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EXCLUSIF : al-Qaïda se retire de bâtiments gouvernementaux stratégiques du sud

Al-Qaïda au Yémen s’est retiré de bâtiments gouvernementaux, les cédant à un conseil local spécialement formé pour les prendre en charge
Les chefs du Conseil national de l'Hadramaout ont célébré leur prise de contrôle de l'aéroport d'al-Mukalla suite au retrait d'al-Qaïda (MEE)

AL-MUKALLA, Yémen - La joie se lisait chez de nombreuses personnes réunies ce jeudi dans un petit aéroport du sud du Yémen lorsqu'un homme à la barbe blanche a déclaré avec ferveur que les Fils de l'Hadramaout, une nouvelle appellation d’al-Qaïda, avaient officiellement quitté l'aéroport pour le céder aux autorités locales. Pour l'assistance, il s'agissait-là d'un geste de la part des militants d'al-Qaïda démontrant qu'ils tiendraient leurs promesses et se retireraient complètement de la ville.

Exploitant la violence qui fait rage à travers le pays et une armée divisée, al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), une branche de l'organisation active au Yémen, avait pris d'assaut la ville portuaire d'al-Mukalla, la capitale de la région de l'Hadramaout, le 2 avril après s'être engagé dans de brefs affrontements avec l'armée. Les militants ont fait irruption dans la prison de la ville, ont pillé une importante banque gouvernementale, chassé les troupes armées hors de la ville et pris le contrôle de leurs bases.

Au cours des jours qui ont suivi, une brigade de l'armée et des unités de sécurité se sont rapidement effondrées,  les soldats terrifiés acceptant de sauver leur peau en remettant leurs positions à al-Qaïda en échange d’un rapatriement dans leurs villes natales au nord du Yémen. Al-Qaïda a affrété quatre grands bus pour transporter les soldats restants avec leurs armes et leurs effets personnels.

Les militants n'ont pas hissé le pavillon noir ; ils n’étaient pas disposés à mettre en œuvre leur interprétation radicale de l'islam et ont annoncé qu'ils étaient prêts à céder les institutions gouvernementales stratégiques aux autorités locales à condition qu'une entité cohérente soit créée pour les prendre en charge.

Les dirigeants tribaux locaux ont pris al-Qaïda au mot et se sont réunis à al-Mukalla, annonçant la création du Conseil national de l'Hadramaout (CNH), destiné à remplacer progressivement al-Qaïda dans la ville. Les militants, qui se sont rebaptisés « Fils de l'Hadramaout », ont tenu des réunions avec le conseil et, dans les jours suivants, sont convenus que le CNH prendrait le contrôle de l'aéroport principal de la ville.

« Quand nous étions sur le point de récupérer l'aéroport, des centaines de personnes l'ont encerclé, attendant qu'al-Qaïda parte afin qu’elles puissent le piller, » a déclaré un membre fondateur du CNH à Middle East Eye, sous couvert d'anonymat en raison du caractère sensible de la question. « Nous avons dit aux Fils de l'Hadramaout que notre personnel de sécurité n'était pas prêt à assurer la protection de l'aéroport. »

Al-Qaïda a annoncé aux résidents que le groupe avait pris la ville d'al-Mukalla dans le but de déjouer un complot de l'armée visant à laisser les Houthis s'emparer de la ville, et a promis non seulement de soutenir les habitants mais aussi de riposter en leur nom si les Houthis décidaient d'attaquer la ville.

Centres d'entraînement

Afin de préparer et entraîner les agents de sécurité, le conseil a décidé de créer des camps de recrutement dans certains districts de l'Hadramaout. La semaine dernière, le conseil a prévenu al-Qaïda qu'il était prêt à gérer l'aéroport international d'al-Mukalla, l'un des plus grands aéroports du Yémen.

Lors d’un bref rassemblement festif à l'aéroport, Omer al-Saleh Juaidi, le chef du conseil, a déclaré que l'aéroport était sous le contrôle de celui-ci et que les employés reprendraient leurs fonctions au cours de la semaine.

« Ils [al-Qaïda] ont quitté l'aéroport pour de bon », a-t-il déclaré. « L'aéroport est prêt à recevoir des vols internationaux fournissant de l'aide humanitaire. »

Les responsables du conseil ont déclaré avoir obtenu le feu vert du gouverneur de l'Hadramaout, Adel Bahumaid, qui a fui al-Mukalla pour Riyad quand al-Qaïda a pris le contrôle de la ville, en vue de coopérer avec les militants et empêcher la violence de s'installer dans la ville et la région. « Nous travaillons pour sauver notre ville de la destruction », a déclaré al-Juaidi.

Al-Juaidi, député du parti islamiste Islah jusqu'en 2003 et depuis peu membre du Mouvement séparatiste du Sud, estime qu'il n'y a aucun mal à collaborer avec al-Qaïda tant que ses membres n'adoptent pas de politiques cruelles à l'encontre des populations locales. « Ce sont les gens de l'Hadramaout qui n'érigent pas le drapeau d'al-Qaïda. » 

Malgré l'affirmation d'al-Juaidi selon laquelle les militants ne reviendraient pas à l'aéroport, certains hommes des forces armées nouvellement déployées ont annoncé à MEE qu'al-Qaïda continuerait d'exercer une pression sur eux tant qu'ils ne seront pas complètement autonomes. « Les Fils de l'Hadramout [al-Qaïda] ont déclaré qu'ils seraient à nos côtés en cas de besoin », a annoncé un jeune homme armé d'un AK47.

Lutfi Bin Saadoun, le responsable du comité d'information du CNH, a déclaré à MEE qu'al-Qaïda était favorable à l'idée d'équiper le personnel de sécurité du conseil en armes légères afin d'assurer sa protection et celle des institutions gouvernementales. « Nous attendons toujours qu'ils nous fournissent les armes. L'Arabie saoudite nous a procuré quelques armes légères. » Selon les comptes-rendus des médias locaux, des armes saoudiennes ont été larguées la semaine dernière dans une région voisine de la province de Shabwa et ont été ensuite acheminées vers la ville d'al-Mukalla.

Des forces armées du Conseil national de l'Hadramaout assurent la surveillance de l'aéroport du Yémen, récemment cédé par des militants d'al-Qaïda (MEE)

La banque centrale pillée et en ruines

Après une brève célébration à l'aéroport, les membres du conseil sont partis prendre le contrôle d’un autre bâtiment détenu par al-Qaïda. La succursale de la Banque centrale était l'une des principales cibles du raid d'al-Qaïda à al-Mukalla.

Contrairement aux autres bâtiments gouvernementaux, qui ont été laissés sans protection et ont été saccagés, les militants avaient déployé des véhicules armés autour de la banque centrale pendant qu’ils la pillaient. Les matières explosives qu’ils ont utilisées pour ouvrir le coffre-fort de la banque ont causé des dommages importants.

Après qu'ils ont quitté les lieux, le directeur de la banque, Abdul Kader Foulihan, a déclaré d’un ton accablé : « Ils nous ont rendu un bâtiment sens dessus dessous qui a besoin d'être complètement rénové. »

Foulihan a ajouté que le solde de trésorerie de la banque avant l'attaque d'al-Qaïda était de 25,8 milliards de riyals yéménites (soit 1,4 million de dollars). Les militants ont refusé de rendre l'argent au conseil, disant qu'ils le considéraient comme de l'argent pris à un Etat belligérant. Le conseil a continué de faire pression sur les militants afin qu’ils lui remettent une partie de l'argent pour payer les salaires des agents d'entretien et des employés ainsi que les augmentations de certains fonctionnaires. Les militants ont cédé à la pression et ont récemment décidé de donner un milliard de riyals au conseil. Dimanche, le CNH a célébré une autre victoire, lorsque les militants se sont retirés du principal port de la ville et de la maison du gouverneur.

Pour Bin Saadoun, du CNH, « cela montre qu'ils ont un calendrier de retrait d'al-Mukalla ». Seule l’avancée des Houthis pourrait saboter le retrait prévu par al-Qaïda, affirme-t-il. « Nous combattrons les Houthis s'ils s'approchent d'al-Mukalla. »

Mais si les militants ont accepté de quitter certains lieux d'al-Mukalla, ils ont élargi leur influence dans d'autres zones de l'Hadramaout. Certains membres d'al-Qaïda ont fait irruption dans la ville de Shiher, tandis que leurs collègues contrôlent le port de la ville. Les militants ont déclaré que le port était devenu une plaque tournante pour le trafic de drogues et de carburant.
 

Traduction de l'anglais (original).

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