À Gaza, il n'y a plus d'argent pour faire tourner l'économie
GAZA – Au début de chaque mois, Muzouza Abou Rayyash a l’habitude de faire ses courses au supermarché près de chez elle, dans le quartier Cheikh Radwan de Gaza.
Mais, ce mois-ci, elle a dû annuler son rituel, le Programme alimentaire mondial (PAM) ayant arrêté de distribuer des bons alimentaires à 60 000 bénéficiaires à Gaza, dont la famille d’Abou Rayyash.
Avec le bon de 20 dollars (16 euros) qu’elle percevait, elle achetait de l’huile de cuisine et du lait. Selon Abou Rayyash, sa famille de sept personnes recevra maintenant des vivres. Or, jusqu’à présent, ils n’ont reçu que de la farine.
« Pourquoi mes enfants devraient-ils être victimes de la politique ? » demande-t-elle.
« Nous n’avons que deux options : soit réduire le nombre de nos employés, soit fermer nos ateliers et attendre la prison »
- Nabil Shurrab, propriétaire d’une boutique de vêtements
Les réductions du PAM – annoncées pour la première fois en octobre et motivées par un déficit budgétaire – sont intervenues quelques semaines après la décision des États-Unis de couper l’aide de 65 millions de dollars attribuée à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), en plus de leur refus de verser 45 millions de dollars d’aide alimentaire aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, promis suite à un appel d’urgence lancé par l’UNRWA.
Ces événements n’ont fait qu’aggraver les difficultés à Gaza, où onze ans de blocus israélien ont laissé près de deux millions de personnes coincées sur la bande sans accès aux services de première nécessité, et dont la moitié dépend de l’aide humanitaire, selon Oxfam.
D’autre part, un accord entre l’Autorité palestinienne (AP) et le Hamas, négocié en Égypte en septembre dernier, était censé soulager la situation, mais l’AP n’a pas encore levé ses sanctions.
Toutes ces mesures amènent de nombreuses personnes à se demander si, après avoir averti depuis des années de l’imminence du désastre, Gaza ne se trouve pas maintenant au bord de l’effondrement économique complet.
En début de semaine, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a qualifié la bande de Gaza d’« urgence humanitaire permanente », et déclaré que l’ONU avait prédit que l’enclave deviendrait invivable en 2020, « à moins que des mesures concrètes ne soient prises pour améliorer infrastructures et services de base ».
Protestations croissantes
Au cours des dernières semaines, des centaines de Gazaouis – employés de l’ONU, routiers et commerçants – ont manifesté contre les difficultés croissantes auxquelles ils sont confrontés.
« La situation économique à Gaza frôle l’effondrement. Tous les indicateurs économiques sont au rouge », avertit Maher al-Tabbaa, directeur de la Chambre de commerce de Gaza, lors d’un entretien avec Middle East Eye cette semaine.
« La situation économique à Gaza est au bord de l’effondrement. Tous les indicateurs économiques sont au rouge »
- Maher Al-Tabbaa, directeur de la Chambre de commerce de Gaza
Sur les plus de deux millions d’habitants que compte Gaza, 46 % sont actuellement au chômage, et 65 % d’entre eux vivent avec moins de 1,90 dollar (1,50 euro) par jour.
Murjan Abou Aser était l’un des 150 routiers à avoir protesté lundi contre la dégradation de la situation à Gaza – qui a entraîné une forte baisse du nombre des cargaisons transportées via Kerem Shalom, seul passage commercial de la bande de Gaza.
« J’ai un camion qui vaut environ 100 000 dollars [80 000 euros]. Je me demande bien comment je vais payer mes traites », s’inquiète Abou Aser. « J’ai une famille, sept bouches à nourrir. J’espère donc qu’on retrouvera bientôt la même situation qu’à l’époque du Hamas [avant que le groupe dissolve son contrôle de Gaza en septembre] ».
« Nous sommes bosseurs et n’avons aucune affiliation politique », affirme Nahed Shouhibar, propriétaire d’une entreprise de transport privée. « Ma compagnie faisait douze déplacements par jour. Maintenant, nous ne transportons plus que trois cargaisons par mois ».
« Nous payons aux autorités du Hamas une taxe de transfert de 725 dollars [590 euros] par camion. Aujourd’hui, nous devons leur régler quatre fois plus. »
Le nombre de camions de ravitaillement passant chaque semaine d’Israël à la bande de Gaza a récemment chuté, passant d’une moyenne de 900 à environ 300, en raison du faible pouvoir d’achat des consommateurs gazaouis. Chaque chauffeur n’a que trois expéditions à faire par mois, indique Murjan.
Magasins sans clients
Cette semaine, vers midi, généralement l’heure la plus active de la journée, la zone commerciale Rimal de Gaza est à moitié vide.
Pour attirer les clients, de nombreuses vitrines de magasins annoncent des rabais importants et des soldes d’hiver. Certains d’entre eux ont cassé les prix jusqu’à 40 %.
Mais Nabil Shourrab, 44 ans, gérant d’une boutique de vêtements importés de Turquie et de Chine, déplore que malgré leurs ventes, les magasins n’ont plus assez d’argent pour réapprovisionner les stocks.
Shourrab explique que ses collègues, au lieu de gérer leurs boutiques, passent leur journée à la banque à rembourser des emprunts pour échapper à la prison.
« Nous n’avons que deux options : soit réduire le nombre de nos employés, soit fermer nos ateliers et attendre la prison. »
Si les commerçants ressentent les effets de cette baisse d’activité, explique Al-Tabba, directeur de la Chambre de commerce de Gaza, c’est en partie parce que les fonctionnaires gouvernementaux ne sont plus payés depuis l’année dernière. L’Autorité palestinienne a coupé leurs salaires, ce qui équivaut à 20 millions de dollars (16 millions d’euros) par mois.
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Mais Ahmad Majdalani, membre du comité exécutif de l’OLP et proche conseiller du président palestinien Mahmoud Abbas, refuse de qualifier les mesures de l’AP de « punitives ».
« L’autorité impose légalement des taxes, contrairement au Hamas, qui imposait des impôts selon son bon plaisir. Mais le Hamas contrôle toujours la bande de Gaza et refuse de remettre les clés au gouvernement actuel », souligne-t-il.
Le mois dernier, des commerçants de Gaza ont déclenché une grève générale et baissé le rideau de leurs magasins pour protester contre les conditions de vie.
Contrairement aux grèves précédentes, Al-Tabbaa remarque que la manifestation a rassemblé un grand nombre de personnes, ce qu’il attribue à la crainte d’« un avenir sombre qui pourrait aggraver une situation sociale et politique déjà troublée ».
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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