« Ils l’ont jeté comme un déchet » : un Palestinien ayant les symptômes du COVID-19 expulsé d’Israël
C’était comme une scène tout droit sortie d’un film d’horreur.
C’est ainsi qu’Ibrahim Abu Safiya, 25 ans, décrit le moment où il a vu quelqu’un allongé sur le sol près d’un check-point israélien à la périphérie du village de Beit Sira, à l’ouest de Ramallah.
« Nous nous sommes approchés de l’homme allongé au sol, il avait l’air terriblement malade », raconte Abu Safiya à Middle East Eye.
« Il avait une très forte fièvre. Il pouvait à peine bouger et il avait du mal à respirer. »
« Il nous a dit qu’ils l’avaient jeté par terre et l’avaient laissé là »
- Ibrahim Abu Safiya
L’homme au sol était un ouvrier palestinien travaillant en Israël. Il a dit à Abu Safiya qu’il présentait des signes du COVID-19 depuis quatre jours et qu’il avait récemment été testé pour le coronavirus.
Mais avant que l’homme, qui serait un habitant de Naplouse, ne puisse recevoir ses résultats d’examen, son employeur israélien aurait appelé les autorités israéliennes, qui seraient venues le chercher et l’auraient largué de l’autre côté du poste de contrôle de Beit Sira, qui relie le centre d’Israël à la Cisjordanie occupée.
« Il nous a dit qu’ils l’avaient jeté par terre et l’avaient laissé là », raconte Abu Safiya.
« Comment ont-ils pu faire ça à quelqu’un ? », demande-t-il. « Peu importe qu’il soit Palestinien, Israélien ou autre. Il s’agit d’un être humain ! »
Abandonnés à la frontière
Quand Abu Safiya et son ami sont tombés sur l’homme, dont l’identité reste inconnue, ils ont commencé à filmer et la vidéo est maintenant devenue virale sur les réseaux sociaux palestiniens.
Abu Safiya redoute qu’ils aient été témoins d’une répétition des événements de la veille.
Il allègue en effet qu’au cours du week-end, un autre ouvrier palestinien, lui-même soupçonné d’avoir contracté le virus, s’est rendu seul au poste de contrôle de Beit Sira afin de rentrer en Cisjordanie.
Lorsque l’homme est arrivé, il a informé les habitants de son état. Ces derniers ont appelé les services d’urgence palestiniens qui étaient censés envoyer une ambulance pour le chercher.
Quelques jours plus tôt, Israël avait approuvé l’entrée de milliers d’ouvriers palestiniens dans le pays, à condition qu’ils restent en Israël pendant au moins un mois pour empêcher la propagation du virus en Cisjordanie.
Dans le cadre de l’accord avec l’AP, à leur retour – censé être coordonné avec les autorités israéliennes –, tous les travailleurs devraient être immédiatement placés en quarantaine pendant quatorze jours.
« Mais le fait que deux travailleurs soient revenus, ou aient été largués ici au check-point le plus proche, sans préavis, et clairement sans coordination, est très inquiétant », estime Abu Safiya.
Tandis que le porte-parole de l’Autorité palestinienne (AP), Ibrahim Melhem, a annoncé que le travailleur malade avait été « remis » aux responsables palestiniens au poste de contrôle lundi, Abu Safiya rétorque que ce n’était absolument pas le cas.
« Ni l’homme d’aujourd’hui ni celui d’hier n’ont été déposés [par les forces israéliennes] dans une ambulance [palestinienne] », souligne-t-il, ajoutant que dans les deux cas, les médecins palestiniens avaient mis près de trois heures à arriver de Ramallah à Beit Sira.
« Le gouvernement palestinien doit se coordonner correctement avec Israël pour éviter que cela ne se reproduise », affirme-t-il. « Ils ne peuvent pas continuer à déposer des gens ici sans aucune aide. »
« Le vrai visage de l’occupation israélienne »
Malgré le choc de voir un homme malade être « abandonné à sa mort » à un check-point, Abu Safiya dit ne pas avoir été surpris par l’incident.
« C’est le vrai visage de l’occupation israélienne », affirme-t-il à MEE. « Ils nous tuent tous les jours, donc ce n’est pas différent pour eux. »
Sur les réseaux sociaux, les Palestiniens ont exprimé leur indignation face au traitement de cet ouvrier.
Pour Abu Safiya, si cela a autant frappé ses concitoyens, c’est parce que cela « met en évidence la façon dont Israël traite les travailleurs palestiniens et le peu de valeur qu’il accorde à nos vies ».
« C’est comme si nous étions leurs esclaves. Ils nous utilisent quand ils ont besoin de nous, et quand ils ont fini, ils se débarrassent de nous comme des ordures »
- Ibrahim Abu Safiya
« Le gouvernement israélien leur a donné la permission d’aller travailler, connaissant les risques », indique-t-il. Et pour cette raison, le gouvernement devrait également fournir aux travailleurs des protections appropriées.
Abu Safiya dit comprendre pourquoi tant de Palestiniens ont choisi de risquer leur santé et leur sécurité afin d’aller travailler en Israël malgré la pandémie.
« Ils ont dû faire le choix impossible de rester en bonne santé ou de laisser leur famille mourir de faim », selon lui. « Tant de gens ont choisi de travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. Et nous ne pouvons pas les en blâmer. »
« Mais Israël veut également qu’ils travaillent, alors il doit s’occuper d’eux. Si [les autorités israéliennes] ne peuvent pas les soigner en Israël, au moins, qu’elles ne s’en débarrassent pas en les laissant mourir comme des animaux », déclare-t-il, une frustration évidente dans la voix.
« C’est comme si nous étions leurs esclaves », poursuit-il. « Ils nous utilisent quand ils ont besoin de nous, et quand ils ont fini, ils se débarrassent de nous comme des ordures. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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