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Une ville israélienne ravive sa mission historique d’exclure les Arabes

Fondée il y a des décennies pour « judaïser » la Galilée, la ville de Haute-Nazareth se mobilise contre les tentatives d'acquisition de logements par les Arabes des localités environnantes
Un drapeau israélien surdimensionné garde l'entrée de la ville de Haute-Nazareth (MEE/Jonathan Cook)

HAUTE-NAZARETH, Israël - Depuis près de soixante ans, la ville historique de Nazareth vit aux côtés d’un voisin importun.

La ville de Haute-Nazareth a été construite sur les terres confisquées de Nazareth par ordre du Premier ministre d'Israël, David Ben Gourion. Celle-ci faisait partie d'une campagne officielle visant à « judaïser » la seule ville palestinienne restée relativement indemne à l’issue de la guerre de 1948.

Mais si Haute-Nazareth et ses habitants juifs étaient censés engloutir la ville de Galilée où, selon la Bible, a vécu Jésus, ils ont largement échoué.

Les responsables de Haute-Nazareth admettent qu’un danger bien plus grand réside dans le fait que leur petite ville risque désormais d’être envahie par la population arabe de la région, en particulier les résidents de Nazareth, dont de nombreux chrétiens, qui fuient de graves pénuries de terres et une municipalité au bord de la faillite.

Le maire de Haute-Nazareth, Shimon Gapso, a récemment reconnu que la proportion d'Arabes dans la ville - autrefois habitée presque exclusivement par des juifs - a augmenté de façon spectaculaire au cours des quinze dernières années.

En d'Israël, un résident sur cinq est maintenant arabe. Les citoyens palestiniens constituent une importante minorité de près d’1,5 million de personnes.

Selon des groupes de défense des droits de l’homme, les craintes d'une conquête arabe sont à l’origine d’une série de mesures municipales controversées allant jusqu'à interdire les arbres de Noël et bloquer la construction d'une école enseignant dans la langue arabe. La dernière de ces mesures a été le refus de stocker des livres de langue arabe dans les bibliothèques publiques locales.

Shimon Gapso est inhabituellement discret en  ce moment. Il a été reconnu coupable de corruption en février dernier mais le juge a surpris les observateurs en le condamnant à seulement six mois de travaux communautaires le 26 avril dernier. Bien que la peine permette à Gapso de reprendre ses activités politiques, le procureur devrait faire appel de la sentence. La suspension de Gapso est également susceptible de se prolonger car il est confronté à une autre affaire de corruption qui sera examinée sous peu.

Il refuse de donner des interviews pour le moment, mais il a récemment déclaré aux journalistes, en quittant le tribunal d’Haïfa : « Je suis un citoyen respectueux de la loi. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que je reviendrai à la mairie de Haute-Nazareth ».

Shimon Gapso a cependant indiqué à MEE qu'il était à l’origine de déclarations publiques antérieures sur la nécessité de conserver le caractère juif de la ville, alors même que la municipalité est confrontée aux accusations de ce que les groupes de défense des droits de l’homme décrivent comme des politiques « racistes ».

Fier d’être « raciste »

Dans une réponse désormais célèbre à ce qu'il appelle « les critiques des âmes sensibles », publiée en 2013 dans le journal Haaretz, Shimon Gapso écrivait : « Je n’ai pas peur de le dire à voix haute [...] Haute-Nazareth est une ville juive et il est important qu’elle le reste. Si cela fait de moi un raciste, alors je suis l’émanation fière d'une glorieuse dynastie de ‘’racistes’’ ».

Selon Mohammed Zeidan, directeur de l'Association pour les droits de l'homme de Nazareth, les politiques de Haute-Nazareth ne sont pas simplement le reflet des initiatives personnelles du maire, mais font partie d'une culture politique plus large imprégnant à la fois la ville et Israël.

« Ceci est lié au concept de ‘’ville juive’’ et au programme israélien de judaïsation de la Galilée », explique Zeidan. « Le racisme est inhérent à la fondation de Haute-Nazareth comme moyen de neutraliser la menace censée être posée par une importante population arabe que l'Etat considère comme ‘’ennemie’’ ».

Répondant aux questions de Middle East Eye, Orna Yosef, porte-parole de Haute-Nazareth, affirme que la ville accueille tous les citoyens israéliens mais qu’elle ne pourrait jamais avoir une majorité arabe - ou un maire arabe.

« Ce que Ben Gourion voulait pour la ville, la municipalité le veut aussi. Celle-ci a été construite pour le peuple juif », ajoute-t-elle.

Si les accusations de racisme embarrassent certains officiels de la ville, Shimon Gapso semble s’en délecter. Lors de la dernière campagne électorale municipale, en 2013, il a jonché Haute-Nazareth d’affiches reprenant ses plus sévères critiques, y compris celle de « racaille raciste ».

Cela s’est révélé être une formule gagnante. Bien qu’accablé par les allégations de corruption, les résidents juifs l’ont réélu par une majorité écrasante.

Pas de livres arabes

Les responsables politiques de Haute-Nazareth peuvent donc difficilement s’étonner de se retrouver à nouveau dans le collimateur des organisations des droits de l'homme.

Lors du dernier affrontement, l'Association pour les droits civils en Israël (ACRI), basée à Tel-Aviv, a annoncé qu'elle allait lancer une procédure judiciaire portant sur l’incapacité de la ville à stocker un seul livre en langue arabe dans ses trois bibliothèques publiques.

ACRI a noté que ces bibliothèques possèdent de nombreux livres dans d'autres langues, dont l'anglais, le russe, l'espagnol et le français, alors que - contrairement à l’arabe – aucune de ces langues n’est considérée comme langue officielle en Israël.

Auni Banna, un avocat qui travaille avec ACRI, a affirmé à MEE que l'organisation avait envoyé de nombreux courriers au cours des trois dernières années exigeant que Haute-Nazareth résolve la question liée à son incapacité à fournir des services culturels et une bibliothèque à sa population palestinienne.

Orna Yosef a déclaré pour sa part que la municipalité envisagerait de construire une bibliothèque séparée pour la population arabe l'année prochaine, mais qu'il lui faudrait « du temps et de l'argent ».

« Nous attendons encore la réponse de la ville de Haute-Nazareth, mais ce qu'ils ont discuté précédemment est la création d'une petite bibliothèque séparée - peut-être seulement quelques étagères - cachée dans un quartier arabe », a indiqué Auni Banna.

« Ceci envoie un message implicite que les Arabes ne sont pas admis dans d'autres zones, et surtout pas dans les principaux espaces publics de la ville, tels que la bibliothèque centrale. Cela n’est pas satisfaisant. »

Auni Banna a ajouté que les responsables de la ville doivent aussi créer une base de données centrale sur les livres en langue arabe et fournir des services d'enrichissement personnel, comme la lecture de contes, des conférences et des séances d'assistance scolaire, comme cela est fait pour le public juif.

« En tant que résidents et citoyens qui payons des impôts, nous - tant les adultes que les enfants - avons droit aux budgets et aux ressources qui nous permettent d'accéder à des livres dans notre langue maternelle [l’arabe] », a déclaré Hani Salloum, un résident local qui a signé la pétition d’ACRI.

Arbres de Noël interdits

Les tensions relatives à l'afflux de citoyens palestiniens ont augmenté depuis 2005, lorsque le gouvernement israélien a pour la première fois discrètement désigné Haute- Nazareth comme une « ville mixte ».

Dans la plupart des régions d'Israël, la résidence est strictement séparée sur la base de l'appartenance ethnique. Les comités d'admission interdisent aux non-juifs de vivre dans des centaines de communautés rurales qui ont juridiction sur la plupart du territoire d'Israël.

Cependant, les gouvernements successifs refusant d'approuver une seule nouvelle communauté arabe depuis la fondation de l’Etat d'Israël, les villes judaïsées de Galilée ont été soumises à la pression croissante des citoyens palestiniens vivant dans les villes et villages environnants, devenus massivement surpeuplés.

Elu en 2009, Shimon Gapso avait mené une campagne ouvertement anti-arabe - abandonnée par la suite sur conseil juridique – visant à mettre en place un fond municipal conçu pour aider les juifs à acheter des maisons dans la ville.

Il a refusé la construction de mosquées et d’églises, ou même d’allouer une section du cimetière municipal aux non-juifs. En 2010, il a interdit les arbres de Noël dans les bâtiments publics.

En 2011, ses collaborateurs ont également été reconnus coupables d'outrage par la Cour suprême pour avoir omis de mettre en œuvre une décision datant de 2002 exigeant l’installation de panneaux routiers incluant des inscriptions en arabe en plus de l'hébreu.

Suite à des manifestations organisées à Nazareth contre l'attaque d'Israël sur Gaza fin 2012, Gapso avait fait les gros titres en désignant la ville voisine de « nid de terreur » et en exigeant que le gouvernement déclare celle-ci comme « une ville hostile à l'Etat d'Israël ».

Mais son action la plus controversée a été de refuser la construction d’une école enseignant en arabe aux quelque 2 000 enfants palestiniens de la ville. Ainsi, en raison de la ségrégation qui affecte le système éducatif israélien, ces élèves ont été forcés de se démener pour trouver des places dans les écoles beaucoup trop courues de la ville voisine de Nazareth.

Des lettres adressées par ACRI au maire lui demandant d’honorer son engagement juridique à l’égard des enfants arabes de la ville ont été caractérisées par Gapso de « déclaration nationaliste provocatrice ». Le ministère de l'Education a jusqu'ici refusé d'intervenir.

Drapeaux israéliens géants

En 2013, suite aux pressions croissantes subies par Shimon Gapso sur la question des écoles, celui-ci avait envoyé une brochure aux résidents de la ville les mettant en garde : « Il est temps de protéger nos maisons [...] Toutes les demandes visant à apporter des caractéristiques étrangères à la ville seront refusées ».

Il expliqua qu'il avait fait ériger des drapeaux israéliens géants arborant l'étoile de David à chaque intersection entre Nazareth et Haute-Nazareth « afin que les gens sachent que [Haute-Nazareth] est une ville juive ».

La mobilisation très publique de Gapso contre une « prise de contrôle arabe » a trouvé un écho plus large en Israël, où des craintes de longue date refont surface parmi les juifs israéliens concernant le taux de croissance rapide de la population palestinienne.

D’autres villes concernées par le programme de judaïsation et se trouvant de plus en plus confrontées à la migration de citoyens palestiniens vivant dans les communautés environnantes ont tenté d'adopter des politiques similaires.

En 2010, les officiels de Karmiel, en Galilée centrale, ont mis en place une hotline pour les résidents juifs afin de les informer sur les voisins qui envisageraient de vendre des maisons aux Arabes. Certains rapports ont également fait état de patrouilles d'autodéfense dissuadant les habitants palestiniens des villages voisins de pénétrer dans la ville.

Les politiciens nationalistes qualifient régulièrement les citoyens palestiniens du pays, soit un cinquième de la population, de « bombe démographique à retardement ».

Cette minorité, qui affirme de plus en plus ses liens historiques et affectifs avec les Palestiniens des territoires occupés, a également été décrite comme un « cancer » et une « cinquième colonne ».

Le chouchou de la droite

Shimon Gapso est rapidement devenu la coqueluche des partis de droite des deux précédents gouvernements de Benjamin Netanyahou pour son franc-parler. Il a trouvé en la personne d’Uri Ariel, colon et ministre du Logement jusqu’aux élections du mois dernier, un allié particulièrement proche.

Ensemble, ils ont conçu un plan pour rétablir rapidement le rôle de judaïsation de la ville. Un nouveau quartier de 3 000 logements exclusivement réservés aux juifs est en cours de construction. Seule la population ultra-orthodoxe pourra acquérir les appartements.

La décision d'amener les juifs religieux fondamentalistes dans une ville qui est actuellement dominée par les immigrants laïques de l'ancienne Union soviétique semble avoir été guidée principalement par des considérations démographiques.

Typiquement, les ultra-orthodoxes ont de grandes familles comportant jusqu'à dix enfants. Avec 3 000 nouveaux appartements prévus dans le quartier, cela pourrait signifier l’arrivée de 30 000 nouveaux juifs, stimulant ainsi la majorité juive dans une ville qui compte actuellement seulement 50 000 habitants.

La porte-parole de la ville, Orna Yosef, a affirmé que ce nouveau quartier empêchera « les Arabes de constituer la majorité ».

Raed Ghattas, un conseiller arabe de la municipalité de Haute-Nazareth, a décrit ces politiques comme faisant partie d'un « continuum de racisme » dans la ville.

Les résidents arabes locaux craignent qu’en faisant venir des juifs religieux en si grand nombre, l'intention de la municipalité est de déclencher des tensions ethniques et religieuses, a-t-il ajouté.

A travers Israël, les communautés ultra-orthodoxes se sont affrontées avec les populations laïques, jetant des pierres sur les voitures qui circulent le jour du shabbat et s'attaquant aux femmes qu’elles considèrent comme vêtues de manière impudique.

« Objectivement parlant, cette obsession de la démographie, de tout planifier et classer en termes d’‘’arabe’’ et de ‘’juif’’ est un comportement anormal et inquiétant », a déclaré Mohammed Zeidan, directeur de l'Association pour les droits de l’homme de Nazareth.

« Cependant, dans un Etat dont l'objectif est de dominer tout ce qui n’est pas juif, c’est logique. Ainsi, les détails du quotidien, même les livres d’une bibliothèque, deviennent une fraction de votre lutte nationale », a-t-il résumé.


Traduction de l'anglais (original) par Ali Saad.

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