Hosni Benslimane, fin de parcours pour un des militaires les plus controversés du Maroc
RABAT – C’est une onde de choc qui a frappé tout Rabat lorsque le communiqué laconique de la MAP, l’agence de presse officielle, est tombé, sonnant le glas pour un général que l’on pensait éternel, le patron de la Gendarmerie royale, le général de corps d'armée Hosni Benslimane, un géant de la grande muette qui a géré d’une main de fer ses bataillons.
Le roi Mohammed VI a rendu hommage au général pour services rendus à la nation, louant ses années passées au service de deux rois – Hassan II puis Mohammed VI. Il l’a également décoré de l’un des grades les plus prestigieux et les plus rares de l’ordre très élevé du Wissam alaouite. Des dorures et des honneurs pour masquer ce qui pourrait ressembler à un limogeage en bonne et due forme.
Le « départ en retraite » du général Benslimane ressemble davantage à une opération de purge dans les rangs des Forces armées royales (FAR), que l’on peut inscrire dans la continuité des sanctions relatives aux événements du hirak à Al Hoceima.
« Le général Benslimane avait des divergences profondes avec l’appareil sécuritaire, notamment policier, dans la façon dont il fallait gérer la crise du hirak », explique à Middle East Eye une source proche du dossier. « Hosni Benslimane était davantage partisan d’une gestion douce et fluide de cette crise, et a montré des signes de réticence face à la répression ».
« La collaboration entre les gendarmes et la police a été une source de tension permanente entre Driss Basri, l’ex-ministre de l’Intérieur décédé en août 2007, et le général Benslimane »
- Un haut gradé
Il est vrai que la gendarmerie nationale a toujours été associée, de près ou de loin, aux actions d’encadrement de la population. Du fait des moyens importants dont dispose la gendarmerie nationale et de son équipement de pointe, les hommes de Hosni Benslimane devaient souvent collaborer avec les forces de police sur diverses opérations.
« La collaboration entre les gendarmes et la police a été une source de tension permanente entre Driss Basri, l’ex-ministre de l’Intérieur décédé en août 2007, et le général Benslimane. La crise du hirak et le départ de Benslimane viennent confirmer que ces tensions ont perduré avec l’actuel directeur général de la Sûreté nationale », confirme un haut gradé.
Une histoire de famille
L’histoire officielle vante souvent Hosni Benslimane comme un militaire, issu de la première promotion d’officiers marocains issus de Saint-Cyr, ayant gravi tous les échelons de la gendarmerie depuis 1957.
Néanmoins, Hosni Benslimane a pu s’appuyer tout au long de sa carrière sur un réseau personnel et des ramifications familiales puissantes, notamment dans le milieu politique. Il est le neveu de Fatmi Benslimane, qui fut président du Conseil du trône sous Mohammed V.
Sa tante a épousé M’hamed Boucetta, figure historique du parti de l’Istiqlal (conservateur). De par sa mère, il est le neveu du docteur Abdelkrim el-Khatib, père fondateur du Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes).
« Hosni Benslimane est un véritable chef de clan. Il a protégé les siens durant toute sa carrière »
- Un ex-officier
Parmi les neveux du puissant général, on compte également Mohamed Saâd Hassar, l’ancien numéro deux du ministère de l’Intérieur, et Moulay Ismaïl Alaoui, ancien secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS, socialiste). Ainsi que Mohammed Benslimane, époux de la princesse Lalla Zineb, cousine germaine du roi Mohammed VI.
L’une des filles de Hosni Benslimane a épousé Hassan Lamrani, fils de Mohammed Karim Lamrani, l’inamovible Premier ministre des différents gouvernements technocrates de Hassan II.
« Hosni Benslimane est un véritable chef de clan. Il a protégé les siens durant toute sa carrière », confie à MEE un politique rompu aux arcanes du pouvoir.
L’arrivée au pouvoir du PJD avait précipité le départ de Mohamed Saâd Hassar, qui était alors secrétaire d’État à l’Intérieur. « On reprochait à Hassar de mauvaises prévisions électorales, et disons-le, de ne pas avoir assez combattu le PJD. Dans l’esprit de certains décideurs, le fait que Hassar soit le neveu du fondateur du PJD faisait de lui de facto un complice de l’arrivée au pouvoir des islamistes », confie à MEE un ancien du ministère de l’Intérieur.
Les soupçons de connivence entre le PJD et Hassar, et la chute de ce dernier de l’Intérieur, dont il était pourtant l’homme fort, ont fortement affaibli le général Benslimane. « De nombreuses personnes ont alors compris que Hosni Benslimane avait perdu de larges marges de manœuvre et qu’il pouvait se montrer impuissant face à la disgrâce d’un des siens », confie la même source.
Le coup d’État de 1971 et l’ascension de Benslimane
On ne peut cependant réduire la carrière de Hosni Benslimane à un jeu d’alliances familiales et à de solides appuis politiques. Militaire de formation, Hosni Benslimane avait embrassé la carrière d’agent d’autorité puisqu’il fut gouverneur de plusieurs villes notamment celles de Kénitra (ouest) et de Tanger (nord-ouest).
Il a également dirigé les forces de police pendant une courte période. Mais le cours de l’histoire lui avait réservé un autre destin, et le coup d’État de Skhirat en 1971 sonnera pour lui son retour au sein de la grande muette.
Après les événements de Skhirat, Hassan II décide de confier la gendarmerie nationale à Hosni Benslimane, devenant de facto son homme de confiance au sein des FAR.
« Cette nomination, Benslimane la doit à sa fidélité lors des événements de Skhirat. Benslimane était alors gouverneur de Tanger. Alors que les putschistes annonçaient la mort de Hassan II, Hosni Benslimane s’emparait des ondes de Radio Tanger et lançait, en personne, des appels de soutien et de loyauté à l’institution monarchique et à la personne de Hassan II », raconte à MEE un ancien agent d’autorité aujourd’hui à la retraite.
À la tête de la gendarmerie nationale, Hosni Benslimane mettra alors son expérience policière à profit de l’armée jusqu’à y fonder une police militaire qui supervisait les déplacements et les mouvements de troupes.
Homme de mission, Benslimane reçoit alors des instructions très claires du monarque pour restructurer et réformer plusieurs bataillons et unités militaires qui ont montré leurs défaillances et leurs limites lors du coup d’État de Skhirat. Selon un ancien officier militaire, « Hosni Benslimane a fait de la gendarmerie royale le fleuron des FAR, un commandement d’élite qui s’est retrouvé sur tous les fronts ».
La passion du foot
Le général Benslimane est aussi réputé au Maroc pour son engagement dans le milieu du sport, notamment dans le football. Benslimane a été le grand patron de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) de 1994 à 2009, et du Comité national olympique marocain (CNOM) de 1993 à 2017.
Gardien de but de l’équipe nationale de football de 1958 à 1961, Hosni Benslimane a renoué avec ses premiers amours. Néanmoins, son engagement pour le sport et sa mission militaire était intimement lié. Lorsqu’on connaît la place qu’occupe le football dans la vie des Marocains, et notamment son rôle de vecteur de liens sociaux, on comprend que le Palais ait confié la Fédération de football à un sécuritaire.
« Hosni Benslimane a dirigé la Fédération de football et le Comité olympique d’une main de fer, comme dans une caserne militaire »
- Une source à la Fédération de football
La politique des sports au Maroc se fait en coordination parfaite avec les objectifs politiques, sociaux et sécuritaires du Royaume. On conçoit le football non comme un loisir ou un simple sport, mais comme un levier politique puissant pour animer et encadrer la jeunesse marocaine.
« Hosni Benslimane a dirigé la Fédération de football et le Comité olympique d’une main de fer. Les membres des conseils d’administrations, les permanents et même les sportifs étaient traités comme dans une caserne militaire », raconte à MEE une source au sein de la Fédération de football.
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Si l’encadrement de la population, à travers le football, a été une réussite, les résultats sportifs n’étaient plus au rendez-vous et le mode de gestion vertical et autoritaire de la FRMF et de la CNOM ont affaibli la position et le leadership de Hosni Benslimane.
L’élimination prématurée de l’équipe nationale de football lors de la Coupe d’Afrique des nations en 2008 a précipité le départ du général Benslimane, qui a confié les rênes de la Fédération à un civil, Ali Fassi Fihri, directeur général de l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE), récemment remercié par le roi Mohammed VI suite à sa mauvaise gestion des projets dans le Rif.
Ben Barka, une ombre dans l’ascension du général Benslimane
En octobre 2007, le juge français Patrick Ramaël émet un mandat d’arrêt international contre cinq personnalités marocaines, dont le puissant général Benslimane. Ramaël soupçonnait alors Benslimane d’avoir joué un rôle dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi ben Barka, opposant au roi Hassan II et leader de la tricontinentale, une conférence réservée aux pays du Tiers-monde disparu en 1965. Ce mandat d’arrêt international mettra un terme aux ambitions de Hosni Benslimane.
Lors des Jeux olympiques de 2012, Hosni Benslimane s’est rendu à Londres, en sa qualité de président du Comité national olympique marocain. Informé de sa présence sur le sol britannique, le juge Ramaël a demandé à Scotland Yard de procéder à l’arrestation du puissant général marocain.
Ce dernier est rentré manu militari au Maroc, bien que le mandat n’était plus exécutoire depuis 2009, date à laquelle le procureur de la République Jean-Claude Marin avait estimé que les charges retenues contre Benslimane n’étaient pas assez détaillées pour justifier le maintien d’un mandat d’arrêt international.
« Les procureurs et les juges sont de gauche, c’est bien connu. Ce mandat d’arrêt international était une affaire politique. Comment peut-on penser que Hosni Benslimane était lié de près ou de loin à l’affaire Ben Barka ? Lors des faits, il était un simple capitaine. Comment pouvait-il être dans le secret des dieux ? Le dossier de Ben Barka se jouait à un bien plus haut niveau. Le juge Ramaël a instrumentalisé Benslimane pour atteindre le pouvoir marocain. Il voulait déstabiliser le Palais. », confie à MEE une source proche du dossier.
« On a voulu personnifier en Hosni Benslimane l’image du tenant d’un régime semi-autoritaire, à la façade démocratique mais dont les méthodes restent musclées »
- Un politologue marocain
Au-delà de l’affaire Ben Barka, c’est toute l’image du général Benslimane qui est souvent associé aux dérives sécuritaires du Maroc, notamment lors de la purge contre les islamistes au lendemain des attentats de mai 2003. « On a voulu personnifier en Hosni Benslimane l’image du tenant d’un régime semi-autoritaire, à la façade démocratique mais dont les méthodes restent musclées », confie à MEE un politologue marocain.
Une fin de carrière en dents de scie
La fin de carrière de Hosni Benslimane a connu des hauts et des bas. Fondamentalement opposé à la gestion de la crise du hirak par l’entourage royal, Hosni Benslimane s’est vu de plus en plus isolé jusqu’à ce que sa voix ne compte presque plus dans la prise de décision sécuritaire relative à ce dossier.
Partisan d’un encadrement pacifique des manifestations et souhaitant voir l'État jouer un rôle de médiateur social, Benslimane s’est confronté à la volonté de certains hommes forts du régime qui souhaitaient conduire un bras de fer avec les leaders du hirak.
Dans les milieux sécuritaires, on estime que le général Benslimane est entré dans un conflit ouvert avec Fouad Ali el-Himma, le puissant conseiller royal, et Abdellatif Hammouchi, qui cumule les casquettes de patron de police et de la surveillance territoriale (DGST). Benslimane estimait que la répression policière et les arrestations multiples ont d’une part fragilisé l’action de la force publique, et d’autre part contribué à la radicalisation de certains leaders et manifestants du hirak.
Si sur le plan sécuritaire Benslimane a été écarté, il part sur une victoire « technologique ». « C’est à Hosni Benslimane que nous devons la réussite du lancement du satellite Mohammed VI-A », affirme à MEE une source interne. Le satellite de reconnaissance Mohammed VI-A, qui sert aux activités cartographiques et cadastrales, au suivi des activités agricoles et à la prévention et gestion des risques naturelles, n’aurait pas été possible sans les avancées techniques et technologiques de la gendarmerie nationale.
Si la présidence de la délégation marocaine qui a suivi la mission de lancement du satellite Mohammed VI-A en Guyane française a été confiée à un civil, Karim Tajmouati, le président de l’Agence nationale de conservation foncière, du cadastre et de la cartographie, le mérite revient véritablement au général Benslimane qui a piloté, de manière discrète, cette mission hautement sensible. Une source interne conclut : « Pour un général qui a fait de son unité une unité d’élite, à l’avant-garde des nouvelles technologies de pointe, le lancement de ce satellite représente une véritable consécration. »
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