Casques de Batman, perruques et kits de maquillage : le cosplay séduit de plus en plus d’Iraniens
Sur un toit du centre de Téhéran, Sarah Shahabadi et deux amis recréent des scènes d’un célèbre film de super-héros.
C’est une chaude journée estivale, mais Sarah Shahabadi, 24 ans, porte un pantalon, une veste en cuir et une perruque violette, afin de poser en tant que « Hit-Girl », personnage de la série américaine de la série Kick-Ass tandis qu’un autre ami prend des photos.
Avec ses amis, ils font du cosplay – une forme de pop culture originaire du Japon, mot-valise composé de « costume » et « play » (jouer). Les cosplayeurs s’habillent à l’image de leurs héros préférés des comics, des séries d’animation ou des films de science-fiction. Bon nombre d’entre eux diffusent également des vidéos en streaming et en live ou publient des photos d’eux-mêmes sur les réseaux sociaux pour offrir un aperçu de leur univers fantastique.
« J’aime prétendre être le personnage, le faire vivre, même si ce n’est que pour quelques heures. Je pense que c’est cet élément qui fait que chaque cosplayeur tombe amoureux de cette performance artistique », confie Sarah Shahabadi, qui étudie le théâtre à l’université.
« Mon seul problème ce jour-là, [c’était] d’avoir à porter du cuir au milieu de l’été ! », ajoute-t-elle en souriant.
Les sessions pratiques ont payé : moins d’un an plus tard, alors que le monde s’est confiné à cause du coronavirus, l’agrégateur de critiques cinéma Rotten Tomatoes a décidé de marquer le dixième anniversaire de la sortie du film original Kick-Ass. Le site a invité les instagrameurs à participer à un concours du meilleur costume et de la meilleure performance.
Les photos de Sarah Shahabadi et de ses amis figuraient parmi les performances choisies et partagées sur la page Instagram de Rotten Tomatoes, qui rassemblait alors plus de 1,2 million d’abonnés.
« C’est l’une des rares fois où un média étranger réputé a publié des images de cosplayeurs en Iran », indique-t-elle.
Sarah from Wonderland
Sarah fait partie de ces Iraniens, toujours plus nombreux – en particulier les femmes –, qui rejoignent la communauté florissante des cosplayeurs.
« Aujourd’hui, il y a environ 100-150 cosplayeurs en Iran de différents niveaux en matière de performance. La plupart sont des femmes », précise-t-elle à Middle East Eye.
Ce n’est pas toujours facile pour les cosplayeuses en Iran, où le code vestimentaire strict en place depuis la révolution islamique de 1979 signifie qu’elles doivent contourner la police de la morale.
« En tant que cosplayeuse en Iran, je dois gérer de nombreuses restrictions dans mon choix de personnages », explique-t-elle. « Dans une sous-culture ou les femmes ont tendance à être peu vêtues, je dois toujours être attentive et adapter les costumes pour qu’ils soient pudiques. »
Sur Instagram, Sarah Shahabadi est connue sous le pseudo Sarah_from_Wonderland, et après près de quatre ans à recréer différents personnages avec des costumes modestes et à travailler avec d’autres personnalités reconnues en Iran, elle figure désormais parmi les visages les plus connus de la communauté du cosplay en Iran.
« Au départ, les gens n’avaient pas une bonne image du cosplay et certains ont fait des commentaires déplaisants à propos de notre travail. J’ai passé beaucoup de temps à essayer d’expliquer ce que nous faisions, par exemple en rédigeant des notes explicatives sous nos publications Instagram et en répondant aux commentaires sur les autres réseaux sociaux. Ce n’était pas facile. »
Dans le cadre de leurs efforts pour sensibiliser à cette forme d’art, avec une poignée d’autres fans, elle a organisé en 2018 le premier atelier de cosplay en Iran réservé exclusivement aux femmes.
« Peu de cosplayeuses sont invitées aux événements, aux festivals et aux projections de films ici », indique Sarah Shahabadi. « Par exemple, en tant que metteuse en scène et conceptrice de projets de cosplay, je reçois principalement des appels et des commandes pour préparer des costumes et créer des personnages masculins parce que c’est ce que veulent généralement les organisateurs de ces événements. »
Mais elle ne laisse pas cela se mettre en travers de son chemin. « Je crois que ces restrictions m’ont rendue beaucoup plus novatrice et déterminée à surmonter les obstacles », confie Sarah Shahabadi qui, en 2009, a conçu des personnages et des costumes de cosplay basés sur The Last Fiction, un film d’animation iranien sur la mythologie perse qui figurait parmi les 32 films d’animation nommés aux Oscars l’année dernière.
Après avoir réuni les autorisations nécessaires et publié les annonces sur les réseaux sociaux, plus d’une centaine de personnes se sont inscrites pour participer à l’atelier d’une journée à Téhéran, bien que seul un cinquième des inscrits n’ait pu être accueilli. Cet atelier était centré sur le maquillage de théâtre, la conception de costumes et la photographie. Les participants ont eu la chance d’essayer des costumes de personnages populaires et d’être pris en photo.
Plastique, mousse et cuir
L’un des problèmes auxquels sont confrontés de nombreux cosplayeurs en Iran est de trouver tous les éléments de leurs costumes. Bien qu’il existe quelques magasins en Iran qui vendent des figurines, des posters, des masques et des accessoires de personnage de comics populaires, ils ne sont pas donnés. Les accessoires (perruques, kits de maquillage, lentilles de contact), vendus via Instagram, ne sont pas moins onéreux.
Les cosplayeurs iraniens les plus reconnus optent souvent pour des options faites à la main, utilisant des matériaux disponibles tels que le plastique, la mousse et le cuir. Certains cosplayeurs plus professionnels sont contraints de réaliser leurs propres costumes et certains créent même et vendent des pièces sur mesure pour en tirer des revenus visant à entretenir leur coûteuse passion.
D’autres ont opté pour des méthodes modernes pour accélérer le processus. Ashkan Nazari, cosplayeur passionné, a commencé il y a quelques années à réaliser des figurines, des casques, des armures et d’autres accessoires de personnages de films populaires avec l’aide d’ordinateurs et d’imprimantes 3D.
L’atelier poussiéreux d’Ashkan Nazari, situé dans un vaste jardin aux grands arbres dans le comté de Shahriar, est à une heure en voiture de Téhéran. Sur le mur figurent des dizaines de photos du cosplayeur en costume.
Né en 1993, Ashkan Nazari a abandonné ses études en génie informatique à l’université et s’est déjà essayé à quelques emplois avant de trouver sa voie.
Il a étudié l’impression 3D en ligne en tâtonnant. Désormais, il prétend que ses créations ne rivalisent pas seulement avec les produits étrangers similaires en termes de qualité mais qu’elles sont également bien moins chères pour les cosplayeurs iraniens.
Il publie ensuite des critiques créatives et amusantes à propos de ses produits et du cosplay en général sur ses comptes YouTube et Instagram, et son nombre d’abonnés va croissant.
« Je préfère investir mon temps et mon énergie dans un travail que je trouve intéressant. Lorsque j’étais enfant, je rêvais d’avoir un casque intégral de Batman. Désormais, ce rêve est devenu réalité. Aujourd’hui, je réalise moi-même ce casque. Je ne quitterai jamais ce travail », assure-t-il.
Des clients de 8 ans
La pandémie de COVID-19 a eu peu d’impact sur le travail d’Ashkan Nazari et de Pouriya Jafarnia, nouveau membre de son équipe. La demande est importante car de plus en plus de gens, à partir de 8 ans, commandent de nouveaux articles tous les jours.
« Ces derniers mois, j’ai à peine eu le temps de regarder de nouveaux films, de jouer ou de voir mes amis. Notre objectif est d’étendre nos activités et de réaliser des produits de qualité sans augmenter les prix », précise-t-il en ajoutant qu’il essaie toujours de donner une remise spéciale aux cosplayeurs iraniens.
Avec le nombre croissant de commandes, il a récemment acheté deux nouvelles imprimantes 3D et dit avoir même commencé à recevoir des demandes pour des articles qui ne concernent pas le cosplay, comme des maquettes d’architecture et des couronnes dentaires. Mais il refuse ces demandes pour se concentrer sur sa passion.
Le plus grand et le plus extravagant des points de rencontre pour les cosplayeurs du monde entier sont les Comic-Con annuels, des conventions généralement bondées où se rassemblent les fans, les créateurs et les spécialistes du monde des comics, de la science-fiction et des jeux vidéo.
Le premier Comic-Con a eu lieu dans les années 1970 aux États-Unis et de nombreux événements similaires ont essaimé à l’international depuis. Bien que d’autres pays musulmans tels que l’Arabie saoudite voisine aient lancé leur version du Comic-Con, aucun événement de ce type n’a encore eu lieu en Iran.
Mais en raison d’une popularité grandissante ces dernières années, le cosplay est devenu un ingrédient fréquent des salons liés à l’informatique et aux jeux vidéo et lors des projections de films dans le pays. Les principaux cosplayeurs sont souvent invités à assister à ces événements, bien qu’il s’agisse surtout d’hommes.
Pour certains Iraniens, le cosplay est un moyen créatif d’échapper au déluge constant d’informations négatives, de l’économie en crise et à un futur qui reste incertain en raison des sanctions américaines, en passant par l’impact de la pandémie de COVID-19.
« Toute forme d’art peut vous faire oublier les problèmes du monde réel et vous immerger dans ses beautés. Sans aucun doute, le cosplay ne fait pas exception », indique Sepideh Karimi, 23 ans, entrée dans le monde du cosplay il y a environ trois ans.
Depuis la révolution de 1979 qui a renversé le shah soutenu par les Américains, la relation entre l’Iran et les États-Unis est tendue. Washington a coupé tout lien diplomatique lorsque des étudiants iraniens ont pris d’assaut l’ambassade américaine à Téhéran peu après et ont imposé des sanctions contre l’Iran.
Contre l’« invasion culturelle » occidentale
Les tensions se sont accrues entre les deux pays ces deux dernières années après le retrait par le président américain Donald Trump de l’accord sur le nucléaire de 2015, signé avec six grandes puissances. Le président américain a également instauré de nouvelles sanctions qui ont pesé lourdement sur l’économie iranienne.
Dans le même temps, les dirigeants islamistes iraniens ont toujours mis en garde contre l’« invasion culturelle » occidentale, jugeant que de nombreux blockbusters hollywoodiens (notamment la science-fiction et les films Marvel) ne sont pas compatibles avec la culture islamique.
Mais la génération de jeunes Iraniens nés après 1990, déjà exposée à la culture populaire occidentale via satellite et internet, passe outre.
« Je ne me limite pas à un genre spécifique de film… mais je préfère les films de science-fiction par-dessus tout. J’aime également représenter des personnages des Avengers ainsi que de la série de films X-Men », indique Karimi, diplômée en psychologie qui veut poursuivre des études de cinéma.
Suite à la mort de la star de Black Panther, Chadwick Boseman, en août 2020, les fans de cosplay iraniens ont partagé leur chagrin via des commentaires et des stories sur leur page Instagram pour déplorer cette « immense perte », autre signe de l’attrait et de la popularité croissante des films américains et de leurs super-héros.
Les cosplayeurs iraniens ont parcouru un long chemin ces dix dernières années ; aujourd’hui, ils s’efforcent de promouvoir cette forme d’art avec le même zèle et les mêmes normes que leurs homologues au sein de la communauté internationale.
« Nous avons des cosplayeurs extraordinaires et professionnels en Iran », assure Farzad Amiri, 26 ans, cosplayeur pionnier et reconnu en Iran. « Je considère le style de mon travail et les costumes que je conçois comme professionnels et de premier choix. »
Sarah Shahabadi le rejoint et ajoute qu’au fil des ans, leurs ressources se sont développées elles aussi : « De nombreux projets et performances de cosplay sont créés, prenant différents aspects, par exemple l’élaboration de designs de costumes, de maquillage, de présentation et ainsi de suite. Ils rivalisent avec les meilleurs cosplayeurs à l’étranger. »
Mais Farzad Amiri estime qu’il y a une différence entre le succès des cosplayeurs à titre individuel et le statut du cosplay dans la sphère publique : « Le cosplay devrait d’abord être reconnu par le gouvernement comme une forme d’art bien établie pour permettre aux hommes comme aux femmes de profiter d’opportunités égales et de pouvoir travailler dans différents domaines tels que le divertissement, les activités professionnelles et promotionnelles ou même les cinémas.
« Ce n’est qu’alors que nous verrons des progrès tangibles dans la sphère publique », estime le jeune homme, actif dans ce secteur depuis plus de sept ans.
Autre problème, ajoute-t-il, le manque de soutien du gouvernement et l’absence d’événements et de festivals dédiés au cosplay qui permettraient aux fans de se rassembler et aux créateurs de présenter leurs travaux au public.
Dans le même temps, avec le nombre de jeunes Iraniens de plus en plus reconnus à l’international, les cosplayeuses comme Sarah Shahabadi ne veulent pas arrêter, quels que soient les obstacles.
En plus de ses études à l’université, elle prévoit de continuer le cosplay, ainsi que ses autres efforts créatifs. Dans son temps libre, elle conçoit des personnages de cosplay, produit des courts métrages et travaille en tant qu’actrice de voix off pour des films d’animation.
« J’espère que mes efforts aideront à promouvoir le cosplay auprès des Iraniens », confie-t-elle. « Ainsi, plus de gens pourront rejoindre librement notre communauté, pratiquer et apprécier cet art. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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