Guerre au Yémen : de plus en plus, les femmes viennent grossir les rangs des forces anti-Houthis
TA’IZZ, Yémen – Ra’afa Abdullah et Riam al-Ra’awi contrôlent, de pair avec les combattants, l’entrée sud-ouest de Ta’izz, et inspectent les femmes venues en ville de différentes régions et provinces.
Ce poste de contrôle est la seule voie d’accès à la ville assiégée.
Ra’afa Abdullah et son amie n’ont pas besoin de prendre les armes. Leur mission, c’est de vérifier que les passagères ne cachent pas d’armes ni d’objets suspects.
Réveillées dès 5 heures tous les matins, elles préparent le petit déjeuner de la famille et revêtent ensuite leur veste et casquette militaires pour assurer leur tour de garde dans la région d’al-Dhabab.
Si elle travaille avec les combattants de la Résistance populaire, nous explique Ra’afa, c’est pour empêcher l’accès à Ta’izz aux rebelles houthis, qui ont tué son frère l’année dernière.
« J’ai décidé de refuser de vivre en esclave soumise aux Houthis », a confié Ra’afa à Middle East Eye. « Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais pris une arme pour me battre sur le front, mais nos chefs nous disent qu’ils ont seulement besoin de nous pour contrôler les passagères ».
La guerre a éclaté au Yémen début 2015, après la prise de la capitale, Sanaa, par les rebelles houthis. Une coalition emmenée par les Saoudiens a alors commencé une campagne de bombardements pour arrêter l’avancée des Houthis, qui, alliés avec l’ancien président Ali Abdallah Saleh, sont accusés d’être soutenus par l’Iran.
Si les Houthis ont effectivement réussi, dès le début du conflit, à cerner pratiquement tout Ta’izz (troisième plus grande ville du Yémen), ils ne sont pas parvenus pour autant à s’en emparer, grâce à l’opposition de diverses factions minoritaires armées, collectivement appelées « la Résistance populaire ».
Le tour de garde de Ra’afa commence à 6 h 00 et se termine à 18 h 00. Elle ne prend aucun jour de permission, pas même pendant les vacances scolaires. Quatre femmes sont en faction au même poste pendant toute la journée, et rentrent chez elles à la nuit tombée.
En septembre 2015, la Résistance populaire à Ta’izz s’est mise à recruter des femmes. Ra’afa Abdullah a trouvé l’idée très opportune et elle a rejoint le groupe pour venger son frère.
Mère de deux garçons (Ahmed, 8 ans, et Ala’a, 4 ans), Ra’afa et son mari Omar se sont engagés dans la Résistance et ont confié à la grand-mère la garde de leurs fils.
« Mon mari a rejoint la résistance en mai 2015 », explique Ra’afa. « Quand je lui ai dit que je voulais moi aussi y participer, il m’a encouragée. Il m’a demandé de sacrifier ma vie pour Ta’izz ».
Elle a été de faction à plusieurs postes de contrôle un peu partout dans la ville de Ta’izz, dont un dans la région d’al-Robaie, tout près du front. Là, elle a pris une arme, car elle redoutait à tout moment une attaque des Houthis.
« Moi, je n’ai pas de fils, Dieu m’a donné quatre filles. Nous travaillions tous sur l’exploitation agricole. Riam a eu le courage de rejoindre la résistance »
« En ce moment, notre mission se déroule dans une région sûre mais, l’an dernier, j’étais affectée à al-Robaie, et je portais une Kalashnikov pour assurer ma sécurité », se souvient-elle.
Plus de 30 femmes, dont Ra’afa et son amie, ont reçu une formation au maniement des mitrailleuses et aux missions d’inspection.
« Nous avons repéré des passagères qui cachaient toutes sortes d’armes, dont des bombes », se rappelle Ra’afa. « Nous avons présenté aux dirigeants de la Brigade 17 tous les suspects, hommes et femmes. Certains d’entre eux ont été libérés, quant aux autres, l’enquête suit son cours ».
La résistance : un moyen de subsistance ?
Avant la guerre, Ra’afa Abdullah était femme au foyer et son mari agriculteur. Ils habitaient dans la région d’al-Akhmoor, à 20 km de la ville de Ta’izz. Maintenant, ils sont tous deux engagés à plein temps dans la Brigade 17.
« Je reste toute la journée en plein cagnard pour participer à la libération de Ta’izz, mais, sans revenus, comment faire pour vivre ? », demande-t-elle. « La solde que nous percevons suffit à peine à subvenir aux besoins de la famille ».
Ra’afa Abdullah et son mari perçoivent chacun à peine 1 000 Riyals yéménites (4 dollars) par jour, indique-t-elle.
Riam al-Ra’awi, l’amie de Ra’afa, est payée la même chose. Elle a rejoint la résistance en juillet 2016.
« Je venais en aide aux agriculteurs d’al-Dhabab, mais la guerre a détruit un certain nombre d’exploitations, et certains fermiers n’avaient plus les moyens d’acheter le gazole pour faire tourner leurs pompes à eau. Ils ont donc cessé leur activité agricole », a-t-elle déploré devant MEE.
« Comme je ne trouvais pas d’emploi, j’ai décidé de rejoindre la résistance pour libérer Ta’izz des Houthis, pour pouvoir ensuite reprendre notre exploitation ».
Le chef des femmes de la Brigade 17, la capitaine Qaid al-Aliani, explique que les recrues assurent plusieurs fonctions impossibles aux hommes.
En effet, il arrive que des soldats houthis se déguisent en femmes pour s’échapper des régions où la résistance se rapproche.
La société yéménite, conservatrice, restreint strictement les interactions entre hommes et femmes.
« Nous avons commencé à recruter des combattantes pour prendre d’assaut les maisons suspectées de cacher des Houthis », explique Aliani à MEE. « De plus, les Houthis et les trafiquants d’armes se servent de femmes pour introduire clandestinement des armes dans la ville de Ta’izz ».
La Résistance populaire a établi un poste de police exclusivement géré par des femmes pour traiter le cas des femmes suspectes. Qaid al-Aliani a annoncé que ce poste resterait ouvert même une fois la guerre terminée.
Point de vue opposés
Le père de Riam al-Ra'awi, Abdulbaqi, vend des légumes aux passagers qui arrivent à Ta’izz, à environ 1 km du poste de sa fille. Il n’a pas honte que sa fille travaille ainsi, affirme-t-il. Au contraire, il en est fier.
« Moi, je n’ai pas de fils, Dieu m’a donné quatre filles. Nous travaillions tous sur l’exploitation agricole. Riam a eu le courage de rejoindre la résistance ».
À ses yeux, seules des résistantes doivent avoir l’autorisation de fouiller d’autres femmes.
Certaines femmes, dont sa fille, ont eu le courage de relever le défi de cette mission, a-t-il ajouté.
« Il y a des milliers d’hommes [qui] veulent participer à la résistance, mais on manque de femmes », a-t-il déploré. « Notre société voit d’un mauvais œil une femme assurer des missions militaires, mais, à la guerre comme à la guerre : ces restrictions ne sont plus de saison ».
Certains des résidents de Ta’izz n’approuvent pas de voir des femmes dans la résistance. Pour eux, une femme est faite pour rester à la maison et les hommes sont les seuls à pouvoir se battre.
Wael Hasan, habitant de Ta’izz, avoue qu’il ne supporte pas de voir des femmes en mission aux postes de contrôle toute la journée.
« On a tous besoin d’argent pour vivre, mais si nous avons rejoint la résistance, ce n’est pas pour l’argent, c’est pour libérer notre patrie »
À ses yeux, le déploiement de femmes aux postes de contrôle fait partie d’une tactique de provocation de la part de la résistance.
« Je sais bien que, parfois, la résistance a besoin de femmes pour inspecter des femmes, mais ce n’est pas pour autant que ces femmes devraient rester en plein soleil du matin au soir. Le meilleur endroit pour une femme, c’est à la maison », a-t-il expliqué à MEE.
Hasan a accusé la résistance d’exploiter les femmes qui n’ont pas d’autres moyens de subsistance.
Un professeur yéménite (qui a souhaité garder l’anonymat) a confié à MEE qu’en mettant des femmes en faction aux postes de contrôle, la résistance avait adopté une tactique regrettable.
« Notre société est conservatrice », a-t-il expliqué. « Il faut que la résistance comprenne cela. Bien sûr qu’ils sont en droit de profiter de l’aide de combattantes, mais il est intolérable de laisser ainsi des femmes en faction des journées entières à des postes de contrôle ».
Ra’afa Abdullah, la femme soldat, a expliqué que d’autres femmes voudraient rejoindre la résistance, mais que l’armée n’a plus besoin de recrues supplémentaires.
Elle a nié que les femmes rejoignent la résistance seulement pour l’argent.
« On a tous besoin d’argent pour vivre, mais si nous avons rejoint la résistance, ce n’est pas pour l’argent, c’est pour libérer notre patrie. »
Traduit de l’anglais (original).
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