EN IMAGES : Les femmes dans le mouvement de protestation au Liban
Elles s’appellent Mirna, Jana, Joumana, Marie-Rose, Stéphanie ou encore Karma. Depuis le 17 octobre, elles ne quittent plus les rues de Beyrouth. Et si un parfum de révolution flotte sur le Liban, elles le clament haut et fort, les femmes n’y sont pas étrangères.
Il faut dire que l’omniprésence des femmes au cœur du mouvement de protestation qui agite le pays ne passe pas inaperçue. Elles sont partout : sur les blocages d’axes routiers, dans les rues, haranguant les foules mégaphone au poing, au sein des organisations de premiers secours, dans les débats et les réflexions collectives, etc.
À quelques pas de « l’Œuf » – un vestige de la guerre civile ressuscité par la jeunesse libanaise ces derniers jours –, un petit espace sous une tente leur a même été dédié. Marie-Rose Rahmé, qui milite ordinairement dans le Chouf, abonde : « Regardez ! Les femmes sont partout. Elles se tiennent même debout face aux groupes qui viennent pour nous interrompre. C’est une révolution pour le peuple libanais, mais aussi pour nous, les Libanaises. »
Dans un pays où le pourcentage de femmes au Parlement n’excède pas 4,68 % (6 députées sur 128), elles mettent un point d’honneur à être le plus visibles possible dans les rues : « Il y a autant d’hommes que de femmes dans les manifestations. À Beyrouth, à certaines heures, nous sommes même majoritaires. Nous nous emparons du destin de notre pays », s’enthousiasme Jana K., une jeune femme de 23 ans. « N’oublions pas quand même que la femme libanaise a toujours été très impliquée : certaines combattaient pendant la guerre [civile, de 1975 à 1990], d’autres travaillaient dans les hôpitaux, d’autres menaient des manifestations… », rappelle Joumana Konsol, 26 ans.
Pour Stéphanie Hobeika, étudiante de 26 ans, c’est le futur de la nation libanaise qui est en jeu : « Nous avons un énorme potentiel entre nos mains, et nous en sommes conscients. Mais nous gaspillons notre énergie et notre temps à cause des dysfonctionnements de ce pays, et en particulier la corruption. Aujourd’hui, nous n’acceptons plus d’être condamnés à partir vivre ailleurs ou à survivre ici. »
Le masque du Joker, depuis la sortie du film de Todd Philipps, est devenu l’un des symboles de cette révolution. Cette jeune fille, avec ses camarades, participe à une opération de blocage sur une des routes de la capitale le 23 octobre.
Sur les grilles de la cathédrale maronite Saint-Georges, les manifestants accrochent des slogans. Le lieu ne désemplit pas.
« La classe politique libanaise, en plus de voler beaucoup d’argent, tente de diviser les musulmans et les chrétiens. Il faut que cela cesse. Ils doivent arrêter de nous séparer au nom de la religion. La guerre civile a endeuillé chaque famille libanaise. Aujourd’hui, nous sommes dans la rue, tous ensemble », confient Inas, 32 ans, et Joumana, 13 ans.
Stéphanie Hobeika souligne aussi la mixité religieuse bien visible dans les rangs des manifestants. « Tout le monde est uni. Dans ce pays, nous avons tous un ami, un cousin, un proche qui est d’une autre religion. C’est cela, la vie réelle au Liban aujourd’hui. »
Des groupes de manifestants repeignent un grand mur à quelques dizaines de mètres de la place Riad el-Solh à Beyrouth. L’art de rue a envahi le centre de la capitale. « Ces traits rouges sur mon corps ? Nous nous tenons sur la ligne rouge, celle de la révolution, que personne n’est autorisé à traverser », explique l’artiste Hayat Nazer, photographiée ci-dessus.
Vendredi 25 octobre, la tension est à son paroxysme : environ 200 supporters du Hezbollah ont investi la place Riad el-Solh et de violents incidents ont éclaté avec les manifestants massés sur la zone. Des manifestantes se sont alors positionnées en première ligne, réalisant un cordon de sécurité près de celui des forces de l’ordre afin d’éviter de nouveaux affrontements.
Les alentours de la place de l’Étoile, dans le centre de Beyrouth, sont quadrillés par la police et par l’armée depuis le début du soulèvement.
Le futur du mouvement et ses objectifs sont sur toutes les bouches. « Mon espoir pour le futur, c’est que nous puissions entamer la reconstruction du pays, qui ouvrirait de nouvelles perspectives », explique Joumana Konsol.
Une manifestante porte fièrement une écharpe ornée d’une représentation de la mosquée al-Aqsa en soutien aux Palestiniens, sur les marches de la mosquée Mohammed al-Amine à Beyrouth, le 25 octobre.
Des équipes de bénévoles se relaient jour et nuit afin de laisser les lieux propres. Karma Charafeddine, 34 ans, architecte d’intérieur, fait partie de ceux qui ont installé la « Green Tent », place des Martyrs à Beyrouth : « C’est une initiative environnementale que nous avons lancée avec des proches, des amis et des concitoyens. Cette démarche a été provoquée par les incendies qui ont ravagé nos villages du Chouf. On se mobilise tous et toutes pour un avenir meilleur. » Le 29 octobre, la « Green Tent » a été mise à sac par des groupes pro-Hezbollah et pro-Amal, furieux de voir le pays toujours paralysé après treize jours, avant d’être reconstituée quelques heures plus tard.
La rue el-Amil Nachir à Beyrouth a été le témoin d’incidents entre les partisans du Hezbollah et des manifestants les 24 et 25 octobre. « Il y aura un avant et un après. De nombreuses difficultés nous attendent. Mais nous avons l’avantage d’en avoir conscience », rapporte Jana K.
Tous les jours, des conférences et des débats sont organisés dans le cœur de Beyrouth, des rendez-vous extrêmement prisés par la jeunesse libanaise.
Toutes le promettent : elles n’abandonneront pas les rues. « Notre force réside à la fois dans notre émotion et notre rationalité. Nous sommes l’étudiante qui craint pour son avenir, la femme qui se soucie du bien être de sa famille, la mère qui veille sur ses enfants et aujourd’hui, comme tout le monde peut le voir, nous sommes celles qui veillent sur leur pays », conclut Karma Charafeddine.
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