En Égypte, une ancienne victime de harcèlement scolaire mène une croisade contre un mal répandu
Vêtu d’une tenue de sport et d’une paire de baskets, Mostafa Ashraf est un jeune homme au visage aimable, toujours souriant. Il rêve d’une Égypte qui sera un jour libérée du harcèlement scolaire.
Mostafa a perdu sa meilleure amie alors qu’il n’était qu’un enfant ; Jasmine s’est suicidée à cause du harcèlement dont elle était victime à l’école. Plus tard, il allait lui aussi tenter de se suicider en raison de ce harcèlement qui avait conduit son amie à se donner la mort.
« Jasmine était toujours triste et déprimée peu avant ses 12 ans. Elle ne m’a pas raconté ce qui se passait, elle a juste mentionné qu’elle avait été victime de brimades », s’est souvenu Mostafa avec tristesse.
« Quand j’avais 10 ans, je me faisais souvent malmener à cause de mon apparence »
- Mostafa Ashraf, fondateur de Advice Seekers
« J’ai perdu la seule personne à qui je pouvais parler. Je suis devenu dépressif et j’ai manifesté dans mon comportement des difficultés à gérer ma colère », a-t-il déclaré.
Ce qui a commencé comme une expérience douloureuse et choquante pour un enfant a conduit Mostafa Ashraf, quelques années plus tard, à créer Advice Seekers, une organisation autofinancée qui lutte contre le harcèlement scolaire.
« Quand j’avais 10 ans, je me faisais souvent malmener à cause de mon apparence. Des enfants malveillants se moquaient aussi de moi parce que je parlais anglais la plupart du temps car mon arabe n’était pas très bon », a-t-il confié.
Mostafa a tenté de se suicider à deux reprises.
« C’était une période très sombre pour moi. J’étais toujours seul, je ne voulais jamais interagir avec les autres, ce qui les liguait contre moi », a-t-il poursuivi.
À l’âge de 14 ans, Mostafa a tenté de se suicider chez un ami en se coupant le poignet, mais ce dernier l’a arrêté juste à temps.
« Cette nuit-là, je dormais chez lui parce que nous avions un projet à préparer pour l’école. Il est resté éveillé toute la nuit à veiller sur moi, craignant que je ne répète ma tentative », a-t-il raconté. « Ce qu’il a fait m’a amené à penser que je devais aider les autres plutôt que chercher à mettre fin à mes jours. »
À l’époque, Mostafa n’a eu recours à aucune thérapie, il s’en remettait plutôt à son père, qui lui a été d’un grand soutien. Mais quatre ans plus tard, il a fait une grave dépression et a de nouveau tenté de se suicider.
« Aider beaucoup de monde m’aidait à me sentir bien, mais parfois, vous pouvez aider les autres et ne pas réussir à vous aider vous-même »
- Mostafa Ashraf
« Aider beaucoup de monde m’aidait à me sentir bien, mais parfois, vous pouvez aider les autres et ne pas réussir à vous aider vous-même », a commenté le jeune homme. « J’ai essayé de m’étouffer avec un oreiller, mais ça n’a pas marché. Ensuite, j’ai essayé de me couper le poignet, mais j’ai également échoué. »
À ce stade, Mostafa a demandé une aide psychologique.
« À l’âge de 18 ans, je me suis complètement effondré et j’ai commencé à consulter un psychologue. J’ai continué à suivre des séances de psychothérapie pendant un certain temps pour soigner ma dépression, et cela m’a beaucoup aidé », a-t-il déclaré.
Lorsqu’il a fondé Advice Seekers en 2014, Mostafa Ashraf se contentait de promouvoir son organisation en ligne, mais il a vite compris qu’il souhaitait être présent sur le terrain.
« J’ai continué à donner des conseils sur la manière de lutter contre l’intimidation et je recevais des messages de victimes auxquels je répondais en me basant sur ma propre expérience », a-t-il expliqué.
Portes ouvertes
Bien que de nombreuses écoles, en apprenant son jeune âge, aient rejeté ses demandes de faire des présentations sur le harcèlement scolaire, Mostafa n’a pas abandonné.
« J’ai pris un an de congé scolaire car j’avais terminé toutes les matières de la terminale en seconde et en première et j’ai pris des cours de psychologie. Quand j’ai réalisé que j’avais peur de la confrontation, j’ai appris à parler en public et à maîtriser mon langage corporel », a-t-il indiqué.
Son initiative s’est développée lentement jusqu’à ce qu’un an plus tard, Modern Academy, une école d’informatique et de technologies de gestion située dans le quartier cairote de Maadi, lui a ouvert ses portes, lui offrant la possibilité de lancer une campagne de lutte contre le harcèlement au sein de l’établissement.
Au fur et à mesure, plusieurs volontaires se sont joints à lui et sont devenus consultants en matière de lutte contre le harcèlement dans un certain nombre d’écoles privées et internationales d’Égypte. Mostafa Ashraf avait presque 18 ans à l’époque.
Lorsqu’il n’est pas occupé avec son travail de plaidoyer, le jeune homme travaille en tant qu’éditeur vidéo indépendant. Bien qu’il se soit vu offrir des bourses d’études par des universités prestigieuses aux États-Unis et en Angleterre, il a décidé de ne pas poursuivre ses études afin de consacrer son temps à Advice Seekers, « du moins pour le moment ».
Un impact positif
Mostafa Ashraf, qui aura bientôt 21 ans, a eu une influence positive sur la vie de centaines d’élèves.
« J’étais victime de harcèlement et je pensais au suicide tous les jours », a déclaré à MEE un collégien qui a refusé de donner son nom et celui de son établissement, craignant d’être à nouveau victime de brimades.
« Je cherchais toujours des excuses pour rater l’école, alors que j’avais toujours d’excellentes notes. Je ne me confiais à personne, mais après avoir communiqué avec des bénévoles de Advice Seekers, je me suis senti beaucoup mieux. Ils m’ont appris à me défendre. »
« Je cherchais toujours des excuses pour rater l’école, alors que j’avais toujours d’excellentes notes. Je ne me confiais à personne, mais après avoir communiqué avec des bénévoles de Advice Seekers, je me suis senti beaucoup mieux. Ils m’ont appris à me défendre »
- Un collégien
Les volontaires de Advice Seekers effectuent différents types d’activités au cours de leur sessions en fonction de l’âge des participants. Par exemple, le jeu de rôle est proposé aux élèves du CE2 à la sixième.
« Nous interagissons avec les élèves et demandons aux enseignants de jouer un rôle dans le cadre de divers scénarios de harcèlement. Nous diffusons également de courtes vidéos produites par l’organisation sur le sujet », a expliqué Mostafa.
« Les enfants font souvent fausse route, alors je fais participer les enseignants. Je joue deux scénarios, dans l’un je suis le harceleur et dans l’autre, c’est un enseignant qui joue ce rôle », a-t-il précisé.
Il existe un scénario favorable où un enseignant agit comme s’il malmenait Mostafa et ce dernier réagit de manière positive.
« Par exemple, si un harceleur me dit ‘’tu es laid’’, ma réponse sera ‘’tu me vois moche, mais moi, je me trouve beau.’’ Dans un autre scénario, je réponds en disant : ‘’c’est toi qui es laid.’’ À ce stade, je demande aux participants quelle est la bonne réponse. »
Qu’est-ce que le harcèlement ?
+ Show - HideL’UNICEF définit le harcèlement comme « une forme de comportement agressif qui se produit de manière intentionnelle et répétée et qui blesse un autre enfant ».
Le harcèlement peut prendre plusieurs formes : répandre des rumeurs, menacer d’agression physique ou verbale, se livrer à des pratiques insidieuses telles qu’exclure un enfant d’un groupe pour lui nuire, ou tout autre geste ou action qui se produit de manière moins visible.
Le cyberharcèlement consiste à publier ou à envoyer des messages électroniques comprenant du texte, des images ou des vidéos dans le but de harceler, menacer ou propager des rumeurs sur une autre personne via diverses plateformes numériques telles que les réseaux sociaux, les forums de discussion et les blogs.
Un autre scénario décrit une situation de harcèlement physique.
« Par exemple, un enseignant me pousse et je le repousse. Nous apprenons ainsi aux étudiants que la violence n’est pas la solution et que riposter fait d’une personne un harceleur à son tour », a commenté Mostafa.
Victimes de victimes
Selon une psychologue et psychothérapeute travaillant dans une école internationale du Caire, tant les harceleurs que ceux qu’ils intimident sont des « victimes ».
« En général, les agresseurs ont par le passé subi des épreuves psychologiques et une oppression qui les a amenés à agir de la sorte », a-t-elle expliqué sous le couvert de l’anonymat. « Certains ont eux-mêmes été victimes de harcèlement, soit de la part de leurs pairs, soit de la part de leurs parents ou de frères et sœurs tyranniques.
« En général, les agresseurs ont par le passé subi des épreuves psychologiques et une oppression qui les a amenés à agir de la sorte. Certains ont eux-mêmes été victimes de harcèlement, soit de la part de leurs pairs, soit de la part de leurs parents ou de frères et sœurs tyranniques »
- Une psychologue dans une école internationale du Caire
« Nous traitons un harceleur en abordant le sentiment qui a conduit au comportement de harcèlement. Malheureusement, les harceleurs n’ont généralement pas recours à la psychothérapie », a-t-elle ajouté.
Les administrateurs d’école ont une approche similaire.
« Dans la plupart des cas, je donne des conseils aux harceleurs et, souvent, ils arrêtent. Mais si l’acte se répète, le harceleur est dirigé vers le psychothérapeute de l’école », a déclaré la directrice d’un lycée international du Caire, qui a également refusé que son nom soit donné.
« Nous suspendons l’élève dans les cas d’intimidation physique, qui ne sont pas aussi courants que le harcèlement verbal », a-t-elle ajouté. Alors qu’aucun jour ne passe sans qu’elle ne reçoive entre cinq et dix plaintes de harcèlement, « 90 % des cas ne sont pas signalés, principalement par peur des agresseurs », estime-t-elle.
Dans une interview accordée en septembre dernier au présentateur de télévision Amr Adeeb lors de l’émission « El-Hekaya » sur MBC Misr, Hala Abu Khatwa, responsable de la communication de l’UNICEF en Égypte, a déclaré qu’environ 70 % des élèves âgés de 13 à 17 ans en Égypte avaient été victimes de harcèlement, ce qui en fait un phénomène répandu dans le pays.
Pour Advice Seekers, mener des campagnes dans les écoles publiques n’est pas une tâche aisée.
« Par le passé, nous avons proposé de tenir des sessions dans des écoles publiques mais lorsque nous en avons précisé le contenu, nous avons essuyé des refus. On nous disait que nous ne pouvions pas parler de dépression, d’automutilation ou de suicide », a rapporté Mostafa. « Comment suis-je alors censé mettre en garde les enfants contre les conséquences du harcèlement ? », a-t-il demandé.
En septembre, quelques jours avant la rentrée scolaire en Égypte, le Conseil national pour l’enfance et la maternité (NCCM), soutenu par le gouvernement, a parrainé la première campagne nationale visant à mettre fin à la violence entre pairs.
L’initiative a été réalisée en partenariat avec le ministère égyptien de l’Éducation et de l’Enseignement technique (MOETE) en coopération avec l’UNICEF, et a été financée par l’Union européenne (UE).
Plusieurs célébrités nationales ainsi que les acteurs Ahmed Helmy et Mona Zaki – ambassadeurs de l’UNICEF en Égypte – se sont fait l’écho des messages de la campagne diffusés sur les réseaux sociaux. Celle-ci-i a encouragé les enfants et jeunes du pays à exprimer leurs expériences, points de vue et solutions pour mettre fin au harcèlement en utilisant le hashtag de la campagne #JeSuisContreLeHarcèlement.
Quand les enseignants sont les bourreaux
Non seulement les élèves sont victimes d’intimidation de la part de leurs pairs, mais ils peuvent l’être aussi parfois de la part de leurs enseignants. Au cours de la dernière semaine de novembre, par exemple, une jeune fille de 18 ans, Iman Saleh, s’est suicidée en sautant d’un balcon dans la ville méditerranéenne d’Alexandrie.
Dans un message vocal qu’elle avait envoyé précédemment à une amie, elle se plaignait de responsables de l’école qui s’étaient moqués de la couleur foncée de sa peau, de ses cheveux et de sa façon de s’habiller, lui disant qu’elle avait l’air d’un garçon et remettant en question sa féminité.
La mère de la victime a porté plainte contre les responsables de l’établissement, les accusant d’avoir provoqué le suicide de sa fille. Une enquête est en cours.
Le jeu de rôle est souvent utilisé pour sensibiliser les enfants du CE2 à la sixième au sujet du harcèlement (avec l’aimable autorisation de de Mostafa Ashraf)
Au cours de la même semaine, dans une école de Damiette, dans le nord-ouest de l’Égypte, un enseignant a rudoyé et ridiculisé une enfant de quatrième, Basmala Ali.
« Le harcèlement ne cessera jamais. Vous avez des générations et des générations à venir qui se mettront à brimer les autres. Nous ne pouvons pas l’arrêter mais nous pouvons l’empêcher en sensibilisant et en défendant les victimes »
- Mostafa Ashraf
Selon Al-Ahram, un site gouvernemental online, la jeune fille aurait déclaré que son professeur d’arabe l’avait laissée en pleurs après l’avoir « qualifiée de ‘’noire’’ dans une question à l’intention de ses camarades de classe visant à identifier l’inflexion grammaticale dans la phrase ‘’Basmala est une élève noire’’ ».
Suite à l’intervention des parents et au signalement de l’incident au ministère de l’Éducation et à la justice, l’enseignant a été suspendu, soumis à un interrogatoire et placé en détention provisoire pendant plusieurs jours. Son sort n’est pas encore connu.
Pour le moment, Mostafa Ashraf se consacre à son travail de sensibilisation dans les écoles et ne souhaite pas poursuivre ses études à l’université (avec l’aimable autorisation de de Mostafa Ashraf)
Alors que des campagnes telles que celles de Mostafa Achraf sensibilisent au phénomène répandu du harcèlement scolaire en Égypte, une question se pose : le problème peut-il être résolu ?
« On me dit toujours que je fais des campagnes depuis cinq ans et que le harcèlement n’a jamais cessé », raconte Mostafa. « Ma réponse est : le harcèlement ne cessera jamais. Vous avez des générations et des générations à venir qui se mettront à brimer les autres. Nous ne pouvons pas l’arrêter mais nous pouvons l’empêcher en sensibilisant et en défendant les victimes. »
Traduit de l’anglais (original).
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