Frontex aurait refusé de venir en aide à des réfugiés dont un bébé « inconscient »
LESBOS, Grèce – Frontex a refusé de venir en aide à des réfugiés, dont un bébé, et les a laissés en mer au large de la Grèce pendant près de deux heures, selon des travailleurs humanitaires.
Des témoins oculaires ont indiqué à MEE que des agents de Frontex ont empêché des travailleurs humanitaires de porter secours à 50 personnes qui accostaient tôt ce lundi sur la rive nord de l’île grecque de Lesbos.
Leur tactique visait à les placer directement en détention « sans aucune assistance, même les blessés », a déclaré un travailleur humanitaire.
Des témoins ont également affirmé à MEE que les agents de la branche maltaise de la police des frontières européenne ont empêché un médecin de soigner un bébé qui était « inconscient ».
Dans une déclaration écrite pour MEE, Frontex a soutenu que l’équipage à bord du navire maltais avait suivi les instructions d’un officier de la Garde côtière hellénique et qu’aucun des bénévoles ne s’était identifié en tant que médecin.
Ces témoignages surviennent alors que l’ONU annonce que jusqu’à présent en 2016, plus de 2 500 personnes ont perdu la vie en tentant la traversée périlleuse de la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, soit une hausse importante par rapport à la même période l’an dernier. Au cours de la semaine dernière, au moins 880 personnes auraient péri dans une série de naufrages, bien que plusieurs milliers de personnes aient également été sauvées au cours des sept derniers jours à l’issue d’environ 90 opérations de sauvetage.
Soutenue par une série de flottes nationales et de gardes-côtes ainsi que par plusieurs ONG et organisations bénévoles privées, Frontex est chargée de procéder à des opérations de sauvetage en Méditerranée.
Toutefois, des témoins ont indiqué à MEE que le bateau rempli de réfugiés a dû rester en mer jusqu’à ce que les unités terrestres de Frontex n’emmènent les passagers dans des autobus, après que la garde côtière grecque a donné au navire l’autorisation d’accoster dans hameau de pêcheurs de Skala Sikaminias, sur la côte nord de Lesbos.
Esther Camps, de l’ONG espagnole Proactiva, qui effectue des opérations de secours et de sauvetage en mer, était sur les lieux. Elle a expliqué que l’incident a eu lieu aux alentours d’une heure du matin ce lundi. Parmi les arrivants figuraient d’après elle une dizaine d’enfants ainsi que les femmes qui criaient à l’aide.
« On nous a dit de ne rien faire et de "[rester] à l’écart" », a-t-elle indiqué à MEE.
« Alors qu’ils [les réfugiés et les migrants] débarquaient, nous avons remarqué qu’il y avait un bébé qui n’émettait aucun bruit. L’un des agents a affirmé que le bébé allait "bien" et nous a tenus à l’écart. Nous lui avons demandé : "Comment savez-vous qu’il va bien ? Vous n’êtes pas médecin." »
Esther Camps, qui travaille pour Proactiva depuis décembre, a précisé qu’en temps normal, les bébés pleurent lorsqu’ils arrivent sur les côtes, mais que dans ce cas précis, l’enfant n’émettait aucun bruit.
MEE comprend qu’un médecin de l’organisation humanitaire WAHA était également sur les lieux mais s’est vu refuser l’accès.
« Le bébé ne réagissait pas et un médecin a essayé de s’approcher : il était très inquiet pour l’enfant et souhaitait le voir, mais il a été refoulé », a déclaré Iasonas Apostolopoulos, de l’organisation humanitaire Platanos.
Le médecin a décliné une demande d’interview ; toutefois, WAHA a depuis confirmé à MEE que le bébé a survécu et que toutes les personnes secourues ont été emmenées au camp de Moria par les autobus de Frontex.
Si le sexe et la nationalité de l’enfant demeurent inconnus, la plupart des réfugiés et des migrants seraient cependant originaires d’Afghanistan, du Pakistan et d’Érythrée.
Selon Iasonas Apostolopoulos, la police a formé une ligne pour empêcher que l’aide d’urgence soit délivrée une fois que les réfugiés ont été débarqués.
« Les gens étaient trempés et certains n’avaient pas de chaussures. Il y avait un homme blessé et deux autres personnes qui le soutenaient, a-t-il décrit. Les policiers ont formé une chaîne humaine pour [tenir environ sept d’entre nous] à l’écart d’eux. »
Il a expliqué qu’ils n’ont « rien » pu distribuer jusqu’à ce que la chaîne humaine formée par la police ne se brise au cours de la montée de 300 mètres à pied vers les autobus qui attendaient de transporter les nouveaux arrivants vers le centre de détention de Moria.
« Ils nous ont dit que ces personnes étaient des prisonniers et qu’elles ont été arrêtées, et qu’ils [la police] en avaient la responsabilité. »
Le porte-parole du HCR à Lesbos n’a pas souhaité commenter les témoignages spécifiques selon lesquels le responsable de l’agence qui était présent sur les lieux s’était également vu empêcher de parler aux arrivants.
« Je suis les communications et il ne semble pas qu’il se soit produit un incident grave dans lequel le HCR se serait vu refuser l’accès à son travail ou un incident qui nécessite une enquête », a-t-il toutefois affirmé.
Lundi, une photographie d’un bébé migrant qui s’est noyé en Méditerranée entre la Libye et l’Italie a été diffusée par une organisation humanitaire dans l’espoir de persuader les autorités européennes d’assurer une traversée en toute sécurité pour les migrants, qui sont déjà plus de 200 000 à avoir effectué la traversée vers l’Europe depuis le début de l’année.
Bien que les arrivées en Grèce aient diminué depuis la mise en place d’un accord sur les réfugiés conclu en mars en entre l’UE et la Turquie, plusieurs centaines de personnes font encore le voyage chaque semaine.
Avec les arrivées à Lesbos dans la nuit de lundi, plus de 200 personnes ont débarqué sur l’île au cours des 10 derniers jours, selon les derniers chiffres du HCR.
Le porte-parole du HCR à Lesbos a déclaré que depuis l’entrée en vigueur de l’accord d’échange de réfugiés entre l’UE et la Turquie en mars et la transformation de Moria en un camp fermé, Frontex et les gardes-côtes grecs ont pris les commandes de l’aide d’urgence et des transports.
« Depuis le 20 mars, le HCR a interrompu les services et il incombe à Frontex et aux gardes-côtes d’assurer l’entrée des gens et leur transport », a déclaré le porte-parole.
Iasonas Apostolopoulos a affirmé que depuis la mise en place d’un accord dans le cadre duquel les demandeurs d’asile déboutés qui arrivent en Grèce sont renvoyés en Turquie, il s’avère difficile de délivrer de l’aide.
« Tout a commencé après l’accord conclu par l’UE, a-t-il expliqué. Ces gens ne sont plus des réfugiés pour eux [les autorités]. Ce sont des prisonniers en détention. Mais ils ont laissé l’aspect humanitaire en dehors de cela. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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