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En Libye, les fantasias perpétuent culture et tradition malgré le chaos

Malgré la crise politique et économique, les Libyens tiennent à perpétuer leurs traditions et leurs savoir-faire autour du cheval
Scène de fantasia à Zawiya, à l'est de Tripoli, le 13 juillet 2017 (AFP)
Par AFP

À l'ombre des pins et des eucalyptus, un jeune cavalier s'enveloppe dans son jard, un grand drap blanc qu'il noue comme une toge romaine, avant de s'élancer pour une des fantasias qui permettent aux Libyens d'oublier le chaos quotidien.

Dans la foule dense des spectateurs, l'effervescence est à son comble. Des enfants courent dans tous les sens, les adultes tentant de les éloigner de la piste avant le début de ces cavalcades arabes traditionnelles.

L'espace de quelques heures, le spectacle équestre fait passer à l'arrière-plan la violence, l'insécurité et les pénuries qui minent un pays livré au pouvoir des milices, victime d'attaques des islamistes armés du groupe État islamique (EI) et où deux autorités rivales se disputent le pouvoir. 

Alliant le cuir, le velours et la feutrine, ces « bijoux » de l'artisanat libyen sont rehaussées de broderies et de plaques en argent

À Zawiya, ville des bords de la Méditerranée à 45 kilomètres à l'ouest de Tripoli, des courses équestres ont lieu tous les vendredi, jour chômé en Libye.

Des cavaliers y assurent un spectacle féérique, montés sur des chevaux aux robes brillantes et parés d'ornements chatoyants, dont des selles libyennes traditionnelles. Alliant le cuir, le velours et la feutrine, ces « bijoux » de l'artisanat libyen sont rehaussées de broderies et de plaques en argent.

Parfaitement alignés sur la ligne de départ, les cavaliers remontent sur leur tête un pan de leur « jard » puis se lancent en entendant le cri du chef de groupe, un chant traditionnel qui précédait autrefois les combats.

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À mi-course, ils se mettent debout en prenant appui sur leurs étriers.

L'objectif n'est pas de devancer les autres mais de garder le même rythme et d'arriver en même temps, sur une seule ligne.

« Nous sommes fiers de perpétuer cette tradition vieille de plusieurs siècles, que ce soit en portant l'habit traditionnel ou en équipant nos montures de magnifiques selles libyennes », explique à l'AFP l'un des cavaliers, Ali al-Hadi Amara, originaire de Zawiya.

Savoir-faire ancestral

« L'équitation coule dans notre sang », poursuit-il. « C'est un sport qui attire encore de nombreuses personnes, quel que soit leur âge », explique ce cavalier de 46 ans, tout en tentant de maîtriser d'une main sa jument.

Youssef Moubarak al-Aboudi, membre du jury de la 7e édition du festival populaire de Zawiya, monte à cheval depuis son plus jeune âge.

« Comme moi, de nombreux cavaliers n'hésitent pas à entreprendre de longs trajets pour participer aux événements » équestres, raconte-t-il à l'AFP.

Aujourd'hui, les artisans doivent recourir au marché parallèle – où les taux de change sont très élevés – pour acquérir des devises leur permettant d'importer les matières premières nécessaires à la fabrication des selles (AFP)

Par passion, ils défient l'insécurité et parcourent, à leurs risques et périls, des centaines de kilomètres avec leurs chevaux.

La Fédération hippique libyenne, même avec peu de moyens, encourage les activités sportives et les événements folkloriques dans toutes les villes du pays.

La popularité de ces courses a permis de maintenir un savoir-faire ancestral pour la fabrication des selles, une prouesse dans un pays où les violences ont fait disparaître de nombreuses activités.

« Les prix [des selles] oscillent entre 3 000 [environ 1 850 euros] et 10 000 dinars libyens [plus de 6 000 euros] »

- Un éleveur de chevaux de la région de Tripoli

« Ces selles étaient utilisées par les anciens qui ont combattu les envahisseurs italiens (...) puis, plus tard, pour parer les chevaux pour les fêtes, les parades et les noces », explique à l'AFP Ibrahim Souédane, 38 ans, un des artisans libyens qui les fabriquent.

C'est « un savoir-faire que nous avons hérité de nos pères et grands-pères », précise son frère Mostafa Souédane.

« Cela fait plus de cent ans que notre famille travaille les selles », renchérit Ibrahim, qui a été initié à cet artisanat très jeune. 

Aujourd'hui, le coût d'une selle a plus que triplé.

La Fédération hippique libyenne, même avec peu de moyens, encourage les activités sportives et les événements folkloriques dans toutes les villes du pays (AFP)

Comme dans tous les secteurs, « il y a une hausse des prix à cause de la crise que connaît le pays », relève Youssef Abou-Sitta, propriétaire d'un magasin d'accessoires d'équitation dans la banlieue de Tripoli.

Une crise financière, économique et politique. Dans ce riche pays pétrolier où presque tout est importé, les artisans doivent recourir au marché parallèle – où les taux de change sont très élevés – pour acquérir des devises leur permettant d'importer les matières premières nécessaires à la fabrication des selles.

« Les prix [des selles] oscillent entre 3 000 [environ 1 850 euros] et 10 000 dinars libyens » [plus de 6 000 euros], contre 4 000 dinars [environ 2 470 euros] maximum il y a quelques années, a indiqué à l'AFP un éleveur de chevaux de la région de Tripoli. 

Et comme le prix d'une selle dépend également du pourcentage d'argent utilisé pour la décoration, les artisans recourent de plus en plus au cuivre et à l'aluminium afin d'essayer de limiter les coûts. Mais malgré cette flambée des prix, la demande pour ces selles n'a pas faibli.

Car les « mordus » des fantasias en Libye sont prêts à consacrer temps, efforts et moyens à leur passion. Pour le bonheur des milliers de spectateurs qui se massent chaque semaine à ces spectacles équestres traditionnels, sources de rêve et d'évasion.

Par Hamza Turkia avec Rim Taher à Tripoli

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