En Égypte, les lieux haut de gamme bannissent les femmes voilées
« C’est de la discrimination sur la base du hijab », s’insurge Sara alors qu’elle raconte sa querelle avec les propriétaires du complexe balnéaire La Vista dans le gouvernorat de Suez, au nord-est de l’Égypte, l’été dernier.
Cet été-là, Sara voulait se baigner dans la piscine en plein air faisant face à la plage plutôt que dans la piscine couverte exclusivement réservée aux femmes située un peu plus loin, « car j’avais envie de nager avec ma famille et mes enfants ».
Mais les gardiens de La Vista l’ont arrêtée, affirmant que les femmes portant des « burkinis » - maillots de bain islamiques qui couvrent presque tout le corps et les cheveux – n’étaient pas autorisés dans la piscine extérieure.
« Je veux juste que les gens sachent que c’est de la discrimination pure et simple », insiste Sara, qui n’a pas souhaité indiquer son nom de famille par peur de raviver les tensions avec les dirigeants de la station balnéaire, où elle possède un logement estival.
Les gardiens l’ont approchée au moment où elle plongeait dans la piscine et lui ont dit qu’elle n’avait pas le droit d’y pénétrer avec un maillot de bain islamique, et que ces règles avaient été stipulées « dans le contrat ». Sara a répondu que le contrat indiquait seulement que le maillot de bain devait être composé d’une ou deux pièces et que le sien était un deux-pièces.
La discussion s’est rapidement envenimée, « ils sont devenus plus agressifs, se mettant à crier puis à jurer ». Sur une page Facebook dédiée aux membres de La Vista, Sara a ensuite écrit qu’elle s’élevait contre ces pratiques, exigeant que les femmes en hijab puissent être autorisées à accéder à n’importe quelle piscine du complexe. Les managers ont réagi en supprimant du groupe tous les membres de sa famille, « sauf la femme de mon oncle, qui a un nom de famille différent ».
« Ensuite, ils nous ont coupé l’électricité… seulement à nous. Nous savons qu’ils l’ont fait exprès », affirme Sara, qui explique que les responsables des lieux ont répondu à l’une de ses tantes qui était allée demander pourquoi l’électricité avait été coupée que celle-ci serait rétablie si elle et sa famille « arrêtaient » de faire ce qu’ils étaient en train de faire.
Après cet incident, Sara et une poignée d’autres femmes de la station balnéaire sont allées se baigner dans la piscine faisant face à la mer dans leur tenue de bain islamique.
Leur action a provoqué un rassemblement, « et les gens ont commencé à se disputer… certains étaient en faveur, d’autres contre, et finalement le président du complexe est venu et a suggéré de négocier ». La nouvelle de l’incident s’est rapidement propagée sur Internet, et les responsables du lieu ont fini par proposer à la famille de Sara de racheter leur villa.
« En gros, ils voulaient se débarrasser de nous », pense Sara. À la fin, sa famille et elle ont accepté de ne pas aggraver la situation et Sara a mis fin à ses protestes.
« Propre » vs « bi'a »
Le directeur a prétendu que la règle était basée sur des « considérations hygiéniques », a indiqué Sara. « Mais c’est idiot. Cette tenue de bain est faite de la même matière que n’importe quel autre maillot de bain. » Au lieu de cela, Sara pointe les tendances classistes de ces complexes et stations touristiques onéreux.
« Ils veulent maintenir une certaine image et ils voient le hijab ou le maillot de bain islamique comme bi’a », explique-t-elle en employant un terme du dialecte égyptien utilisé pour se référer de façon péjorative à la classe ouvrière. « Ils pensent que ce n’est pas classe. »
« Il y a une piscine couverte pour les [femmes] voilées, une piscine extérieure pour les femmes voilées et une piscine pour les femmes non voilées », a répondu une employée de La Vista contactée par téléphone par Middle East Eye. Elle a ajouté que puisque les clients avaient des « styles de vie » différents, le complexe « avait recours à des arrangements susceptibles de mettre chaque personne à l’aise ».
Au cours des dix dernières années, de plus en plus d’hôtels et de stations balnéaires voient le jour le long de la côte méditerranéenne. Les prix de ces zones sécurisées augmentent à mesure que l’on s’éloigne du Caire. Certaines sont considérées comme « propres » par l’élite égyptienne, alors que d’autres sont jugées comme étant bi’a.
Selon des femmes interdites d’accès, les responsables de ces infrastructures auraient affirmé que les femmes voilées n’étaient pas autorisées à accéder à la piscine car des étrangers s’y trouvaient. La vue d’un burkini risquerait de rebuter les touristes, ont indiqué certains managers aux femmes qui sont allées se plaindre de cette politique discriminatoire.
« J’étais à la piscine avec ma famille à Stella De Mare, à Ain Soukhna, quand un agent de la sécurité est venu me dire que les femmes portant le hijab n’avaient pas le droit d’entrer dans la piscine avec un maillot deux-pièces. ‘’Vous devez renoncer à l’une des pièces’’, m’a-t-il lancé », a rapporté Noorhan Amr à MEE.
Le gardien lui aurait dit : « Il y a des étrangers ici, et ils risquent de ne pas aimer ça… Ce sont les règles et vous pouvez vous baigner sur la plage ».
« Nous nous sommes disputés et n’y sommes plus jamais retournés. »
Si la tendance n’est pas nouvelle, les personnes interviewées par MEE ont indiqué qu’il leur semblait que le phénomène allait croissant.
« Je séjournais dans un hôtel appelé Menaville à Safaga, et j’étais sur le point de me rendre à la piscine, quand on m’a dit que le maillot de bain islamique était interdit. C’était il y a six ans… avant même que l’interdiction du hijab ne commence à se répandre », raconte Nesma el-Melligi.
« Ce jour-là, je suis allée parler avec le directeur pour tenter de comprendre la raison d’une telle interdiction… ses réponses étaient toutes plus provoquantes les unes que les autres… les apparences, les étrangers qui pourraient être gênés, etc. »
Ces excuses « n’avaient aucun sens ».
« Les femmes voilées ne sont pas autorisées »
Alors que les controverses se sont multipliées durant l’été au sujet de l’interdiction du hijab dans diverses stations balnéaires et restaurants chics, voire même sur certains lieux de travail, une page Facebook intitulée « Racisme Hijab » a été créée, appelant à dénoncer les établissements qui refusent l’accès aux femmes voilées.
Certaines des femmes qui se sont exprimées en faveur de l’interdiction des femmes voilées dans les piscines des stations balnéaires ont argumenté qu’elles ne seraient pas solidaires de leur cause tant que d’autres femmes ne seraient pas autorisées à se rendre en bikini sur les plages publiques d’Alexandrie.
Les membres de la page Facebook ont publié plusieurs messages demandant au ministre égyptien du Tourisme d’agir. Les employés de l’hôtellerie ont souvent répondu que le maillot de bain islamiste n’était pas autorisé car il éloignait les touristes.
Selon la page Facebook, les complexes balnéaires suivants n’accepteraient pas les femmes voilées dans leur piscine : le Farimont Hotel, Steigenberger Hotels and Resorts, Andrea Hacienda, Noria Resort, Royal Maxim Palace Kimpinski, et d’autres encore.
Les restaurants et bars refusant l’entrée aux femmes voilées incluraient Lemon Tree, Cairo Jazz Club et L’aubergine, qui sont pour la plupart situés à Zamalek, un quartier chic du Caire.
« Je suis allée avec mes amis au Lemon Tree and Co lors de son inauguration à Zamalek, et après avoir passé notre commande, le garçon est venu nous dire : ‘’Je suis désolé mais selon les règles de l’établissement, les femmes voilées ne sont pas autorisées’’ », a raconté Dina Adel, une résidente du quartier, à MEE.
Quand MEE a contacté le Lemon Tree au sujet de l’incident, un porte-parole a répondu : « Nous sommes en travaux de rénovation pendant un mois et ensuite nous ouvrirons avec un nouveau nom... Ce sera au même endroit, mais avec un autre nom, donc nous ne savons pas encore quelle sera la politique de l’établissement ».
Il a toutefois indiqué que le Lemon Tree maintiendrait sa politique d’interdiction des femmes voilées dans l’après-midi.
« Le matin, l’endroit sert de restaurant donc le voile est autorisé, mais la nuit, c’est un bar et il y a de l’alcool donc le voile n’est pas accepté », a-t-il précisé.
Si les femmes voilées se voient refuser l’accès sous prétexte de la présence d’alcool, les femmes qui portent le niqab (le voile du visage) sont souvent interdites d’accès dans les restaurants même pour le déjeuner. Nihal Rashed a indiqué qu’elle n’avait pas pu entrer dans les restaurants Sky Lounge à Manial et Carol dans la ville du 6 Octobre parce qu’elle portait le niqab, « pourtant c’était l’heure du déjeuner ».
Ingy Mohsen, qui s’est mise récemment à porter le niqab, a indiqué que personne ne l’ennuie sur le campus de son université et qu’elle n’a rien subi de véritablement offensant – mais qu’elle n’a pas le droit d’aller dans certains endroits.
« Un jour, nous nous rendions à Carcas, à Maadi, et on nous a dit qu’il n’y avait pas de place alors qu’il était évident qu’il n’y avait presque personne. Nous portions des abayas [robes] ou des niqabs. » Mohsen a ajouté qu’elle s’attendait à devoir affronter ce genre de situations quand elle a décidé de porter le niqab.
L’auteur de cet article écrit sous un pseudonyme pour des raisons de sécurité.
Traduction de l’anglais (original).
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