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Moyen-Orient : la grande guerre aura-t-elle lieu au printemps ?

Hommes politiques, diplomates et analystes de tous bords n’excluent pas une grande guerre qui aurait pour théâtre la Syrie et le Liban, et pour objectif, du côté américano-israélien, de freiner l’influence russe et iranienne au Levant

Les tensions sont de plus en plus palpables au Levant. Le discours belliqueux de Washington, les changements auxquels a procédé Donald Trump au sein de son administration et la multiplication de « signaux inquiétants » sur le terrain poussent un grand nombre d’hommes politiques et d’analystes à évoquer le scénario d’une grande guerre au Moyen-Orient.

Le limogeage du secrétaire d’État américain Rex Tillerson et son remplacement par le directeur de la CIA, Mike Pompeo, ont donné le signal d’un grand ménage décidé par le président américain parmi ses proches collaborateurs. Quelques jours plus tard, c’était au tour du conseiller à la sécurité nationale, H. R. McMaster, d’être remercié. Il a été remplacé par John Bolton, ex-ambassadeur aux Nations unies.

Le discours belliqueux de Washington, les changements au sein de l’administration Trump et la multiplication de « signaux inquiétants » sur le terrain poussent un grand nombre d’hommes politiques et d’analystes à évoquer le scénario d’une grande guerre au Moyen-Orient

Gina Haspel, ancien agent spécialisée dans les opérations secrètes, a été propulsée à la tête de la CIA. Elle est accusée d’avoir torturé des détenus irakiens dans la tristement célèbre prison d’Abou Ghraib, pendant l’occupation américaine entre 2003 et 2010. Son prédécesseur Mike Pompeo, le nouveau chef de la diplomatie, est lui aussi connu pour approuver les méthodes de torture durant les interrogatoires.  

« Bolton défend des positions encore plus dures que celles de Trump, notamment des campagnes de raids aériens, des guerres et des changements de régime », écrit la journaliste Robin Wright dans The New Yorker, le 23 mars. Selon elle, « l’équipe qui décide des actions des États-Unis dans le monde est désormais dominée par des tenants de la ligne dure, partisans des guerres ».

Le président américain Donald Trump et l'ex-secrétaire d’État Rex Tillerson, remplacé par le « faucon » Mike Pompeo (AFP)

Avec Bolton, Pompeo et Haspel, trois des sept membres du Conseil national de sécurité sont des « faucons ». Le secrétaire à la Défense, James Mattis, est le dernier « pragmatique », selon Robin Wright. Mais personne ne sait combien de temps il restera encore à son poste.

Escalade verbale entre Washington et Moscou

Ces changements n’auraient pas suscité autant d’inquiétudes s’ils n’étaient pas inscrits dans un contexte plus général caractérisé par une escalade verbale entre les États-Unis et la Russie. Le 12 mars, l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, a annoncé que Washington était prêt à effectuer une nouvelle frappe sur la Syrie si l’ONU s’avérait incapable d’obtenir l’arrêt de l’offensive russe dans la Ghouta orientale.

La réponse de Moscou n’a pas tardé. Le lendemain, le chef d’état-major, Valeri Guerassimov, a déclaré que son pays riposterait à une éventuelle frappe américaine sur Damas. « En cas de menace contre la vie de nos militaires, les Forces armées russes prendront des mesures de riposte contre les missiles ainsi que contre les porteurs de ceux-ci », a-t-il déclaré.

Pour dissuader les États-Unis de mener des frappes, le général Guerassimov a précisé que « des conseillers militaires russes, des représentants du Centre [russe] pour la réconciliation [des parties en conflit en Syrie] ainsi que des agents de la police militaire se trouvent sur les sites du ministère syrien de la Défense ».

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Les signaux d’une prochaine guerre sont nombreux, affirme à MEE l’ancien journaliste Bilal Charara, responsable des relations internationales au Parlement libanais. « Le chef d’état-major américain a annoncé l’envoi de renforts à Manbij [nord de la Syrie] et sur les fronts du sud syrien », nous a-t-il dit.

« Il s’agit désormais d’une confrontation directe, dont les contours se dessinent sur le terrain syrien. Les limites du champ de bataille vont jusqu’à l’est de l’Euphrate […] »

- Walid Charara, journaliste au quotidien libanais Al-Akhbar

C’est dans le cadre de la préparation à un éventuel conflit que Bilal Charara place les manœuvres conjointes israélo-américaines (baptisées « Juniper Cobra 2018 ») organisées du 4 au 15 mars derniers. 2 500 soldats américains et 2 000 israéliens ont participé à ces exercices à « caractère offensif », précise-t-il.   

« L’objectif de cet exercice sera de renforcer la coopération et la coordination entre nos deux armées, de promouvoir l’apprentissage bilatéral et d’améliorer nos capacités de défense antiaérienne », indique un porte-parole de l’armée israélienne dans un communiqué repris par le média israélien I24.

Walid Charara, spécialiste des questions du Moyen-Orient et journaliste au quotidien libanais Al-Akhbar, pense que « les États-Unis revoient leur calcul après que l’intervention de la Russie en Syrie a fait échec aux guerres par procuration ».

Des soldats russes montent la garde dans une rue de Deir ez-Zzor, dans l'est de la Syrie, en septembre 2017 (AFP)

« Il s’agit désormais d’une confrontation directe, dont les contours se dessinent sur le terrain syrien, nous dit-il. Les limites du champ de bataille vont jusqu’à l’est de l’Euphrate, où les troupes américaines sont déployées dans huit bases et sont alliées à une force kurde et tribale ».

L’ancien ambassadeur de France au Liban, Jean-Pierre Lafon, n’exclut pas, lui non plus, un conflit régional. Empêtré dans des affaires internes, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou pourrait procéder à une manœuvre de distraction à l’extérieur, nous a-t-il dit lors d’un passage à Beyrouth début mars.

Bases évacuées et redéploiement

Le Hezbollah libanais et le commandement syrien prennent au sérieux les menaces verbales américaines et les mouvements de troupes sur le terrain.

Des sources militaires libanaises, qui ont requis l’anonymat, révèlent que le Hezbollah a relevé son niveau d’alerte ces dernières semaines. Les hauts dirigeants du parti, qui s’entourent déjà de mesures de protection très strictes, ont changé leurs protocoles de sécurité.

Toute opération militaire menée contre la Syrie ou le Liban ne restera pas localisée. Elle pourrait être l’étincelle d’une grande guerre, qui embraserait tous les fronts du Levant    

« Les combattants du Hezbollah et l’armée syrienne ont évacué de nombreuses bases et ont procédé à un redéploiement de leurs troupes sur le conseil des Russes. Les défenses anti-aériennes ont aussi été renforcées autour des sites stratégiques », croit savoir Bilal Charara.

L’objectif affiché des États-Unis et d’Israël est de combattre l’influence de l’Iran au Levant. Mais pour Washington, l’enjeu est bien plus important, puisqu’il s’agit de briser l’élan de la Russie, qui cherche à s’affirmer comme acteur incontournable sur la scène régionale et internationale dans le cadre de sa stratégie de construction d’un monde multipolaire, en place et lieu du monde unipolaire dominé par les États-Unis.

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Pour freiner les ardeurs guerrières des États-Unis, l’axe Russie-Iran-Hezbollah use de l’arme de la dissuasion. Publiquement ou plus discrètement, ils multiplient les messages à l’adresse de Washington et de ses alliés selon lesquels toute opération militaire menée contre la Syrie ou le Liban ne restera pas localisée. Elle pourrait être l’étincelle d’une grande guerre, qui embraserait tous les fronts du Levant.    

- Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des parachutistes israéliens et des Marines américains participent à un exercice militaire conjoint, « Juniper Cobra 2018 », dans le centre de formation à la guerre urbaine de Tze’elim, dans le sud d’Israël, le 12 mars 2018 (AFP).

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