d’immigrés de l’ex-Union soviétique en Israël, soit un bloc d’environ 15-16 sièges au Parlement, la communauté russe se trouve naturellement au cœur de cette lutte pour le pouvoir.
Largement considérés comme des électeurs de droite, les russophones représentent un vote décisif en Israël, quoi que moins engagés sur le plan politique. Au cours des trente années qui ont suivi la première vague de migration massive en provenance de l’Union soviétique, au moment où l’URSS était en pleine désintégration, leur vote a porté au pouvoir le Premier ministre Yitzhak Rabin en 1992. Ce faisant, ils ont permis la signature des accords d’Oslo – pour s’y opposer farouchement un an plus tard.
Lors des élections suivantes, la communauté russe a voté pour Netanyahou, puis pour Ehud Barak, chef à l’époque du Parti travailliste, ensuite pour Ariel Sharon, l’architecte du désengagement de Gaza, et enfin à nouveau pour Netanyahou.
Qu’importe celui qu’ils choisissent de suivre, une chose semble claire : vous ne pouvez pas devenir Premier ministre en Israël sans ce qu’on appelle, dans le jargon populaire, « le vote russe ».
Depuis qu’il a fondé son parti en 1999, Avigdor Lieberman jongle entre sa « base » en tant que parti sectaire et le désir naturel de devenir un parti entièrement israélien.
En tant que chef de parti depuis plus de deux décennies, il n’a cessé d’osciller entre ces deux options très différentes.
Entre l’élection d’avril et celle de septembre, il a semblé réussir des deux côtés : jusqu’à présent, malgré l’investissement financier et personnel sans précédent de Netanyahou, de récents sondages prédisent que Lieberman a réussi à débaucher suffisamment d’électeurs russes du Likoud de Netanyahou pour remporter deux à trois sièges à la Knesset.
Une histoire complexe
Pour ceux qui connaissent bien la scène politique israélienne, Benyamin Netanyahou, comme la plupart des politiciens israéliens de tous bords, semble ignorer la sensibilité et la mentalité de cette population.
Lorsque des milliers d’immigrants ont débarqué en Israël après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, la droite comme la gauche de l’échiquier politique israélien ont supposé que leurs votes leur appartiendraient.
La droite a fondé son hypothèse sur les penchants politiques d’une vague précédente d’immigrants principalement religieux et ardemment sionistes venus de l’URSS dans les années 1970.
La gauche a en revanche fondé ses attentes sur le profil socio-économique des nouveaux arrivants : des juifs ashkénazes ayant fait des études supérieures, qu’ils ont instinctivement inclus dans leur cercle politique.
Toutefois, les immigrants des années 1990 étaient différents des vagues précédentes. La plupart d’entre eux n’étaient ni religieux ni particulièrement sionistes. Pour beaucoup d’entre eux, les États-Unis, et non Israël, étaient leur premier choix de destination. Ils voulaient tout simplement quitter l’Union soviétique après son effondrement.
Israël a dû travailler dur pour faire pression sur l’administration américaine afin de « fermer les portes » des États-Unis, laissant ainsi peu d’options pour les juifs russes que de venir en Israël.
Cette nouvelle génération, qui avait connu un régime oppressif et l’effondrement d’un empire, est arrivée en Israël à la fois ignorante et désireuse de faire ses propres choix – et c’est ce qu’elle a fait.
Contrairement à d’autres vagues d’immigration avant eux, ces nouveaux Israéliens sont venus pour diriger, et pas seulement pour s’intégrer.
L’impact de ces millions d’immigrés sur les sphères politiques et sociales israéliennes a été énorme, créant un grand camp laïc-nationaliste enraciné dans la tradition politique soviétique.
L’un des fondements de la psychologie politique soviétique et post-soviétique a été décrit comme le besoin constant de se positionner contre un « ennemi ». En Israël, il n’a pas été nécessaire de regarder bien loin : les Palestiniens des deux côtés de la ligne verte ont été désignés comme des ennemis jurés.
Lieberman a ainsi façonné sa carrière politique en s’en prenant verbalement aux citoyens palestiniens d’Israël et à leurs représentants politiques, se référant souvent à eux comme une « cinquième colonne » et en clamant qu’ils n’avaient pas leur place à la Knesset.
Bien qu’elle ne soit pas réservée aux Israéliens russophones, cette attitude qui a constitué la base du programme électoral de Lieberman a été très populaire au sein de la communauté.
L’essor de la politique religieuse
Cependant, les prochaines élections sont très différentes. Alors que les Palestiniens restent l’éternel ennemi en arrière-plan, l’influence croissante du judaïsme orthodoxe et ultra-orthodoxe et de ses représentants dans la politique israélienne est devenue une question centrale.
Cela sert bien Lieberman et son électorat. Alors que de nombreux Israéliens se sentent menacés par l’imposition de lois rabbiniques sur les citoyens laïcs, la communauté russophone l’est plus que d’autres.
Les migrants russes en Israël ont longtemps été interrogés sur la validité de leur judaïsme – subissant notamment des pressions en faveur de conversions orthodoxes humiliantes ou de tests ADN visant à prouver leur ascendance juive. Ils ne peuvent souvent pas non plus se marier dans leur nouvelle patrie, où le mariage civil n’est pas officiellement reconnu.
Alors que la plupart d’entre eux ont grandi ou sont nés en Israël et ont réalisé le service militaire obligatoire, beaucoup sentent qu’ils sont des citoyens de seconde zone.
« Pourquoi dois-je être différente ? Pourquoi, après quinze ans en Israël, dois-je retourner en Ukraine pour effectuer une cérémonie de mariage civil parce que ma patrie, Israël, ne me permet pas de me marier dans mon propre pays ? » demande Katya Volkov à Middle East Eye. L’histoire douloureuse de cette femme de 35 ans est partagée par beaucoup de russophones israéliens de sa génération.
Ces victimes du système orthodoxe sont aujourd’hui le grand espoir de Lieberman. Son électorat traditionnel est vieux et vieillissant ; en changeant l’ordre du jour pour se concentrer davantage sur l’État et la religion, il attire de nouvelles foules de jeunes russophones qui n’envisageraient même pas de voter pour lui dans des circonstances différentes.
Cette question clé voit Lieberman prospérer parmi les Russes là où Netanyahou échoue, dans la mesure où l’actuel Premier ministre a défini les ultra-orthodoxes comme ses « partenaires naturels ».
À l’entrée d’un grand rassemblement politique où Netanyahou tendait récemment la main à la communauté russophone, Israel Beytenou a dévoilé de grandes affiches montrant une troïka de Netanyahou et deux politiciens ultra-orthodoxes avec l’inscription : « Netanyahou est bon pour les orthodoxes ».
L’insinuation était celle d’une troïka plus célèbre : celle composée par Karl Marx, Friedrich Engels et Lénine – certainement pas des héros pour les russophones.
Cela n’a toutefois pas empêché Benyamin Netanyahou de tenter sa chance. Ses militants ont décoré les rues de Tel Aviv avec des affiches du Premier ministre en compagnie des dirigeants du monde, dont le président russe Vladimir Poutine. « Une autre ligue », indique l’inscription.
« C’est un mensonge », a fait remarquer avec une certaine ironie David Aidelman, un stratège politique d’origine russe. « Netanyahou est encore loin du niveau de corruption de Poutine. »
Pour d’autres, c’était une énorme erreur. Le 27 juillet, la police de Moscou a brutalement réprimé une grande manifestation de l’opposition. Les nouveaux arrivants russes en Israël, qui ont fui le renversement de la démocratie russe sous Poutine, ont été consternés.
« J’ai fui Poutine en sachant où allait sa Russie », a déclaré à MEE Alla Borisova, une journaliste qui a quitté la Russie lorsque Poutine a été réélu président il y a sept ans. « Les affiches de Netanyahou-Poutine me font sentir que Poutine me poursuit encore en Israël. »
Les immigrants venant d’Ukraine, majoritaires parmi les nouveaux arrivants de l’ex-Union soviétique, ont également été indignés et offensés par l’évocation de Poutine dans la campagne de Netanyahou.
Un duel en tête-à-tête
Si Netanyahou et Lieberman sont les principaux acteurs, d’autres politiques israéliens ont essayé de tendre la main à la communauté russe.
Yaïr Lapid, chef du parti centriste Yesh Atid – qui fait maintenant partie de l’alliance Bleu Blanc – utilise de drôles de clips vidéo pour les séduire.
La gauche, en revanche, est introuvable. Aucun effort n’a été fait pour cibler la communauté russe, qui aime être abordée directement. Quelque 30 années de négligence de la gauche ne peuvent apparemment pas être corrigés dans le court laps de temps qui reste jusqu’au 17 septembre.
Dans tous les cas, ni Yesh Atid ni d’autres partis israéliens plus à gauche n’ont de candidats russophones sur leurs listes.
Jusqu’à présent, le sort de Netanyahou a été entre les mains de Lieberman pour une raison très simple : les comptes n’y sont pas. Netanyahou ne peut pas créer une coalition sans Lieberman. Il a besoin de 61 sièges sur 120 à la Knesset pour se libérer de son ancien protégé devenu rival.
Donc Lieberman reste, pour l’instant, le faiseur de rois.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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