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Forcés à se battre : des Syriens risquent tout pour ne pas être enrôlés de force par l’armée

Des milliers d’hommes ont été poussés dans l’armée syrienne. Ceux qui s’en sont échappés craignent désormais que les fantômes de leur passé ne hantent leur avenir
L’armée de la Syrie a perdu des dizaines de milliers de soldats (AFP)

CHIOS, Grèce – Adnan a acheté sa sortie de l’armée de Bachar al-Assad quand il avait 19 ans. Les officiers de rang intermédiaire dans l’armée syrienne ne gagnent pas suffisamment pour refuser l’argent des soldats adolescents.

Son entrée dans l’armée fut aussi brusque que son départ. En octobre 2013, Adnan était en chemin pour acheter le petit déjeuner de sa femme, Hala, une fille « très gentille » de son quartier qu’il avait épousée dix jours plus tôt.

Cependant, les soldats l’ont pris sur le chemin de la boulangerie, l’ont fait monté dans un bus et l’ont envoyé dans une caserne de l’armée.

On lui a donné une arme à feu, dit comment tirer et il a rapidement été expédié pour combattre aux côtés des soldats de carrière d’Assad.

« Ils m’ont envoyé sur le front », a-t-il rapporté. « Ils ont dit que si je ne me battais pas, ils me tueraient. »

Adnan a raconté que, pendant huit semaines, il a combattu loin de chez lui et contre des ennemis qui ne furent jamais identifiés. Lorsqu’on lui demande qui il a combattu, Adnan répond simplement : « Nous nous sommes battus pour le régime – c’est tout. »

Il a survécu à deux mois de la guerre d’Assad avant d’identifier un officier de rang intermédiaire connu pour avoir accepté des pots-de-vin.

La famille d’Adnan a vendu sa maison et son frère a secrètement transféré l’argent à un gardien, qui a fermé les yeux lorsqu’Adnan s’est enfui du camp.

Il a fui en Turquie, puis à Chios, comptant parmi les 1 322 réfugiés arrivés au cours d’une même nuit en février.

Adnan est l’un des milliers de jeunes hommes, généralement âgés d’une vingtaine d’années à peine, qui ont été incorporés de force dans l’armée d’Assad.

Ceux qui ont fui en Europe se retrouvent aujourd’hui face à une décision difficile : que dire aux agents de l’immigration ? Si Adnan admet qu’il a passé du temps dans l’armée, il a entendu dire qu’il pourrait finir en Syrie, où les déserteurs sont exécutés s’ils se font prendre.

En vertu d’un accord conclu entre l’UE et la Turquie, qui est entré en vigueur lundi, les réfugiés risquent d’être expulsés vers la Turquie s’ils échouent au nouveau processus de sélection dans les « points chauds » tels que Chios.

La semaine dernière, l’agence pour les réfugiés des Nations unies, le HCR, a déclaré suspendre certaines opérations à Lesbos, un autre « point chaud » de l’UE, indiquant que les camps de réfugiés là-bas ressemblaient de plus en plus à des « centres de détention ». MSF a fait de même.

Un rapport publié la semaine dernière par Amnesty International affirme que la Turquie a renvoyé de force des milliers de Syriens dans leur pays d’origine, une assertion que les autorités turques ont rejetée.

FRONTEX, qui supervise le nouveau processus, a déclaré à Middle East Eye que les documents d’identité de tous les nouveaux arrivants seront examinés au cours du processus d’inscription.

« Après examen, les empreintes digitales des migrants sont relevées puis les autorités grecques procèdent à des vérifications supplémentaires. Si un migrant dépose une demande d’asile, la procédure d’asile se compose de nombreux entretiens qui couvrent des domaines tels que le service militaire dans le pays d’origine. »

Cependant, l’organisation n’a pas précisé les répercussions qu’aurait le fait d’avoir servi dans l’armée d’Assad sur le résultat final.

Des milliers de réfugiés à Chios risquent désormais l’expulsion vers la Turquie (AFP)

Dans les camps de Chios, il y avait d’autres jeunes avec des histoires comme Adnan et des dizaines d’autres – en général un peu plus jeunes – qui avaient fui la Syrie par crainte d’être enlevés par l’armée et forcés à se battre.

Mohamed, un Syrien de 19 ans, est assis dans la salle d’attente de l’hôpital de Chios tandis qu’un médecin examine la jambe de son ami Ammar, maintenue par des tiges de métal après avoir été brisée dans un tir de missile en Syrie en 2014.

Sur le petit bateau qui les a emmenés de Turquie à Chios, les passeurs l’avaient placé au fond du bateau et avaient contraint les autres réfugiés à s’assoir au-dessus de lui.

Les deux jeunes hommes ont quitté la Syrie pour ne pas avoir à servir dans l’armée d’Assad.

Lorsque les enlèvements sont devenus plus fréquents dans le village de Mohamed à l’extérieur de Damas, le jeune garçon, âgé de 16 ans à l’époque, a abandonné l’école et a passé trois ans à se cacher chez lui. Fin 2015, sa mère et lui ont décidé qu’il devrait essayer de fuir.

« Je devais partir – je ne combattrai pas dans une armée qui assassine les familles chez elles. Je veux aller à l’école », a-t-il confié à MEE.

« Je n’ai pas été au collège depuis trois ans parce que les soldats capturaient les garçons qui se rendaient en cours. Ma mère et moi avons convenu que je partirais », a-t-il expliqué.

« Maintenant, ici ils disent que je suis dangereux parce que je suis en ‘’âge de combattre’’. J’ai quitté ma mère, j’ai tout laissé pour ne pas avoir à tuer. »

Les racoleurs du gouvernement

L’armée syrienne a toujours été une force principalement constituée d’appelés. Au début de la guerre, moins d’un tiers de ses 325 000 soldats étaient des professionnels.

Les jeunes hommes étaient auparavant enrôlés à 18 ans pour un service de 30 mois.

Avant la guerre, le gouvernement n’avait cessé de diminuer la longueur requise du service militaire – deux ans en 2005, 21 mois en 2008 et 18 mois en 2011.

Cependant, la guerre syrienne a dévasté l’armée d’Assad : des dizaines de milliers de morts et une population civile sérieusement diminuée ont contraint l’armée à conserver les soldats en service au-delà de cette durée et à enlever de jeunes hommes pour compenser les déserteurs.

Pour les hommes comme Adnan, Mohamed et Ammar, échapper à leur pays et aux gangs de racoleurs du gouvernement est parfois leur seule chance de survie. Toutefois, ce n’est que la première des nombreuses étapes.

Au centre « d’accueil » de l’Union européenne à Chios, Adnan a reçu une bande de papier avec le chiffre « 7 » griffonné dessus à mettre à son poignet. Il a vu d’autres personnes remplir un petit formulaire, donc il a entrepris d’en trouver un.

Un autre réfugié lui a dit qu’il devait remplir ses informations personnelles en anglais, qu’il ne sait pas lire ni écrire. Lorsque le personnel du HCR a appelé le numéro qu’il avait au poignet dans une langue qu’il ne parle pas, il était censé localiser la tente d’inscription et s’y diriger.

Il n’y avait pas d’arabophone pour le guider à travers le labyrinthe de clôtures métalliques qui encagent les nouveaux réfugiés et les séparent des intervieweurs.

À l’intérieur de la tente, néanmoins, un traducteur professionnel en langue arabe a mené son entrevue FRONTEX.

Le dilemme des déserteurs de l’armée

Adnan a été interrogé sur ses motivations à quitter la Syrie, testé sur sa connaissance du village d’où il prétend venir, interrogé sur sa mosquée locale et la rue dans laquelle il a grandi et son nom a été passé dans une base de données internationale de personnes soupçonnées de terrorisme.

Au cours de cette « entrevue », Adnan a dû décider de divulguer ou non son passé militaire. Bien que la communauté internationale encourage les défections de l’armée d’Assad depuis des années, les hommes au passé comme Adnan savent que leur passage forcé dans l’armée pourrait les amener à être considérés comme trop dangereux pour être autorisés à passer en tant que réfugiés.

En fin de compte, Adnan a choisi de ne pas divulguer son passeport militaire au cours de l’entrevue FRONTEX.

Les autorités syriennes ne signalent pas combien d’hommes échappent au service militaire et les militants locaux disent que les autorités interdisent à quiconque de rapporter ces chiffres.

Le média indépendant Rozana Radio a publié un rapport rare en janvier 2014 indiquant que 5 000 hommes d’une seule province ne se sont pas présentés au service militaire en 2013.

Wael Aleji du Réseau syrien pour les droits de l’homme (RSDH) a déclaré à Middle East Eye que documenter les enlèvements par l’armée était « presque impossible » en partie à cause de la mobilité des postes de contrôle où les gens peuvent être embarqués pour le service.

« L’armée change souvent l’emplacement des check-points, parfois quotidiennement, de sorte que les gens ne peuvent pas se prévenir des arrestations et enlèvements potentiels.

Pour connaître les vrais chiffres, il nous faudrait un informateur à chaque point de contrôle dans toutes les provinces contrôlées par le gouvernement. »

Malgré les difficultés à se documenter, Aleji a déclaré que les recherches du RSDH en Syrie et les réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban suggèrent que « des milliers d’hommes échappent à la conscription chaque année, beaucoup en fuyant la Syrie ».

Les noms des protagonistes ont été changés.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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