EXCLUSIF : Les menaces d’un haut responsable de Bahreïn contraint une activiste à l’exil
Une célèbre militante bahreïnie pour les droits de l’homme, qui a été récemment libérée de prison après un tollé international, a affirmé à Middle East Eye qu’elle avait été contrainte à l’exil après avoir été menacée d’une nouvelle arrestation et d’une séparation indéfinie d’avec ses enfants.
Zainab al-Khawaja est la fille d’un militant connu, Abdulhadi al-Khawaja, qui purge une peine à perpétuité pour son rôle dans les soulèvements de 2011, au cours desquels les manifestants bahreïnis ont réclamé la liberté politique vis-à-vis de la famille dirigeante du pays.
La militante de 32 ans a quitté le royaume du Golfe mardi dernier, moins d’un mois après avoir été libérée de prison. Son emprisonnement pour avoir déchiré une photo du roi avait suscité la controverse. Elle était détenue en prison avec son bébé, Abdulhadi.
Dans une interview accordée à Middle East Eye, Khawaja a déclaré samedi qu’elle avait quitté le pays pour le Danemark la semaine dernière après avoir reçu un message du consulat danois selon lequel un fonctionnaire bahreïni « haut placé » avait indiqué à des diplomates qu’elle serait de nouveau arrêtée et serait mise en examen sur de nouvelles accusations si elle restait dans le pays.
« Le message qui m’a été transmis était que, fondamentalement, je serais emprisonnée sur la base de nouvelles accusations et que, cette fois, je ne pourrais pas emmener mon fils avec moi en prison. Je pourrais seulement le voir une demi-heure par semaine et je pouvais encourir, comme d’autres militants bahreïnies, une peine pouvant aller jusqu’à cent ans de prison », a-t-elle déclaré, dans sa première interview depuis son exil.
Khawaja, qui possède la double nationalité bahreïnite et danoise, est la dernière militante en date à partir en exil depuis que le gouvernement de Bahreïn s’est reposé sur des troupes saoudiennes et émiraties pour réprimer un soulèvement pro-démocratie il y a cinq ans.
Elle avait encouru une peine de trois ans de prison pour seize chefs d’accusation distincts après son arrestation le 14 mars, mais a été libérée deux mois plus tard suite aux condamnations de la communauté internationale, notamment des États-Unis et de l’UE. La Grande-Bretagne a été parmi les quelques grands pays européens à ne pas émettre un appel fort pour sa libération.
« Je savais que le reste de mes trois ans de prison planait au-dessus de ma tête, mais mon avocat et moi n’avions pas prévu que je serais menacée par de nouvelles accusations », a-t-elle déclaré.
« Je pense qu’il s’agissait de faire pression sur moi pour que je quitte le pays. Je ne sais pas quelles sont ces accusations, mais si je devais de nouveau être arrêtée, cela pourrait signifier un emprisonnement indéfini. Je n’avais aucune assurance d’obtenir un procès équitable à Bahreïn. »
Khawaja a également confié à MEE que certaines des accusations existantes ont été portées contre elle pour des infractions commises en détention et que des images cruciales de vidéosurveillance avaient disparu.
« Personne dans ma famille ne peut obtenir un procès équitable. C’est la même chose pour tous les militants de Bahreïn. Je ne suis pas la seule. Les tribunaux sont l’endroit où le régime s’en prend à des manifestants pacifiques. »
« Le roi devrait être jugé »
Khawaja a été arrêtée pour avoir déchiré une photo du roi de Bahreïn, une « infraction » qu’elle affirme avoir réitéré pendant sa détention devant un juge.
« Déchirer une photo du roi était le moins que je pusse faire. C’est le roi de Bahreïn qui devrait être jugé pour les crimes qu’il a commis contre Bahreïn, pour sa complicité dans des milliers de cas de torture et des centaines de meurtres », a-t-elle dit.
« C’était un geste symbolique. Je voulais faire valoir qu’en tant que citoyenne de Bahreïn, j’ai le droit de m’exprimer. »
La militante a déclaré à MEE avoir décidé de quitter Bahreïn quand sa famille lui a demandé de se mettre à l’abri et qu’elle a senti qu’il fallait qu’elle protège ses deux jeunes enfants.
« Je ne peux pas être absolument certaine de ce que voulait le régime car ce haut fonctionnaire ne souhaitait pas que je sache son nom, mais j’ai eu l’impression que je serais arrêtée en l’espace d’un ou deux mois », a-t-elle rapporté, ajoutant qu’elle était reconnaissante de l’aide reçue des responsables danois.
Elle a poursuivi : « Le régime m’a mis dans une situation difficile. Je préférais la prison à l’exil, mais je savais que la prison me séparerait de mes enfants. Presque tous les militants et révolutionnaires que je connais ont quitté le pays, sont en prison ou sont entrés dans la clandestinité. Je sentais que je voulais rester et me battre pour mon pays, mais ma fille est âgée de 6 ans et a déjà vécu tellement de choses dans sa courte vie. »
« Ne pas retourner en prison »
Peu après son arrivée au Danemark la semaine dernière, Khawaja a pu dire à sa fille, Jude, que, pour la « première fois », elle ne risquait pas de se faire arrêter. « Elle avait l’habitude de me demander quotidiennement si le gouvernement allait m’emmener en prison et, cette semaine, j’ai pu lui dire pour la première fois que je ne retournerai pas en prison. Voir son regard… je ne savais pas que je pouvais avoir cet impact. »
Bien que Khawaja se soit mise à l’abri des arrestations au Danemark, où elle a grandi en exil avec ses parents avant de retourner à Bahreïn une fois adulte, la décision de quitter son pays natal a été la « plus difficile » qu’elle ait jamais prise, d’après elle.
« J’ai été visée par des gaz lacrymogènes, j’ai eu la jambe cassée, je suis allée en prison, j’ai été battue, mais comparé à cela, ça a été la chose la plus difficile que je n’ai jamais faite. J’ai dû quitter mon pays, mais j’ai aussi dû quitter mes parents », a-t-elle indiqué.
« Mon père est en prison à Jau et, de son bâtiment, il peut entendre les cris des personnes torturées. Il a passé sa vie à essayer de parler pour les autres, et ne pas être en mesure d’aider est une forme de torture en soi. »
Elle a ajouté qu’elle pensait avoir trouvé la sécurité pour ses enfants, mais que des centaines d’autres militants à Bahreïn souffraient encore.
« Je ne peux même pas commencer à expliquer à quel point c’était difficile de regarder par le hublot, sachant les problèmes qu’il y a à Bahreïn », a-t-elle confié.
« Je fais partie des chanceux car j’avais l’attention des médias. Cela me brise le cœur que d’autres détenus risquent plusieurs dizaines d’années en prison et que personne ne parle de leur cas. »
Bahreïn, qui abrite la 5e Flotte de la Marine américaine et une base de la Marine royale britannique, a écrasé les manifestations de 2011 et fait face depuis à quelques troubles, des manifestations et des attaques contre la police.
D’autres figures de l’opposition et militants des droits de l’homme sont toujours emprisonnés. Certains ont été privés de leur citoyenneté par le gouvernement et ont été expulsés.
Sayed Alwadaei, directeur de campagne au Bahrain Institute for Rights and Democracy (BIRD), a déclaré que cette affaire exposait le fait que le gouvernement britannique ne mettait pas Bahreïn face à ses responsabilités.
« La libération de Zainab a été demandée par les États-Unis, l’Union européenne et l’Organisation des Nations unies. Il a été reconnu qu’elle était une prisonnière politique, mais le Royaume-Uni a été le seul pays qui ne s’est pas inquiété de sa détention ou demandé sa libération. »
Un porte-parole de l’ambassade de Bahreïn à Londres a déclaré à MEE qu’il « cherchait à obtenir des éclaircissements » sur les allégations selon lesquelles Khawaja avait été poussée à partir.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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