Frontière Israël-Liban : le mur de toutes les tensions
BEYROUTH – À l’extrême sud du Liban, à la frontière israélienne, mimosas en fleurs côtoient radars de surveillance et grillages de protection. En février dernier, dans la localité côtière de Naqoura, Israël a renforcé sa ligne de démarcation en érigeant un mur en ciment de sept mètres de haut.
Depuis la mer, on voit l’ouvrage – qui s’étend sur 1 800 mètres –serpenter vers l’intérieur des terres. Par endroits, des espaces laissés libres entre deux dalles de ciment laissent entrevoir, de l’autre côté, le relief israélien.
Muni d’une perche à selfies, Riad Issa se prend en photo devant l’édifice. Originaire du Sud-Liban, cet activiste a passé deux ans et demi dansla prison israélienne clandestine de Khiam, un autre village frontalier situé à une quarantaine de kilomètres, longtemps occupé par Tsahal au cours de ses 22 ans de présence au Sud-Liban (1978-2000).
Pour ce Libanais, ce nouveau mur n’est rien moins qu’une énième provocation de la part d’Israël. « C’est une violation du droit international. Il est construit sur une terre arabe, une terre palestinienne. Cela nous pousse à haïr encore plus cette entité violatrice », lâche-t-il à Middle East Eye.
« Israël ne cesse de s’encercler. Mais le mur ne pourra pas le protéger »
- Riad Issa, activiste libanais
Ce n’est pas la première fois qu’Israël installe un mur à sa frontière avec le Liban. En 2012, une séparation physique de deux kilomètres avait été érigée à Kfar Kila, au nord-est du pays. « Israël ne cesse de s’encercler. Mais le mur ne pourra pas le protéger, il n’aura pas d’autre issue que la mer ! C’est une entité qui va disparaître à cause de son isolement et de son racisme », poursuit l’ancien prisonnier.
Une frontière contestée par Beyrouth
Le Liban conteste l’édification de ce nouveau mur parce qu’il menace d’empiéter sur son territoire au niveau de treize points frontaliers qu’il devrait traverser en longeant le tracé de la Ligne bleue, la frontière provisoire entre les deux pays, instaurée par les Nations unies au lendemain du retrait israélien en 2000.
Celle-ci est reconnue par Tel Aviv mais contestée de longue date par Beyrouth. Si pour l’instant, l’ouvrage n’a pas encore débordé sur ce que le Liban estime être son territoire, Israël est soupçonné de chercher à imposer progressivement sa version de la délimitation.
« L'armée se tient prête à la frontière sud afin d'affronter toute tentative de la part d'Israël d’empiéter sur les frontières du Liban », a ainsi prévenu début mars le commandant en chef de l’armée libanaise.
À ce différend frontalier terrestre, se greffe un autre litige portant sur l’exploration de gaz offshore par le Liban, au large de ses côtes. Une partie de ces gisements est située dans un triangle d’environ 860 km2, disputé par les deux pays techniquement encore en état de guerre.
À LIRE : Gaz offshore : le prochain catalyseur d’une guerre entre Israël et le Hezbollah ?
Le 9 février, le Liban a signé un premier contrat de prospection de ses fonds marins avec un consortium alliant les groupes Total, ENI et Novatek, suscitant la colère d’Israël. Son ministre de la Défense Advigor Lieberman a dénoncé une « provocation » de la part de Beyrouth.
Mais le Liban, lui, se montre intransigeant. « Israël ne peut pas se permettre de franchir les limites parce qu'il y a une décision libanaise de défendre les frontières terrestres et maritimes », déclarait fin février le président libanais Michel Aoun face à Rex Tillerson, ancien secrétaire d’État américain en visite à Beyrouth.
De son côté le Hezbollah, la milice armée par l’Iran, ennemi juré d’Israël, a appelé l’État libanais à mener « la bataille » des frontières en restant en « position de force ».
« Pas d’appétit pour la guerre »
Alors que la situation menaçait de dégénérer les Nations unies et les États-Unis sont intervenus pour faire baisser la tension. L’émissaire américain David Satterfield a multiplié les allers retours entre Beyrouth et Tel Aviv.
Durant le seul mois de février, les armées israéliennes et libanaises se sont réunies à quatre reprises à Naqoura, dans le cadre de discussions tripartites supervisées par la Force intérimaire des Nations unies (FINUL) établie en 1978 lors du premier retrait israélien du Liban. En temps normal, ces rencontres ont lieu une fois par mois.
En février, les armées israéliennes et libanaises se sont réunies à quatre reprises à Naqoura. En temps normal, ces rencontres ont lieu une fois par mois
« Le leadership de la FINUL travaille avec toutes les parties sur une base quotidienne. En même temps, celles-ci veulent tirer avantage de notre coordination. C’est le seul endroit où elles se rencontrent dans une pièce pour tenter de trouver une solution. Le dialogue est ouvert depuis 2006. Au total, nous avons eu 110 réunions et personnes n’a jamais quitté ces discussions. C’est le signe que personne n’a d’appétit pour la guerre en ce moment », affirme Andrea Tenenti à MEE, précisant avoir « reçu un engagement de la part des armées israéliennes et libanaises pour maintenir la stabilité ».
Dans ce litige qui l’oppose à Israël, le pays du Cèdre se réfère à la frontière établie en 1923 par les puissances mandataires française et britannique, confirmée par l’armistice de 1949 après la première guerre israélo-arabe.
Or le tracé de la Ligne bleue ne correspond pas, en treize points, à cette frontière originelle. « Il n’y a pas de frontière entre les deux pays. Il y a juste cette ligne que nous avons tracé, celle du retrait israélien en 2000. N’importe quel incident le long de la Ligne bleue peut augmenter les tensions. C’est pourquoi la présence constante de la FINUL à cet endroit est très importante », relève Andrea Tenenti. Entre le fleuve Litani et la Ligne bleue, 10 500 Casques bleus issus de contingents de 41 pays sont déployés.
Bombe à retardement
Fin connaisseur du dossier, le général Maher Chtaili a participé aux pourparlers avec Israël jusqu’en 2012. Il explique à MEE : les réunions organisées à Naqoura « servent seulement à éviter les tensions et non à négocier la frontière entre le Liban et Israël ».
« Le problème doit être réglé dans un cadre juridique et avec la médiation de l’ONU, qui doit prendre l’initiative de redessiner la Ligne bleue en envoyant des spécialistes sur le terrain et en ouvrant des négociations directes entre le Liban et Israël », poursuit le haut gradé. Il avertit : « Un non règlement de la question des frontières constituera une bombe à retardement. (…) Ce serait une grave erreur car on pourrait se retrouver soudainement dans un conflit violent ».
À l’été 2006, une guerre meurtrière a opposé Israël au Hezbollah. Le conflit avait fait 1 200 morts et un million de déplacés côté libanais, contre 120 civils israéliens tués par des roquettes lancées en territoire « ennemi ».
Douze ans plus tard, le feu couve toujours, sous la cendre. Après des années d’engagement sur le théâtre syrien, la milice a considérablement renforcé son arsenal militaire et ses hommes ont forgé une solide expérience sur le champ de bataille. Tous ces acquis ne sont pas pour rassurer Israël.
Douze ans après la guerre de 2006, le feu couve toujours, sous la cendre
« Israël pense que ni le gouvernement libanais, ni le Hezbollah ne cherchent une confrontation sur la question de la frontière. Une source de tension réelle est l’existence d’arsenal militaire et la possibilité que l’armée [israélienne] utilise la force pour contrecarrer les plans de l’Iran, ce qui pourrait mener à une réponse violente du Hezbollah », écrit Yaniv Kubovich dans les colonnes du quotidien Haaretz.
Avec un tel scénario, le litige frontalier pourrait servir de prétexte pour déclencher les hostilités.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].