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À Gaza, le coronavirus fait revivre les cérémonies de mariage traditionnelles

Contraints de revoir leurs plans en raison de la pandémie, les couples palestiniens font revivre des traditions du passé pour célébrer leur amour
« Cette joie m’a ramenée au temps de ma jeunesse » (MEE/Mohammed Salem)
Par Tareq Hajjaj à GAZA, Palestine

Dans la modeste cour de leur maison, les cris de joie et les voix de femmes entonnant des chants palestiniens traditionnels résonnent alors que la famille célèbre l’union des deux jeunes mariés prêts à commencer leur vie ensemble.

Les amoureux sont accueillis dans la demeure du mari par les visages familiers de leurs amis proches et de leur famille, loin de l’agitation des salles de mariage, du bourdonnement des enceintes et de la musique moderne.

Suite à la fermeture des salles de mariage dans la bande de Gaza dans le cadre des mesures de lutte contre le coronavirus, les couples célèbrent désormais leur union chez eux, en particulier ceux qui se sont fiancés avant l’épidémie.

À la mi-mars, le ministère de la Santé a interdit tous les rassemblements et ordonné la fermeture de l’intégralité des salles, restaurants et hôtels.

Pour les anciennes, le retour à des cérémonies de mariage plus intimistes est une raison supplémentaire de faire la fête.

Des hommes dansent la dabkeh, une danse traditionnelle palestinienne, lors de la célébration d’un mariage palestinien (MEE/Mohammed Salem)
Des hommes dansent la dabkeh, une danse traditionnelle palestinienne, lors de la célébration d’un mariage palestinien (MEE/Mohammed Salem)

« Ces mariages nous ramènent dans le passé ; c’est comme ça que je me suis mariée », raconte la mère du marié, Ezdihar Yaseen, qui se fait aussi appeler Oum Mohammad.

« Les femmes de ma famille et de celle de mon mari se rassemblaient autour de moi et chantaient pour moi, leurs voix se mêlaient à la musique du hautbois et des percussions, aux applaudissements et aux chants. Grâce à elle, j’avais vraiment l’impression d’être une mariée », confie-t-elle à Middle East Eye en décrivant son mariage, il y a 53 ans.

« Je me suis mariée ici, dans cette maison, c’est ici que j’ai vieilli et donné naissance à mes enfants, et me voilà en train de marier mon fils au même endroit. C’est comme ça que la joie entre dans un foyer – pas en allant célébrer notre joie dans une salle louée, pour retourner ensuite dans une maison vide sans y avoir créé des souvenirs heureux. »

« C’est comme ça que la joie entre dans un foyer – pas en allant célébrer notre joie dans une salle louée, pour retourner ensuite dans une maison vide sans y avoir créé des souvenirs heureux »

- Oum Mohammad

Oum Mohammad pense que les mariages modernes ont effacé les cérémonies plus modestes « de l’imaginaire palestinien » et perdu leur « identité palestinienne traditionnelle ».

« Les mariages ont commencé à être organisés à l’extérieur du foyer, dans des salles de mariage luxueuses et tentantes pour les jeunes qui n’ont pas connu le charme des mariages palestiniens traditionnels », explique-t-elle.

Pour Oum Mohammad, célébrer un mariage de cette façon est plus beau, plus élégant et aussi plus rentable.

Soulignant la différence de prix, la mère du marié précise que dans les circonstances actuelles, de nombreux hommes de la communauté « ont pu se marier plus rapidement, la charge financière étant très faible ».

« J’ai marié trois de mes enfants, mais je n’ai pas goûté au même bonheur que cette fois-ci ; cette joie m’a ramenée au temps de ma jeunesse. »

Le coût élevé des mariages

La bande de Gaza est soumise à un blocus israélien rigoureux depuis près de treize ans. Ceux qui veulent se marier à Gaza doivent assumer des dépenses comparativement élevées pour des jeunes hommes, dans un territoire en proie à des conditions humanitaires difficiles et un taux de chômage élevé.

Le père du marié, Darwish Yaseen, confirme que les mariages de ses autres fils ont coûté beaucoup plus cher que celui de son fils Mou’nes.

« J’ai parlé de mon mariage à mes amis et j’ai appris qu’ils désiraient profiter de la situation actuelle pour se marier »

- Mou’nes Yaseen, jeune marié

Si certains aspects financiers du mariage sont restés les mêmes, les conditions imposées par le COVID-19 ont allégé la charge globale représentée par l’événement.

Darwish, ou Abou Mohammad, explique que la dot versée à une mariée à Gaza se situe entre 3 000 et 5 000 dinars jordaniens (environ 3 900 à 6 500 euros), l’une des devises utilisées dans les territoires palestiniens. Ce montant n’a pas changé, dit-il, dans la mesure où il fait partie des valeurs traditionnelles.

« Hormis cela, tout a complètement changé », explique Abou Mohammad à MEE.

Après le versement de la dot, précise-t-il, le marié doit supporter des frais qui s’élèvent à trois fois la valeur de la dot : paiement de la salle de mariage, location d’autobus pour le transport des invités jusqu’au lieu du mariage, fête et dîner organisés par sa famille la veille du mariage et, le jour de la cérémonie, déjeuner organisé pour les deux familles et les proches.

« La crise du coronavirus a entraîné l’abandon de toutes ces formalités », affirme Abou Mohammad, qui ajoute que ce changement préserve la forme traditionnelle des mariages palestiniens, selon laquelle la famille envoyait de la nourriture et des pâtisseries aux voisins et aux proches avant d’amener la mariée jusqu’à la maison décorée, alors qu’un groupe de femmes effectuait une procession de quelques heures.

C’était un moment joyeux, se souvient-il.

Des femmes se rassemblent autour d’une mariée, chantent et ululent (MEE/Mohammed Salem)
Des femmes se rassemblent autour d’une mariée, chantent et ululent (MEE/Mohammed Salem)

Mou’nes, le marié de 24 ans, affirme que son mariage a été tout aussi agréable et joyeux chez lui, auprès de sa famille.

Lors des mariages de ses frères et sœurs aînés, Mou’nes aimait que sa mère se remémore les cérémonies traditionnelles de son époque.

Les scènes vécues lors de son propre mariage correspondent aux cérémonies que sa mère décrivait, ce qui l’a rendu encore plus heureux, confie-t-il.

« Beaucoup de mes amis souhaitent se marier, mais leur situation financière ne le leur permet pas en raison du coût élevé des mariages », explique Mou’nes.

Après avoir entendu parler de son mariage, certains de ses amis ont commencé à réfléchir à leur propre projet de fonder une famille.

« J’ai parlé de mon mariage à mes amis et j’ai appris qu’ils désiraient profiter de la situation actuelle pour se marier. »

« Le parfum de la Palestine et de Jérusalem »

Sumayya Munther, l’épouse de Mou’nes, âgée de 19 ans, explique que si les mariages de ses sœurs aînées dans des salles luxueuses l’ont enthousiasmée, sa cérémonie traditionnelle était la plus intimiste, en particulier puisqu’elle s’est passée dans le foyer où elle a commencé sa nouvelle vie.

« J’étais ravie de tous ces chants et de la joie qui emplissaient la maison où je vais vivre. Je me souviens de tous les détails – je riais et je dansais dans la cour [du] foyer où je vais vivre et fonder ma famille. Cet endroit renfermera de nombreux souvenirs que je raconterai à mes enfants », assure-t-elle.

« Je me suis mariée ici, dans cette maison, c’est ici que j’ai vieilli et donné naissance à mes enfants, et me voilà en train de marier mon fils au même endroit » (MEE/Mohammed Salem)
« Je me suis mariée ici, dans cette maison, c’est ici que j’ai vieilli et donné naissance à mes enfants, et me voilà en train de marier mon fils au même endroit » (MEE/Mohammed Salem)

Sumayya raconte que la cérémonie a incité une de ses amies à envisager d’avancer la date de son propre mariage.

La jeune mariée explique que lorsque tous les plans ont changé en raison de la crise sanitaire, elle n’aurait jamais pensé que son mariage se révélerait plus beau qu’elle ne l’avait imaginé. Selon elle, les chants traditionnels entonnés par les femmes de la famille ont eu ainsi beaucoup plus de sens.

« C’était la joie de toute une vie et elle était ancrée dans le patrimoine palestinien. Les chants étaient proches du cœur, ils portaient le parfum de la Palestine et de Jérusalem. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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