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À Gaza, un jeune programmeur prodige rêve grand

Bien qu’il soit obligé de jongler avec les coupures de courant qui assaillent la bande de Gaza, Bilal Shahin, 15 ans, a déjà créé vingt jeux vidéo et est déterminé à poursuivre son rêve de posséder sa propre société
Bilal Sahin joue à un jeu qu’il a créé (MEE/Mohammed Asad)

BANDE DE GAZA, Palestine – Depuis cinq ans, Bilal Shahin, aujourd’hui âgé de 15 ans, est collé à l’ordinateur de sa maison dans la bande de Gaza assiégée. Son amour pour la découverte de ce qui se trouve dans les entrailles de cette machine fascinante, il y a consacré une grande partie de son existence.

Il a passé des heures à jouer à des jeux vidéo, intrigué par la manière dont ils étaient produits pour divertir des millions de personnes à travers le monde.

« Personne ne m’aidait ni ne me remarquait. J’étais tout le temps tout seul à essayer d’apprendre les moindres détails de la programmation »

– Bilal Shahin, programmeur

« J’étais très curieux de savoir comment ces jeux étaient créés, c’est pourquoi j’ai commencé à apprendre à produire mes propres jeux vidéo », a raconté Bilal à Middle East Eye.

À seulement 11 ans, Bilal a commencé à regarder des vidéos sur YouTube et à parcourir des articles en ligne pour apprendre à produire et à programmer ses propres jeux vidéo.

« Personne ne m’aidait ni ne me remarquait. J’étais tout le temps tout seul à essayer d’apprendre les moindres détails de la programmation », raconte-t-il fièrement.

Il a commencé à produire des prototypes de jeux, puis il a ajusté la structure de la programmation des jeux et apporté des modifications à l’aide de Visual Studio, l’éditeur de code de Microsoft, jusqu’à être satisfait du produit final.

Bilal Shahin présente un jeu qu’il a développé, disponible sur Google Play (MEE/Mohammed Asad)

Bilal a indiqué avoir développé vingt jeux au cours des trois dernières années, dont Flappy Attack Crush, disponible sur Google Play.

Le but du jeu est d’empêcher les oiseaux « casse-pieds » de passer de l’autre côté de deux tuyaux animés en les écrasant. Bilal a été inspiré par d’autres jeux auxquels il a joué sur Google Play et s’est mis au défi de produire des jeux similaires.

Pour lancer un jeu sur Google Play, le contributeur doit fournir les preuves de toutes les étapes effectuées pour produire le jeu et payer 30 dollars en ligne. Tawfiq Afana, le professeur d’informatique de Bilal, a insisté pour payer les frais afin d’encourager son élève talentueux à poursuivre ses rêves.

Afana affirme que Bilal est toujours attentif dans son cours et qu’il parle de l’amour qu’il porte pour la programmation.

« Je l’aide parce que ce n’est pas tous les jours que l’on trouve un programmeur de 15 ans aussi passionné et aussi doué », a déclaré le professeur.

En 2016, Tawfiq Afana a encouragé Bilal à participer au Concours technologique de Gaza dans le quartier d’al-Shalihat, sur la côte gazaouie. Il a présenté tous ses jeux vidéo au concours et remporté la première place.

« Je suis tellement fier que Bilal soit mon élève, je suis sûr qu’il a un avenir radieux devant lui », a-t-il déclaré.

« Je suis tellement fier que Bilal soit mon élève, je suis sûr qu’il a un avenir radieux devant lui »

– Tawfiq Afana, le professeur d’informatique de Bilal

Bilal est en onzième année (l’équivalent de la première en France) au lycée al-Taqwa de Gaza, où il a obtenu une moyenne (« grade point average », ou GPA) de 4.0, soit la meilleure note possible.

L’adolescent aime recueillir les commentaires et les conseils de ses amis quant aux façons de développer et d’améliorer ses jeux.

« J’aime jouer à Flappy Attack Crush, surtout quand il n’y a pas d’électricité. Je dis à tous ceux que je connais que c’est mon ami Bilal qui a fait ce jeu », a affirmé Reslan al-Jaabari, un ami de Bilal.

Ses plus fervents supporters

« Je vois Bilal comme un futur créateur de jeux vidéo », a déclaré Samiha Shahin, la mère de Bilal, âgée de 53 ans.

Bilal assis entre ses plus fervents supporters, ses parents (MEE/Mohammed Asad)

« Bilal me parle tous les jours de son rêve d’avoir sa propre société pour créer des jeux vidéo », a-t-elle ajouté, esquissant un sourire empli de fierté.

Bilal a grandi dans une famille aux ressources limitées et est le cadet d’une fratrie de quatre enfants.

Sa mère est atteinte d’un cancer et son père, Arafa Shahin, âgé de 60 ans, est à la retraite après avoir dirigé le service de maintenance de l’Université islamique de Gaza.

Malgré les circonstances difficiles auxquelles ses parents doivent faire face, ils sont ses plus fervents supporters.

« Je suis si fière de mon fils Bilal ; depuis son enfance, il est collé à l’ordinateur », a confié Samiha.

« Je suis si fière de mon fils Bilal ; depuis son enfance, il est collé à l’ordinateur »

– Samiha Shahin, mère de Bilal

Les parents de Bilal soutiennent l’idée de le voir voyager à l’étranger pour étudier et développer davantage ses compétences. Ils espèrent que Bilal aura l’opportunité de travailler un jour dans l’une des sociétés de jeux vidéo les plus importantes et les plus prospères.

« Il y a beaucoup d’obstacles dans la bande de Gaza, mais malgré tout, je suis sûr que les rêves de Bilal se réaliseront », a affirmé son père, Arafa.

Le blocus, la multiplication des restrictions à la liberté de circulation et un taux de chômage croissant – plus de 60 % chez les jeunes de Gaza – font que la plupart des jeunes gazaouis se sentent piégés et incapables de poursuivre leurs rêves d’études ou de carrière à l’étranger.

Bilal espère pouvoir décrocher une bourse au Massachusetts Institute of Technology (MIT), aux États-Unis. Mais s’il ne peut pas quitter la bande de Gaza en raison du siège, il se repliera sur le plan B consistant à étudier la médecine à Gaza tout en poursuivant ses activités informatiques dans son temps libre.

Devenir médecin est la voie traditionnelle pour ceux qui ont de bonnes notes à Gaza, la bande côtière assiégée offrant certainement plus de possibilités d’emploi rémunéré en tant que médecin plutôt qu’en tant que programmeur informatique.

« À Gaza, le parcours d’études en programmation informatique et en informatique n’est ni développé, ni moderne ; tout ce qu’ils enseignent, ce sont les bases de la programmation », a expliqué Bilal.

Imperturbable malgré les déconnexions

Bilal indique que l’un des principaux obstacles auxquels il est confronté depuis qu’il a commencé la programmation informatique est représenté par les coupures de courant.

Gaza souffre d’une crise de l’électricité depuis plusieurs années, mais la situation s’est détériorée cette année alors que deux millions de citoyens vivent dans l’obscurité environ vingt heures par jour. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a mis en garde contre une catastrophe humanitaire imminente en cas de poursuite de la crise.

Bilal a été frustré à plusieurs reprises de perdre tout son travail à cause de coupures de courant soudaines, jusqu’à ce que ses parents lui achètent un ordinateur portable.

« Nous lui avons acheté un ordinateur portable en payant par tranches, pour essayer de faire face à la crise de l’électricité et à ses conséquences sur le travail de Bilal », a expliqué Samiha.

Le père de Bilal a également acheté un générateur au prix de 1 500 shekels (environ 360 euros) pour que Bilal puisse accéder plus facilement à Internet, mais il ne peut pas toujours l’utiliser car le carburant nécessaire pour alimenter le générateur est très coûteux.

Une génération de geeks

Bilal a l’habitude de se rendre à Gaza Geeks Sky (GSG), la première « plate-forme de haute technologie » à Gaza, pour développer et améliorer ses compétences.

De jeunes Gazaouis travaillent dans l’espace de coworking de Gaza Sky Geeks (MEE/Mohammed Asad)

Dirigé par le groupe d’aide américain Mercy Corps, GSG offre un enseignement gratuit en codage informatique et un environnement dynamique pour les entrepreneurs, les programmeurs et les concepteurs de la bande de Gaza.

Mais surtout, la plate-forme dispose d’un générateur qui fournit à ses visiteurs un plus grand nombre d’heures d’électricité et un accès à Internet de meilleure qualité.

Lancé en 2016, Baskalet est une start-up incubée par Gaza Geeks Sky, qui est devenue l’une des start-ups de jeux sur mobile les plus notables de Gaza.

Baskalet dispose d’un petit bureau à Gaza Sky Geeks, où elle emploie six développeurs et designers.

Le fondateur de Baskalet, Mohammed al-Madhoun, vit dans le même quartier que Bilal. Madhoun a remarqué les compétences de Bilal en programmation et lui a proposé de faire un stage de formation à Baskalet.

« Dès sa première journée de formation, j’ai reconnu que Bilal était un programmeur avancé », a déclaré Madhoun.

Tout le monde a été surpris de découvrir que Bilal avait développé seul ses compétences professionnelles en programmation informatique.

Mohammed al-Madhoun essaie toujours de stimuler Bilal de manière à le mettre au défi pour l’aider à développer ses compétences.

« Je pense que Bilal a un avenir radieux devant lui. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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