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« C’est tellement beau d’aider les gens » : dans les banlieues françaises, les associations caritatives apportent un soutien vital

Ces dernières années, de nombreuses associations caritatives, souvent soutenues par les mosquées locales, se sont créées en banlieue parisienne pour répondre à la demande croissante des populations en difficulté. Focus sur l’agglomération de Mantes-la-Jolie
Les mosquées ont permis la création et le soutien de plusieurs associations du Mantois (Zaouia Meriem-Benziane)
Par Zaouia Meriem Benziane à MANTES-LA-JOLIE, France

Il est 19 heures, des bénévoles associatifs distribuent des repas près de l’église collégiale de Mantes-la-Jolie. Les bénéficiaires sont de tous horizons : des sans-abri du quartier, des résidents de foyers et hôtels sociaux ou de logements insalubres, des jeunes « sans-papiers » et donc sans ressources… 

Au-delà du repas, ils trouvent ici une écoute, un regard, un sourire, un peu de chaleur humaine. Ces maraudes ne luttent pas seulement contre la précarité financière, elles permettent aussi, l’espace d’un instant, de briser la solitude.

Les maraudes de la collégiale de Mantes-la-Jolie symbolisent le dynamisme et la coopération des associations caritatives de la région. Tous les soirs de la semaine, des ONG proposent des repas aux personnes en difficulté. Au total, ce sont environ 70 repas qui y sont distribués chaque soir.

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Les samedis et dimanches soir, c’est l’association As-Suffa qui les prend en charge. David Dos Santos fait partie de ses dirigeants. « Nous menons plusieurs actions pour venir en aide aux plus démunis. Nous proposons des colis alimentaires, sur place ou en livraison dans les hôtels sociaux du Mantois. Environ 400 familles sont concernées », explique à Middle East Eye celui qui coordonne la maraude.

« Près de la collégiale, nous distribuons un repas chaud. Tout est cuisiné sur place, c’est plus sûr d’un point de vue sanitaire, en période de COVID-19 », poursuit-il.

« Les produits alimentaires viennent des habitants, de dons en argent ou en nature. Nous collaborons aussi avec des partenaires, des magasins qui nous donnent les invendus pour les repas ou pour les colis alimentaires. »

« Un énorme besoin »

La crise sanitaire a engendré de graves conséquences économiques et sociales. Les besoins ne font qu’augmenter. Le pic a été atteint lors du premier confinement, car toutes les grandes associations comme les Restos du cœur étaient fermées.

Younes Jaddaoui, le trésorier de l’association As-Suffa, explique qu’« il y a un énorme besoin ».

« Les maraudes se sont ‘’industrialisées’’ depuis le COVID. Pendant le [premier] confinement, le nombre de colis alimentaires distribués avait atteint les 800. Le rythme des maraudes a augmenté. Nous sommes passés d’une seule le samedi à deux par week-end, puis, aujourd’hui, c’est tous les soirs », indique-t-il.

« La semaine, nos maraudes s’adressent surtout aux personnes sans domicile fixe qui vivent dans des squats. On leur apporte les repas sur place car elles ne viennent pas forcément aux distributions de repas à la collégiale. »

Avec le COVID-19 et ses restrictions sanitaires, les migrants en particulier sont confrontés à de nouvelles difficultés. Les administrations ont été fermées pendant plusieurs mois lors du premier confinement et, depuis, les procédures de régularisation ont pris beaucoup de retard.

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Jamal* est Afghan, il vit en France depuis sept mois. Il dit avoir été menacé de mort en Afghanistan car il travaillait pour le gouvernement. Il vit dans un foyer de Mantes-la-Jolie.

« Je suis arrivé en France en juillet 2020 après un long voyage, très difficile, à pied, en voiture, en train, etc. J’ai traversé beaucoup de pays, comme le Pakistan et l’Iran », raconte-t-il à Middle East Eye.

« J’ai dû quitter mon pays car pour les talibans, les personnes qui travaillent avec le gouvernement ne sont pas musulmanes. Ils posent des bombes dans les voitures. Je pense que si j’étais resté, ils m’auraient tué. »   

Venu en France parce qu’il y a des amis et que le pays est pour lui « la patrie des droits de l’homme », son installation a été particulièrement difficile car, à part le 115 (hébergement d’urgence du Samu social), saturé, rien n’est réellement prévu pour accueillir les demandeurs d’asile.

« Au début, je dormais dans les parcs. Les policiers ont délogé les personnes de notre camp de fortune et nous avons été dirigés vers un gymnase. Ensuite, on m’a trouvé une place dans un foyer à Mantes-la-Jolie. Pendant le confinement, les associations m’ont apporté de la nourriture. J’ai du mal à les appeler car c’est difficile pour moi de demander de l’aide. J’étais manager en Afghanistan », dit-il.

« Le problème en France, c’est que lorsque la demande d’asile est à l’étude, tu ne peux pas travailler, contrairement à la Belgique ou à l’Allemagne », explique Jamal, qui attend depuis sept mois une réponse des autorités françaises à sa demande.

Les mosquées au cœur de l’action caritative

Les mosquées ont permis la création et le soutien de plusieurs associations du Mantois. As-Suffa fait par exemple partie du pôle social de la mosquée Mantes Sud à Mantes-la-Ville.

L’originalité de cette association, l’une des plus grandes du secteur, est qu’elle propose un hébergement d’urgence à l’intérieur même de la mosquée, où huit places sont disponibles. Deux chambres de quatre lits, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes. Les repas sont aussi fournis.

« Nous n’étions pas beaucoup d’associations à l’époque. Maintenant, le réseau d’associations est beaucoup plus structuré. Le public bénéficiaire a augmenté ces dernières années »

- Brahim, vice-président de l’Association Mantes Solidarité

Souvent, ce sont des hommes qui occupent les huit places, même s’il est arrivé de recueillir des femmes avec des enfants. L’association est souple et s’adapte à la demande, y compris en ce qui concerne la durée de l’hébergement. L’objectif est de recueillir des personnes démunies pour une courte durée renouvelable, en attente d’une place au Samu social. Le fait qu’une mosquée propose de l’hébergement d’urgence est une première en France.

Une autre association, l’AMS (Association Mantes Solidarité), est soutenue par la mosquée Othman Ibn Affane, également à Mantes-la-Jolie. Son vice-président, Brahim**, explique à MEE que l’idée de l’association a germé au sein de la mosquée, qu’il fréquentait assidûment et dont il était l’un des bénévoles.

« Quand nous avons voulu créer l’association, l’un des responsables de la mosquée nous a aidés. Notre première action a été de proposer des colis alimentaires aux hôtels sociaux du Mantois. »

Depuis cinq ans, la situation s’est aggravée sur le terrain, constate le bénévole.

L’association As Suffa en maraude (Zaouia Meriem Benziane)
L’association As-Suffa en maraude (Zaouia Meriem-Benziane)

« Nous n’étions pas beaucoup d’associations à l’époque. Nous avons pris le créneau [des maraudes] du vendredi et nous l’avons gardé. Maintenant, le réseau d’associations est beaucoup plus structuré. Le public bénéficiaire a augmenté ces dernières années. Nous sommes passés de 30 repas que nous distribuions à quelques SDF à 70 repas aujourd’hui, dont une dizaine à des sans-abri. »

Petit à petit, l’association a pris de l’ampleur. Elle compte aujourd’hui 200 bénévoles.

Les femmes très actives

Une des toutes premières associations de la ville créées pour réaliser des maraudes est celle de Ghanima Boubekeur, une figure locale du champ caritatif. Depuis de nombreuses années, avec son association La Cité de la miséricorde, elle organise une fois par mois une maraude sur Paris avec distribution de repas et de kits d’hygiène.

D’autres associations sont portées par des femmes, comme Chaque seconde compte, dont la présidente est Hafida Bendaoud. Elle aussi a été un précurseur dans l’aide caritative, en organisant des collectes alimentaires redistribuées directement auprès des bénéficiaires, mais surtout en créant des partenariats avec d’autres associations comme AMS ou la Cité de la miséricorde.

« Parfois, cela permet même d’éviter des suicides, car ces personnes se sont retrouvées seules au moment du confinement »

- Khadija Saci, président d’Au cœur de la fraternité

Une autre association très active dans la région, ACF (Au cœur de la fraternité), est présidée par une femme, Khadija Saci. Tout comme les autres acteurs du champ associatif, elle a vu les difficultés augmenter d’année en année.

« Nous sommes partis un jour faire une maraude familiale avec 80 repas à Saint-Denis. Arrivés sur place, il y avait 400 personnes. On a senti une grande frustration », raconte-t-elle à MEE.

Les profils des bénéficiaires sont variés. « Nous recevons des étudiants dans des situations très difficiles. D’autres ont perdu leur emploi à cause du confinement. Les mères divorcées aussi, c’est très dur pour elles. Les colis alimentaires les aident beaucoup. »

L’association apporte en outre un soutien psychologique.

« Parfois, cela permet même d’éviter des suicides, car ces personnes se sont retrouvées seules au moment du confinement. Pendant cette période, tout était fermé, les administrations, les grandes associations caritatives. Ce soutien psychologique est vital. »

Aujourd’hui, les aides d’ACF bénéficient à 800 personnes au moins. « C’est tellement beau d’aider les gens », confie Khadija Saci.

* Le prénom a été modifié.

** La personne n’a pas souhaité indiquer son nom de famille.

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