Implication de la Russie en Syrie : un acte approuvé religieusement
Une semaine après les premières frappes aériennes russes en Syrie, des observateurs internationaux ont critiqué le fait que les attaques, dans le cadre de la campagne lancée par le gouvernement de Vladimir Poutine, ne visaient pas le groupe État islamique. Le président russe a néanmoins démenti ces allégations, comparant les rapports faisant état des victimes civiles de ces frappes à une « guerre de l’information ».
À l’échelle internationale, Vladimir Poutine bénéficie du soutien d’un allié puissant, doté de plus de 150 millions de partisans de par le monde. La semaine dernière, Vsevolod Tchapline, chef du département des Affaires publiques de l’Église orthodoxe russe, a pris la parole lors d’une conférence de presse à Moscou, faisant part de son soutien à l’intervention russe en Syrie.
« La lutte contre le terrorisme est une guerre sainte et, de nos jours, notre pays est peut-être celui qui le combat le plus activement », a-t-il déclaré.
« Notre pays a toujours été concerné par la protection des faibles et des opprimés, comme les chrétiens du Moyen-Orient qui doivent désormais faire face à un génocide. »
Vsevolod Tchapline n’est pas le premier membre de l’Église orthodoxe russe à s’exprimer sur l’intervention russe en Syrie. En 2012, des membres de l’Église ont ouvertement fait part du fait qu’ils étaient opposés aux projets occidentaux visant à renforcer l’aide militaire aux groupes rebelles combattant le Président syrien Bachar al-Assad.
Néanmoins, la référence de l’Église orthodoxe russe à une « guerre sainte » pour qualifier l’intervention russe a soulevé des questions sur le fait que les dimensions sectaires du conflit pourraient être exploitées à des fins de recrutement par des groupes comme l’État islamique. Le Vatican est resté très discret sur ce sujet.
Persécutée sous le régime de l’Union soviétique, l’Église orthodoxe russe a retrouvé une position privilégiée au sein de la société russe, et a fortement profité de l’influence de Vladimir Poutine.
Vladimir Poutine a supervisé la reconstruction de 23 000 églises orthodoxes russes, laissées à l’abandon sous le régime communiste, et a rendu à l’Église des biens fonciers saisis, faisant de cette institution l’une des plus prospères de Russie. En retour, le Président peut s’appuyer sur la légitimation, par l’Église, des mesures prises en matière de politique étrangère.
Ainsi que l’explique Anna Borshchevskaya, experte de la politique étrangère russe au Moyen-Orient pour le Washington Institute, avec la chute du communisme comme source idéologique de légitimité à l’ère postsoviétique, Vladimir Poutine a voulu raviver les notions nationalistes de l’Église orthodoxe russe antérieures au régime communiste, latentes notamment au cours des campagnes soviétiques en Afghanistan dans les années 80.
« Vladimir Poutine avance l’idée selon laquelle la Russie est une ‘’civilisation unique’’ – une idée aussi vieille que la Russie elle-même, et en faveur de laquelle l’Église orthodoxe russe a joué un rôle central, d’un point de vue historique », précise Anna Borschevskaya.
« Selon cette idée, Dieu a doté la grande-principauté de Moscou, qui deviendra par la suite l’État russe, d’une mission sacrée, à savoir préserver et répandre la seule et unique foi chrétienne : la foi orthodoxe russe. Les responsables russes ont historiquement utilisé cette idée à des fins politiques, comme justification à la guerre. Vladimir Poutine adapte simplement cette idée à l’époque à laquelle nous vivons. »
Lina Khatib, principale associée de recherche au sein de l’Arab Reform Initiative, explique que le soutien de l’Église orthodoxe russe à l’intervention russe en Syrie s’inscrit dans le prolongement de l’autoreprésentation du régime de Bachar al-Assad, par le biais des médias qui lui sont associés, comme seul défenseur des minorités religieuses en Syrie.
Les activistes ont, depuis longtemps, présenté la libération de prisonniers islamistes connus, détenus dans des prisons gouvernementales syriennes, ainsi que la concentration de frappes aériennes sur les rebelles n’appartenant pas à l’État islamique, comme une preuve que le régime syrien affirme protéger les minorités tout en permettant aux groupes djihadistes de prendre de l’ampleur.
« La déclaration de l’Église orthodoxe russe est une tentative visant à valider les actions du régime, explique Lina Khatib. Mais, cela ne fait que renforcer le sectarisme qui entoure le conflit, offrant ainsi plus de valeur aux actions de l’État islamique en Irak et en Syrie, qui affirme combattre les ‘’infidèles’’ et les ‘‘croisés’’ ».
Les rapports de mercredi dernier font état de frappes aériennes russes ayant pour cible la ville de Talbiseh, dans la province de Homs. Une déclaration publiée par un hôpital de campagne local a annoncé le décès de 18 civils.
Selon l’Institute for the Study of War, l’État islamique n’est pas présent à Talbiseh.
La Russie a réaffirmé que ses frappes aériennes ont pour cible l’État islamique. Cependant, la plupart de ses attaques ont frappé Idleb, Hama, et la province de Homs, et ont été perpétrées contre des groupes rebelles qui s’opposent à l’État islamique, mais qui représentent une menace immédiate pour le régime de Bachar al-Assad.
Les frappes aériennes actuelles sont accompagnées d’attaques au sol organisées par des troupes fidèles au président syrien Bachar al-Assad, dont l’objectif est de sécuriser les principales zones reliant Lattaquié, Tartous et Banias, près de la Méditerranée, à Homs, Hama et Damas.
« Au début de l’année 2014, il y avait un petit groupe de combattants de l’État islamique posté à 10 km de la ville. Mais ils ont quitté la région lorsque les frappes aériennes américaines ont commencé, l’année dernière », a indiqué à Middle East Eye via Skype Firas al-Said, journaliste citoyen basé à Talbiseh.
En complément des frappes aériennes russes, Firas al-Said a signalé que la ville de Talbiseh avait été bombardée par le régime au cours de la semaine dernière.
« Nous sommes également en état de siège. Les gens ont peur de s’enfuir car ils craignent d’être tués par l’armée syrienne. C’est une zone agricole, les habitants vivent des produits de la terre. Mais des aliments, comme le riz et le sucre, viendront bientôt à manquer ».
Monzer Akbik, porte-parole de la Coalition nationale syrienne – un rassemblement de groupes d’opposition formé en novembre 2012 lors des réunions de l’opposition à Doha – explique que le renforcement de la dimension sectaire du conflit conforte le régime de Bachar al-Assad et de ses partisans à Moscou et Téhéran.
« L’objectif est d’éliminer l’opposition modérée et de demander au monde de choisir entre deux options : l’État islamique ou le régime actuel. La Coalition nationale syrienne essaie de limiter l’emprise de la religion, insistant sur la liberté et sur l’importance de rendre la Syrie aux Syriens », a déclaré Monzer Akbik, ajoutant qu’un grand nombre d’églises orthodoxes grecques en Syrie avaient pris publiquement leur distance par rapport à la position adoptée par l’Église orthodoxe russe.
Des analystes ont signalé que la Russie pourrait subir le contrecoup de son intervention en Syrie du fait de l’existence de groupes de sympathisants de l’État islamique dans le Caucase. Les russophones représentent le groupe le plus important de combattants étrangers non arabes en Syrie.
Néanmoins, Stephen Blank, expert russe pour l’American Foreign Policy Council, remarque qu’en Syrie, l’intervention russe a rencontré peu d’opposition, au-delà de la rhétorique de Washington.
« Cela deviendra un jeu dangereux pour Vladimir Poutine uniquement lorsque quelqu’un se dressera devant lui avec une contre-stratégie. Les États-Unis en sont loin et ne sont pas non plus prêts à aider leurs supporters en Syrie contre la Russie afin de la traîner dans un bourbier ».
Stephen Blank affirme que l’intervention russe en Syrie fait partie d’un projet à long terme visant à sécuriser son influence stratégique à la fois dans les Balkans et au Levant.
En revanche, pour lui, l’approche adoptée par le gouvernement Obama – qui n’a pas bénéficié du soutien de la population américaine pour un renforcement de la présence en Syrie – symbolise « l’incompétence stratégique flagrante » des États-Unis.
Au cours des deux dernières semaines, les ministres étrangers de France et de Grande-Bretagne semblent avoir été de plus en plus disposés à apporter leur soutien à une solution permettant éventuellement à Bachar al-Assad de rester temporairement à la tête du pouvoir.
« L’entrée de la Russie dans le conflit fait craindre que la guerre devienne un conflit entre les civilisations », explique Imad Salamey, professeur de sciences politiques à l’université américaine du Liban.
« Néanmoins, suite au manque d’engagement de l’administration Obama pour résoudre le conflit, la Russie est intervenue avec un objectif précis, à savoir protéger ses intérêts. »
« Si l’intervention limitée de la Russie permet aux acteurs régionaux et internationaux de se réunir afin de mener à bien des négociations dans le but de trouver une solution politique au conflit, alors la Russie pourrait être vue comme un facteur de stabilisation au Moyen-Orient, facilitant la résolution du conflit, là où d’autres ont échoué ».
De retour à Talbiseh, Firas al-Said s’inquiète du fait que la Russie pourrait bombarder la ville au cours de la semaine à venir.
« Nous voyons des drones qui survolent constamment la zone. Il y a des chrétiens ici aussi à Talbiseh. Les Occidentaux devraient prendre leurs responsabilités. Ils laissent la Russie clamer que ses actions sont entreprises au nom du christianisme ».
Traduction de l’anglais (original).
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