Guterres, le nouveau dirigeant de l’ONU, peut-il répondre aux attentes ?
NEW YORK, États-Unis – Si jamais une femme ordinaire confrontée à l’injustice avait besoin qu’un diplomate star intervienne et la défende, ce serait Ensaf Haidar, dont le mari, le blogueur acerbe Raif Badawi, croupit en prison en Arabie saoudite.
Le soutien de l’Organisation des Nations unies est bienvenu, mais jusqu’à présent, « c’est insuffisant », a déclaré Haidar à Middle East Eye. Avec un peu de chance, cela changera lorsque l’ancien Premier ministre portugais António Guterres prendra les rênes de l’organisation internationale en janvier 2017.
« J’espère que l’une des premières choses dont il parlera sera le cas de Raif, et j’espère qu’il sera l’une des raisons de la libération de Raif », a déclaré Haidar, qui vit maintenant au Canada et qui cherche à faire annuler la peine de dix ans d’emprisonnement assortis de 1 000 coups de fouet prononcée contre son mari, après avoir été jugé coupable d’insulte à l’islam par l’intermédiaire de son site web de chat consacré à la politique.
Ensaf Haidar s’est exprimée pour MEE ce jeudi en marge de la rencontre au siège de l’ONU lors de laquelle les membres du Conseil de sécurité ont entériné le choix de Guterres, 67 ans, pour remplacer Ban Ki-moon, 72 ans, au poste de secrétaire général de l’ONU après le retrait du diplomate sud-coréen prévu à la fin de l’année.
Comme Haidar, de nombreuses victimes d’abus – ainsi que des groupes marginalisés du monde entier – ont frappé à la porte de l’ONU au cours des sept dernières décennies, dans l’espoir d’obtenir un soutien dans leur quête pour le respect des droits de l’homme, de l’égalité et de la justice.
Souvent, ils n’obtiennent guère plus qu’un communiqué de presse générique. Bien que la Charte des Nations unies brandisse noblement « la dignité et la valeur de la personne humaine », l’organisme est structuré de telle sorte qu’il est surtout redevable aux États-Unis, à la Russie, à la Chine et aux autres membres clés.
Les dix années de leadership de Ban Ki-moon sont décriées comme l’une des périodes les moins inspirées de l’histoire de l’ONU. D’aucuns espèrent que l’empathie de Guterres pour les réfugiés, ses racines socialistes et son charisme redonneront de l’éclat à une organisation ternie.
Cela n’est nulle part plus vrai qu’au Moyen-Orient, où les Syriens, les Yéménites et les Irakiens endurent des années de carnage. La quête d’État des Palestiniens traîne en longueur, les libertés politiques et religieuses sont étouffées, tandis que même dans les régions stables, il peut être difficile de trouver de bons emplois.
S’exprimant à Lisbonne ce jeudi, Guterres a évoqué les « défis immenses » auxquels il est confronté afin de servir « les victimes des conflits, du terrorisme, des violations des droits, de la pauvreté et des injustices » dans un contexte de « terrible complexité du monde moderne ».
Celui qui se décrit comme un homme d’action a passé haut la main le processus de sélection pour le poste, figurant en tête des six sondages informels, grâce à l’appui de diplomates et de patrons d’ONG avec lesquels il sirote des cafés au lait dans les cafés de l’ONU.
Ingénieur de formation et fervent catholique, Guterres a rejoint le Parti socialiste après la « révolution des Œillets » connue par le Portugal en 1974, qui a mis fin à une cinquantaine d’années de dictature ; il a ensuite gravi les échelons de la politique nationale puis de la diplomatie mondiale.
Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés entre 2005 et 2015, il a formulé plusieurs mises en garde auprès des dirigeants européens au sujet des réfugiés fuyant la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan et d’autres régions. Il a fustigé les pays ayant refoulé, en raison de leur foi musulmane, des personnes qui cherchaient refuge.
L’ambassadeur russe à l’ONU Vitali Tchourkine a salué son travail dans les « conflits horribles » en tant que chef de l’organisme chargé des réfugiés, décrivant un « homme politique de haut niveau » qui « parle à tout le monde, qui écoute tout le monde [et] dit ce qu’il pense ».
L’ambassadeur britannique à l’ONU Matthew Rycroft a fait l’éloge de « [sa] vision des choses, [de son] autorité morale et [de son] intégrité ». Son homologue français, François Delattre, a déclaré qu’il serait « capable de rassembler [...] la communauté des nations ». Ban Ki-moon a parlé d’un « super choix » et d’un homme capable de « porter le flambeau ».
Certains ont déploré le fait que le poste ne soit pas revenu à un Européen de l’Est ou à une femme, ce qui n’est encore jamais arrivé. Malgré cela, de nombreuses grandes ONG ont rapidement accordé leur appui à Guterres.
Natalie Samarasinghe, de la campagne « 1 pour 7 milliards » destinée à « trouver le meilleur dirigeant de l’ONU », a salué sa « capacité à inspirer ». Winnie Byanyima, directrice générale d’Oxfam International, lui a souhaité bonne chance pour « l’un des postes les plus difficiles de la planète ».
Les conseils ont ensuite commencé à affluer.
Yang Jianli, un dissident chinois qui a pris part aux manifestations pro-démocratie de la place Tiananmen en 1989, a déclaré que les droits de l’homme étaient « relégués au second plan » depuis trop longtemps à l’ONU en raison de pressions exercées par Pékin et d’autres poids lourds.
Guterres devrait « élever le statut du bureau » du Haut-Commissaire aux droits de l’homme basé à Genève et renforcer son budget « afin que la promotion des droits de l’homme dans le monde entier soit l’une de ses principales missions », a indiqué Jianli à MEE.
Beaucoup se montrent optimistes au sujet d’une ère post-Ban Ki-moon.
Les détracteurs de Ban Ki-moon le décrivent comme un laquais au service des États riches et puissants des Nations unies. En juin, il a reconnu avoir effacé l’Arabie saoudite d’un rapport sur les enfants et les conflits, qui reprochait au pays d’avoir tué et blessé environ 2 000 enfants, après avoir été menacé de réductions de financements.
Il fait également face à des attaques en règle pour son franc-parler. Après que Ban Ki-moon a déclaré en janvier qu’il était dans la « nature humaine » que les Palestiniens réagissent violemment à l’« occupation », le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou l’a accusé d’« encourager le terrorisme ».
Ses détracteurs font également référence à la guerre en Syrie, où la Russie et l’Iran soutiennent la lutte du président Bachar al-Assad contre de multiples forces rebelles, tandis que les États-Unis et la Turquie insistent sur le fait qu’Assad est le problème – une foire d’empoigne sanglante que trois des envoyés spéciaux de Ban Ki-moon ont échoué à arranger.
Hillel Neuer, directeur d’UN Watch, une ONG de défense des droits de l’homme, a déclaré que Guterres devrait apprendre de l’incapacité de Ban Ki-moon à pointer du doigt les membres puissants de l’ONU tels que la Russie, qui « pulvérisent activement des milliers de civils innocents à Alep ».
« Ban Ki-moon ne les a pas vraiment critiqués. En outre, au cours des dix dernières années, il n’a pas protégé les principes fondateurs de l’ONU en s’opposant aux dictatures. C’est une question pour Guterres. Maintenant que nous avons un précédent, il peut s’exprimer ouvertement », a affirmé Neuer à MEE.
Toutefois, Neuer souligne également l’« équilibre » que tout diplomate de l’ONU doit trouver. Accuser directement la Russie d’avoir commis des atrocités en Syrie ferait de bons titres, mais cela reviendrait à couper des ponts avec Moscou qui pourraient être vitaux à un stade ultérieur du conflit.
Dénoncer et condamner constitue une entreprise dangereuse. Après avoir critiqué la Russie, un secrétaire général impartial pourrait devoir fustiger les détentions sans fin des États-Unis dans la baie de Guantánamo ou le traitement brutal réservé aux manifestants en Chine.
Tôt ou tard – et probablement tôt –, le plus haut diplomate du monde pourrait ne plus avoir personne à qui parler.
De nombreux observateurs de l’ONU évoquent Kofi Annan, qui a dirigé l’ONU de 1997 à 2006 dans un style de plus en plus assuré, des années lors desquelles le Ghanéen, d’une voix calme et posée, incitait à l’action contre les abus au Darfour (Soudan) et, dans des propos désormais célèbres, décrivait la guerre menée par les États-Unis en Irak comme étant « illégale ».
En ce qui concerne la Syrie, Guterres devrait s’inspirer d’Annan, a affirmé Neuer.
« Il est évident que cette personne se doit d’être efficace, a indiqué Neuer à MEE. Elle ne sera pas aussi franche que les dissidents défenseurs des droits de l’homme, mais elle peut choisir ses batailles et, quand une violation extrême se produit, s’exprimer ouvertement. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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