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Israël accusé de recourir à la ruse pour arracher des terres de réfugiés

Des familles palestiniennes ont mis en garde contre les subterfuges employés pour les forcer à céder à Israël leurs droits de propriété remontant à 1948
Des réfugiés internes participent à une marche près du village palestinien détruit de Saffuriya pour commémorer l’anniversaire de la Nakba (MEE/Jonathan Cook)

ACRE, Israël – Les dirigeants palestiniens en Israël ont prévenu qu’ils soupçonnent le gouvernement israélien d’être à l’origine de récents efforts visant à tromper les familles des réfugiés de la guerre de 1948 pour qu’elles lui cèdent les droits sur leurs terres.

L’alerte a été transmise à environ 300 000 citoyens palestiniens d’Israël descendant de réfugiés qui ont été forcés de quitter leur village pendant la guerre de 1948, mais sont restés à l’intérieur des frontières du nouvel État israélien.

Les Palestiniens attribuent à la dépossession de leur patrie le nom de « Nakba », qui signifie « catastrophe » en arabe.

Selon des experts, Israël s’emploie à faire pression sur les réfugiés pour qu’ils vendent les titres de propriété des terres qu’ils conservent depuis des décennies, dans le but de mettre à mal le droit au retour des Palestiniens, qui est l’une des exigences essentielles pour tout accord de paix.

« Israël s’intéresse fortement à l’idée de réduire le nombre de réfugiés jouissant d’un droit sur ces terres de sorte qu’en cas d’accord, la question d’un droit au retour des Palestiniens soit affaiblie », a soutenu Hillel Cohen, chercheur sur la question des réfugiés palestiniens à l’université hébraïque de Jérusalem.

« Israël espère être en mesure de dire à la communauté internationale : "Mais les réfugiés ont vendu leurs terres, où peuvent-ils revenir ?". »

Khaled Suleiman, âgé de 64 ans et originaire de la ville côtière israélienne d’Acre, a expliqué à Middle East Eye que sa famille a été l’une de celles qui ont été approchées par des avocats ayant tenté de les persuader de vendre.

Près de 800 000 Palestiniens, comme les parents de Suleiman, sont devenus des réfugiés en 1948 et ont été dépouillés par Israël de leurs droits sur tous les biens qu’ils n’ont pas pu emporter avec eux, en vertu d’un texte de loi de 1950 connu sous le nom de « loi sur la propriété des absents ».

Exclus de leurs villages

Alors que la plupart des Palestiniens ont été contraints d’aller au-delà des frontières de l’État d’Israël nouvellement formé, la famille de Suleiman a fait partie des 30 000 réfugiés palestiniens qui sont parvenus à rester près de leur ancien foyer.

Ils sont finalement devenus citoyens et ont intégré la large minorité palestinienne d’Israël, qui s’élève aujourd’hui à 1,6 million d’habitants, soit un cinquième de la population.

Néanmoins, Israël continue d’interdire à la famille Suleiman de retourner dans son ancien village, Alma, au nord de la ville de Safed, en Galilée. Les maisons de ce village ont été détruites il y a plusieurs décennies par Israël, tout comme plus de 500 autres communautés palestiniennes.

Aujourd’hui, les 17 hectares de la famille sont contrôlés par une communauté agricole exclusivement juive portant le même nom que leur village rasé.

Suleiman a raconté avoir été choqué de découvrir qu’un avocat (issu de la minorité palestinienne) avait approché son neveu et essayé de le forcer à vendre des terres de la famille au gouvernement.

L’avocat a poussé son neveu à croire qu’il avait une dernière chance d’empocher une indemnisation et que le délai expirait à la fin du mois suivant.

« Ces gens sont pires que des escrocs, a confié Suleiman à MEE. Nous l’avons envoyé balader. »

Suleiman et plusieurs dizaines d’autres familles approchées au cours des derniers mois se demandent désormais pourquoi les avocats les ont cherchés maintenant et comment ils savent autant de choses sur eux.

« Il savait quelle superficie nous possédions en 1948, où se trouvaient nos parcelles et comment nous trouver », a-t-il précisé.

Les dirigeants palestiniens en Israël sont convaincus de connaître la réponse.

Hanna Swaid, ancien membre palestinien du parlement israélien, qui dirige aujourd’hui une organisation traitant de questions foncières, a déclaré à MEE que le gouvernement israélien était sûrement derrière le stratagème des avocats.

« Ces avocats ont accès aux listes officielles des propriétés des absents qui sont extrêmement difficiles à obtenir. Il y a clairement quelqu’un qui les aide, et il n’est nul besoin de regarder loin pour comprendre qui. »

Les responsables, fil conducteur ?

Les récits d’avocats ayant approché de manière similaire des familles de réfugiés en Israël affluent, ce qui fait craindre qu’une campagne ne soit organisée dans le but de persuader les réfugiés de vendre leurs terres.

Le Haut comité de suivi pour les citoyens arabes d’Israël, un organisme de coordination qui représente les principaux dirigeants politiques palestiniens d’Israël, a lancé récemment une série de rencontres dans les plus grandes communautés palestiniennes d’Israël pour éveiller les consciences.

« Il semble clair que le gouvernement israélien est le fil conducteur de ces démarches », a soutenu Maysana Mourani, avocate au sein d’Adalah, un centre juridique destiné à la minorité palestinienne qui s’est étroitement impliqué dans la campagne de sensibilisation.

Selon les organisateurs de la campagne, c’est un des principes de base du processus de paix qui est en jeu : le droit des réfugiés de retourner dans leurs terres ou de recevoir une indemnisation arbitrée au niveau international dans le cadre d’une résolution finale du conflit israélo-palestinien.

Hillel Cohen, de l’université hébraïque de Jérusalem, a expliqué à MEE qu’Israël s’était montré intéressé dès le départ à l’idée de persuader les réfugiés internes (ceux qui vivent encore en Israël) de renoncer à leurs droits sur leurs terres.

Bien que la loi sur la propriété des absents ne prévoie pas d’indemnisation pour les réfugiés, le parlement israélien a fait une exception pour les déplacés internes, a-t-il précisé. Ils ont été autorisés à demander une indemnisation en vertu d’un texte de loi ultérieur, à savoir la loi sur l’acquisition de terres de 1953.

D’après Cohen, les responsables n’avaient imposé aucune date limite aux 300 000 réfugiés internes pour vendre leurs terres à l’État.

Il a ajouté qu’il y avait peu d’informations sur ces ventes dans la mesure où ni les responsables israéliens, ni les Palestiniens d’Israël n’avaient intérêt à rendre publiques ces transactions.

Le tabou des transactions foncières

Pour la société palestinienne, les transactions foncières avec Israël sont considérées comme un tabou.

Toutefois, certains réfugiés ont reconnu qu’Israël avait utilisé diverses formes de pression bien avant la dernière ruse des avocats pour persuader les familles de céder leurs droits.

Ziad Awaisi, un responsable de l’ADRID, un comité représentant les déplacés internes, a expliqué à MEE que les autorités israéliennes avaient exploité la vulnérabilité extrême des réfugiés au cours des premières années d’existence de l’État et le fait que la minorité palestinienne vivait sous un régime militaire sévère jusqu’en 1966.

« Mon grand-père m’a raconté que des gens de son village, Saffuriya, ont été menacés en 1949 de se voir refuser leur carte d’identité s’ils ne vendaient pas leurs terres au gouvernement. »

« D’autres se sont vu signifier qu’ils n’obtiendraient jamais de permis pour construire une maison, à un moment où ils vivaient encore dans des tentes des Nations unies. Les services de sécurité disposaient de multiples moyens pour intimider les réfugiés. »

Suleiman se souvient que dans les années 1960, son père avait reçu la visite du Shin Bet, le service de renseignement intérieur d’Israël, qui avait essayé de le forcer à vendre.

« Mon père était un fervent nationaliste et a refusé, mais je pense que d’autres familles de notre village ont accepté, soit parce qu’elles avaient désespérément besoin d’argent, soit parce qu’elles avaient été terrorisées », a-t-il raconté.

Selon la meilleure estimation de Cohen, basée sur les données portant sur les indemnisations reçues en vertu de la loi de 1953, un quart des terres appartenant à des réfugiés pourraient avoir été vendues à l’État d’Israël au cours des décennies suivantes.

D’après Alexandre Kedar, professeur de droit à l’université d’Haïfa, la plupart des indemnisations perçues par des réfugiés palestiniens au cours des premières années d’existence de l’État israélien ont été basées sur une valeur obsolète des terres, ce qui a considérablement réduit les sommes qu’ils ont reçues.

Les « présents-absents »

Les derniers récits de familles approchées par des avocats indiquent que les efforts visant à faire pression sur les réfugiés pour les forcer à vendre des terres ne sont pas terminés.

Des rumeurs circulent également selon lesquelles des avocats palestiniens d’Israël se rendent dans des camps de réfugiés en Jordanie pour essayer de faire signer aux réfugiés des documents par lesquels ils transféreraient leurs terres à Israël.

Selon Mohammed Kayal, haut responsable de l’ADRID, les avocats sont payés par l’État israélien pour chaque réfugié qu’ils trouvent et qu’ils persuadent de vendre ses terres.

Un cinquième des citoyens palestiniens d’Israël seraient classés en tant que « présents-absents » d’après la loi sur la propriété des absents, c’est-à-dire qu’ils sont présents en Israël, mais absents de leurs terres.

Des groupes de défense des droits de l’homme ont mis en garde contre le fait que des avocats accusés de tromper les réfugiés affirment à ces derniers qu’une récente décision de la haute cour leur donne droit à un contrat d’indemnisation exceptionnel.

En réalité, l’affaire concerne exclusivement les personnes affectées par une autre loi, qui régit les expropriations foncières.

Dans ce cas, le juge a décidé que les citoyens israéliens qui avaient initialement refusé une indemnisation du gouvernement pouvaient la demander pendant une période limitée, même si le délai de prescription avait expiré.

La fenêtre d’application de la compensation financière rétrospective se ferme dans ces cas-là à la fin du mois prochain.

Selon Suhad Bishara, d’Adalah, les avocats avaient induit en erreur les familles de réfugiés telles que la famille Suleiman.

« Ils essaient de les mettre sous pression en leur faisant croire que ce sera leur dernière chance d’obtenir une indemnisation, a-t-elle expliqué. Mais cette décision de justice n’a rien à voir avec leurs droits. »

Une patrie « pas à vendre »

La campagne de sensibilisation est menée sous le slogan « Ne renoncez pas aux terres de vos parents et de vos grands-parents ».

Maysana Mourani a expliqué à MEE qu’Israël avait confisqué environ 7 000 kilomètres carrés de terre à des réfugiés palestiniens à l’aide de la loi sur la propriété des absents, soit un tiers de la superficie totale d’Israël.

Au cours des années suivantes, Israël a exproprié 1 200 kilomètres carrés de territoire supplémentaires, en grande partie à des citoyens palestiniens, en vertu de la loi sur l’acquisition de terres de 1953, a-t-elle ajouté.

Mohammed Barakeh, chef du Haut comité de suivi, a formulé une mise en garde lors d’une récente rencontre à Nazareth : « Notre patrie n’est pas à vendre. »

« Israël veut les signatures des victimes [de 1948], de sorte qu’il paraisse que ces dernières ont accepté à la fois leur expulsion de leurs terres et la version sioniste de la Nakba », a-t-il ajouté.

Néanmoins, les avocats à l’origine de la démarche visant à persuader les familles palestiniennes de vendre leurs terres ont affirmé ne rien avoir fait de mal.

Ayman Abou Raya, directeur d’un cabinet d’avocats à Sakhnin, qui a lancé des appels aux avocats pour qu’ils les aident à localiser les familles de réfugiés, a jugé la campagne de sensibilisation « sinistre ».

« Nous n’avons jamais induit personne en erreur et tout ce que nous faisons est légal, a-t-il indiqué à MEE. Nous nous spécialisons dans ce genre d’affaires d’indemnisation. Les familles sont en droit d’obtenir de l’argent et nous les aidons à l’obtenir. »

Niant toute implication du gouvernement, Ayman Abou Raya a expliqué que son cabinet localisait les titres fonciers des réfugiés dans les bureaux du cadastre locaux. Il a affirmé avoir remporté « une indemnisation conséquente » pour de nombreuses familles.

Suhad Bishara, avocate au sein d’Adalah, a soutenu que même si les réfugiés ont bel et bien vendu des terres, cela ne doit pas porter atteinte à leurs droits dans le cadre du droit international.

« Le droit au retour n’est pas seulement un droit individuel, mais aussi une question collective pour les Palestiniens. C’est un problème plus large que ces ventes de terres », a-t-elle affirmé.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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