Il manque une chose aux élections israéliennes : les femmes
Les visages des politiciens sont partout. Sur les panneaux, sur les tracts, à la télévision. Mais dans la campagne aux élections législatives de ce mardi, une chose a manqué : les femmes.
En examinant les campagnes de 2019, on pourrait facilement conclure que le Likoud, parti au pouvoir, et Bleu Blanc, son rival, sont des mouvements politiques exclusivement masculins.
De Beer-Sheva à Haïfa, les publicités et bannières montrent le Premier ministre Benyamin Netanyahou et son rival Benny Gantz flanqués d’hommes en costume, regardant résolument les électeurs.
En réalité, le Likoud, parti de droite de Netanyahou, comprend Miri Regev, ministre de la Culture, ainsi que la ministre de l’Égalité sociale, Gila Gamliel.
Bleu Blanc, la coalition de centre-droit de Gantz, compte dans ses rangs Orna Barbivai, la femme la plus décorée de l’histoire militaire israélienne.
Pourtant, dans les jours précédant l’élection de ce mardi, on les a à peine vues. Du propre aveu de Miri Regev, cela tient à une demande populaire.
Lors d’une interview télévisée le mois dernier, la ministre de la Culture a expliqué son absence des visuels de la campagne du Likoud, la qualifiant de tentative visant à attirer les électeurs de centre-droit.
Selon les sondages réalisés par son parti, les électeurs israéliens sont attirés par des hommes ashkénazes d’origine européenne, ce qui exclut totalement Miri Regev, une femme séfarade d’origine marocaine.
« Je n’apparais pas sur les visuels parce que le Premier ministre a pu penser que le visuel est le meilleur moyen d’attirer de nouvelles communautés vers le Likoud et je respecte cette décision même si je ne l’approuve pas », a-t-elle déclaré.
« Je pense que ce visuel est une erreur. Je n’étais pas furieuse, mais oui, j’étais en colère. Je pense que ce n’est pas nécessaire. »
En ce qui concerne Bleu Blanc, une fusion de partis de droite et de centre-droit comprenant des personnalités issues des secteurs de l’armée et de la sécurité, la renommée Orna Barbivai traîne à la dixième place dans la liste des candidats de son parti. Son absence dans la campagne a été criante.
« Une erreur », confie un candidat du parti à MEE.
« Un schéma clairement masculin »
Pour beaucoup, le manque de visibilité des femmes dans la campagne est une surprise.
Il y a quelques mois à peine, des Israéliennes sont descendues dans la rue au cours d’une série de manifestations contre la violence masculine semblant indiquer une détermination croissante à ne plus être marginalisées.
Cependant, sur plus de 120 candidats membres de partis ayant une chance réaliste d’obtenir des sièges au Parlement israélien, la Knesset, une trentaine sont des femmes.
De nombreuses candidates se trouvent si loin sur la liste de leurs partis qu’elles n’ont que peu de chances, voire aucune, d’obtenir un siège.
Une analyse des sondages publiée en février prédisait que 29 femmes obtiendraient des sièges, contre 36 actuellement. La Knesset compte 120 sièges.
« Les gens n’ont pas sorti cette idée de nulle part, ils ont fait des sondages et ils ont pris leur décision en conséquence », déclare Moran Ajami, militante et conseillère politique pour plusieurs partis, à Middle East Eye.
« Bleu Blanc a expliqué qu’ils voulaient mettre en avant les généraux, puis ils ont présenté [l’ancien animateur de télévision] Yaïr Lapid et non pas Orna Barbivai, une défenseuse de l’armée avec un très bon dossier militaire.
« Ils ont essayé de montrer un groupe de quatre hommes forts et déterminés. »
« Dès lors que le militarisme est admiré, un schéma clairement masculin apparaît »
- Yifat Biton, candidate du parti Gesher
Yifat Bitton, candidate à la Knesset pour le parti Gesher, estime que le militarisme de la société israélienne rend difficile l’entrée des femmes en politique.
« La société israélienne a toujours eu une grande admiration pour le militarisme, et dès lors que le militarisme est admiré, un schéma clairement masculin apparaît », souligne-t-elle.
Les femmes sont également exclues des partis religieux, tels que le Shas ultra-orthodoxe et l’Union des partis de droite, une alliance d’extrême-droite.
« Dans le contexte religieux, certains annonceurs ne feront de la propagande électorale que si les femmes en sont exclues », explique Yifat Bitton.
Au grand dam des conservateurs religieux, la Cour suprême israélienne a ordonné en janvier aux partis ultra-orthodoxes de modifier leur réglementation afin de permettre la participation des femmes.
Cela n’a pas empêché des personnalités telles que le dirigeant du Shas, Aryeh Deri, d’affirmer ces dernières semaines que les femmes n’avaient aucune place en politique ou de ne présenter aucune candidate.
Esty Shushan, fondatrice et présidente de Nivcharot, un mouvement féministe ultra-orthodoxe, rapporte que les femmes de la communauté qui défient la norme et tentent d’entrer en politique font face à un « flot de menaces ».
Les chefs de parti « sont convaincus que les femmes ultra-orthodoxes dans les partis détruisent le judaïsme et que les hommes sont des émissaires publics », déclare-t-elle à MEE.
« Je pensais que nous, femmes ultra-orthodoxes, étions la communauté la plus marginalisée. Mais ensuite, vous voyez le “sophistiqué” parti Bleu Blanc, pour lequel tous les gens “sophistiqués” vont voter… ils ne mettent que des hommes au premier plan ».
Les partis juifs ne sont pas les seuls à mettre les femmes de côté.
Trois femmes, Aida Touma-Suleiman, Heba Yazbak et Haneen Zoabi, sont des candidates influentes dans les pays du Hadash-Taal et du Balad-Raam représentant les citoyens palestiniens d’Israël. Et elles comptent parmi les femmes les plus radicales et les plus féministes de la politique israélienne.
Cependant, elles aussi sont « absentes » de la campagne alors que leurs partis luttent pour obtenir le vote des Palestiniens, observe Orly Noy, candidate de Balad.
« Ce sont les trois femmes les plus importantes, mais la politique arabe est tellement conservatrice qu’elles ont été mises à l’écart », déclare-t-elle à MEE.
« J’entends le silence »
Le parti de centre-droit de Yifat Bitton, Gesher, dirigé par l’ancienne mannequin et animatrice de télévision Orly Levy-Abekasis, a tenu à faire valoir ses qualités féministes en présentant une liste de candidats à moitié composée de femmes.
Selon Yifat Bitton, Orly Levy-Abekasis s’attendait à ce que cette liste inspire un appel en faveur d’une plus grande participation des femmes dans d’autres partis, « mais cela ne s’est pas produit ».
« Étant issue des milieux féministes, j’entends le silence », dit-elle.
La femme qui a eu un véritable impact dans la campagne de cette année est Ayelet Shaked.
La ministre de la Justice a surpris les commentateurs israéliens et internationaux le mois dernier lorsque son parti, la Nouvelle droite, a diffusé une vidéo imitant une publicité pour un parfum haut de gamme.
Élégamment vêtue, Ayelet Shaked y pose dans des escaliers à côté de grands tableaux, avant de parfumer avec une fragrance appelée « Fascisme » et de déclarer qu’elle sent la démocratie.
« Utiliser la sexualité et la féminité pour défendre le fascisme est très problématique », estime Orly Noy.
« La vidéo est semi-érotique. Ayelet Shaked est consciente de son apparence et l’utilise pour obtenir un soutien pour sa campagne. »
La politique israélienne est très masculine et très ashkénaze, ajoute Orly Noy.
« Les femmes n’ont aucune représentation. Et quand la femme la plus importante de la politique israélienne de ces dernières années utilise sa féminité, elle le fait de la manière la plus humiliante qui soit. »
Pour Yifat Bitton, les campagnes électorales ont révélé un échec dramatique de la politique israélienne. « Nous avons beaucoup de travail à faire », indique-t-elle. « Les hommes s’affrontent dans des combats de coqs, et le discours se concentre sur qui est “fort” et “faible”. »
« Si les campagnes des hommes rencontrent davantage de succès et que c’est ce que le public recherche, alors c’est vraiment triste », déplore pour sa part Moran Ajami.
« Mais en tant que femme qui vit ici en Israël, je pense que tous les partis font une erreur critique. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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