Irak : les familles de combattants présumés de l’EI s’inquiètent du sort de leurs proches
QAYYARAH, Irak – Wafa Abdullah (le nom a été changé pour protéger son identité) n’a pas de nouvelles de son fils de 15 ans depuis son arrestation par des soldats irakiens à un poste de contrôle alors qu’ils fuyaient Mossoul début février.
« Ils [les soldats irakiens] ont dit qu’ils avaient des informations selon lesquelles il avait rejoint l’État islamique et ils l’ont emmené à Bagdad. Mais nous ne savons pas s’il est en prison ou quoi que ce soit », a-t-elle rapporté.
Selon Wafa, l’armée irakienne a refusé à plusieurs reprises de fournir des informations sur son fils, en dépit de nombreuses demandes.
« J’ai essayé de leur expliquer à plusieurs reprises que mon fils n’a jamais tué personne, qu’il a rejoint [l’EI] pendant peu de temps », a-t-elle poursuivi en larmes. « Je continuerai d’essayer. Je veux juste le revoir une fois de plus. Il me manque tellement. »
« Je veux juste le revoir une fois de plus. Il me manque tellement » – Wafa Abdullah, une mère dont le fils a été arrêté par des soldats irakiens
Alors que l’opération militaire visant à libérer l’ouest de Mossoul de l’État islamique (EI) prend de l’ampleur, les groupes de défense des droits de l’homme s’inquiètent de l’absence de transparence concernant la situation des hommes détenus car soupçonnés d’être impliqués dans le groupe.
Les familles du camp de Jeddah, qui héberge des déplacés internes irakiens à la périphérie de la ville de Qayyarah, ont déclaré n’avoir aucune information concernant le sort de leurs maris et enfants récemment arrêtés.
Wafa a expliqué comment son fils avait été influencé par l’EI dans une mosquée de Mossoul, où les dirigeants de l’EI prêchaient afin de recruter des jeunes après avoir pris le contrôle de la ville en 2014.
« Lorsque l’EI est arrivé à Mossoul, beaucoup de gens allaient à la mosquée, mais ils ont choisi des jeunes », a-t-elle indiqué. « Les esprits des jeunes sont clairs, comme une page blanche. Quand on leur dit quelque chose, ils vont le croire. »
Wafa a ajouté que son fils a été membre de l’EI pendant seulement deux semaines, mais qu’il a quitté le groupe après avoir été contraint à apprendre le maniement des armes.
« Mon fils est un enfant », a-t-elle dit. « Il était vulnérable et ne comprenait pas ce qu’il faisait. Quand on dit quelque chose aux jeunes, ils vous suivront. »
La disparition de personnes soupçonnées d’avoir des liens avec l’EI a suscité des inquiétudes concernant le traitement des détenus arrêtés par les forces irakiennes et les milices qui les appuient.
Selon le rapport annuel d’Amnesty International pour 2016-2017, tous les hommes considérés comme étant en âge de combattre (environ 15 à 65 ans) fuyant les territoires contrôlés par l’EI ont été soumis à des contrôles de sécurité dans des centres de détention improvisés où ils étaient détenus pendant des jours ou des mois dans des conditions souvent difficiles.
Le rapport ajoute que les personnes suspectées de terrorisme étaient transférées sous la garde d’agences de sécurité, telles que la branche des renseignements généraux du ministère de l’Intérieur, où elles risquaient d’être torturées et se voyaient fréquemment refuser tout contact avec leurs familles et leurs avocats.
Selon un autre rapport publié par Human Rights Watch (HRW) plus tôt ce mois-ci, les milices qui combattent auprès des forces irakiennes telles que Hachd al-Chaabi, les Unités de mobilisation populaire composées principalement de combattants chiites, surveillent et emprisonnent des hommes fuyant Mossoul dans des centres de détention non identifiés. On leur refuse tout contact avec le monde extérieur.
Ces milices n’ont pas de mandat officiel ni la formation requise pour effectuer ces contrôles, selon HRW, ce qui les expose à un risque accru de commettre des abus et des disparitions forcées.
Asia, une mère de deux enfants, a déclaré que son mari avait été arrêté il y a 50 jours lorsque des soldats irakiens et des combattants du Hachd al-Chaabi étaient venus chez eux dans un village près de Qayyarah.
« Ils m’ont dit de ne rien dire et de n’en parler à personne. Ils ne lui ont rien demandé, hormis son nom, et ils l’ont emmené », a-t-elle rapporté.
Asia s’est enfuie après l’arrestation de son mari et est venue vivre dans le camp avec ses enfants.
Elle a expliqué que son mari travaillait comme charpentier, mais avait rejoint l’EI pour des raisons financières pendant un mois.
« Il n’y avait pas d’argent à la maison, mes enfants avaient faim, donc il a rejoint l’EI parce qu’on lui avait promis qu’il allait gagner de l’argent », a-t-elle expliqué. « Nous n’avions rien à la maison, seulement du pain et de l’eau, mon mari était désespéré. »
« Nous n’avions rien à la maison, seulement du pain et de l’eau, mon mari était désespéré » – Asia, dont le mari a été arrêté par les soldats irakiens et les combattants des Hachd al-Chaabi
Asia a précisé que son mari avait quitté l’EI au bout d’un mois et avait été détenu dans une prison du groupe pendant une semaine en punition pour son départ. L’EI lui avait également délivré une pièce d’identité spéciale le désignant comme un traître au groupe.
Elle n’a eu aucun contact avec son mari depuis son arrestation et ne sait pas où il est détenu.
Abeer, mère de sept enfants, cherche elle aussi des informations sur son mari. Il a été enlevé dans leur tente au camp de Jeddah le 11 février pour son implication présumée dans l’EI.
Abeer a dit croire que les hommes qui ont arrêté son mari étaient des membres de Hashd al-Ashari, une milice soutenue par le gouvernement irakien qui a été accusée de détenir et de battre des hommes soupçonnés de liens avec l’EI, selon un rapport de Human Rights Watch publié en novembre 2016.
Cette milice est également accusée d’avoir recruté des enfants dans des camps de réfugiés pour participer à la lutte contre l’EI.
« Ils sont venus à Hammam al-Ali [au sud de Mossoul] et ont tué beaucoup de monde », a déclaré Abeer. « [Les membres de] Hashd al-Ashari sont très mauvais. Ils blessent et tuent des gens. »
Avec ses sept enfants assis autour d’elle dans la tente bondée, Abeer pleurait en parlant de l’arrestation de son mari, qui est en outre en mauvaise santé.
« Mon mari est malade », a-t-elle expliqué. « Il fait de l’épilepsie. S’ils le frappent, je suis sûre qu’il mourra. »
Bien qu’elle ait nié que son mari soit membre de l’EI, elle a indiqué que ce dernier avait été contraint d’aider à protéger et entretenir un bâtiment utilisé par les combattants du groupe, situé à côté d’un magasin que son mari possédait dans la ville de Hammam al-Ali.
« Lorsque Daech [EI] a emmené mon mari à l’intérieur du bâtiment, ils l’ont menacé en disant qu’il pouvait soit les rejoindre et les aider, soit qu’ils le tueraient, lui et sa famille », a déclaré Abeer.
« Il pouvait soit les rejoindre et les aider, soit ils le tueraient, lui et sa famille » – Abeer, dont le mari a été arrêté par des membres de Hashd al-Ashari
Il a refusé de rejoindre le groupe, mais a accepté d’être responsable du bâtiment en leur nom, a-t-elle expliqué.
Elle n’a reçu aucune information sur le lieu où se trouvait son mari depuis son arrestation. Elle espère qu’il s’agit d’une erreur sur la personne et qu’il sera bientôt libéré.
Bien qu’il ne fasse aucun doute que les combattants de l’EI doivent rendre des comptes et être traduits en justice dans le cadre de procès équitables, les contrôles et les détentions arbitraires effectués par des groupes soutenus par le gouvernement ont laissé de nombreuses familles dans l’inquiétude.
« Tous les détenus doivent être traités avec humanité et doivent être protégés de la torture et d’autres mauvais traitements », a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe pour la recherche au bureau régional d’Amnesty International à Beyrouth dans un rapport publié en novembre 2016.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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