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Issawiya, la ville palestinienne qui résiste aux sanctions collectives d’Israël

La dernière campagne israélienne contre ce faubourg de l’agglomération de Jérusalem est l’une des plus longues et des plus violentes de son histoire récente
Un manifestant met le feu à un drapeau israélien à Issawiya au lendemain du jour où la police israélienne a abattu un jeune de la ville, Mohammad Samir Obaid (AFP)
Par Hanadi Qawasmi à ISSAWIYA, Jérusalem-Est occupée

Dans le quartier palestinien d’Issawiya, les voitures de la police israélienne ne sont pas tolérées. 

Toute trace de présence policière dans la ville dégénère rapidement en affrontements, des jeunes Palestiniens jetant des pierres et des cocktails Molotov sur les véhicules, tandis que les forces israéliennes font usage de balles réelles, de balles en acier recouvert de caoutchouc et de gaz lacrymogènes. 

Ce faubourg, qui compte plus de 15 000 habitants, est bien connu des Palestiniens comme un phare de la résistance civile à l’occupation israélienne. 

« Issawiya est l’une des zones les plus révoltées de Jérusalem », déclare Fadi Elayan, un habitant de la ville âgé de 33 ans, à Middle East Eye

« La police obéit à la logique selon laquelle si Issawiya est assujettie et que son rejet de l’occupation est réduit au silence, le reste de Jérusalem sera maté. »

« La police obéit à la logique selon laquelle si Issawiya est assujettie et que son rejet de l’occupation est réduit au silence, le reste de Jérusalem sera maté »

- Fadi Elayan, habitant d’Issawiya

L’ampleur de la détermination de la police israélienne à stigmatiser ce faubourg a été dévoilée mardi dernier quand il a été révélé que lors d’une série de télé-réalité sur la police, des agents avaient déposé un fusil M-16 dans la maison d’un habitant d’Issawiya et avaient ensuite prétendu l’y avoir découvert.

Au cours des deux derniers mois, Issawiya a été la cible d’une répression israélienne violente et perturbatrice lancée peu après l’Aïd al-Fitr, sous prétexte d’y rétablir la sécurité. 

La ville est depuis la cible d’une politique de sanction collective : plus de 250 arrestations politiques, des centaines de violations perpétrées par les forces israéliennes contre des véhicules et des magasins, des dizaines d’habitants blessés par des tirs israéliens et un cortège funèbre pour un jeune Palestinien. 

Le 27 juin, au cours d’un raid nocturne, la police israélienne a abattu Mohammad Samir Obaid, suscitant une vive colère parmi les habitants de la ville. Deux témoins oculaires ont affirmé à MEE que ce Palestinien de 20 ans ne constituait pas une menace au moment où il a été abattu.

Un jour plus tôt, les images d’un soldat recouvert de peinture rouge lancée par les jeunes de la ville avaient été largement partagées par les Palestiniens sur les réseaux sociaux. 

Répression concertée

Une telle répression n’est pas rare pour la ville ; en fait, pas une année ne passe sans de tels agissements des forces israéliennes. 

Mais selon les habitants, la dernière campagne est l’une des plus longues et des plus violentes de l’histoire récente du quartier – elle dure depuis plus de 50 jours consécutifs et a été mise en œuvre par divers organes militaires et civils israéliens. 

Les raids des forces israéliennes ressemblent à une parade organisée : quatre gros SUV arrivent dans le quartier, accompagnés de gardes-frontières et parfois d’une force à pied, les agents lancent des bombes assourdissantes dans les rues pour disperser les jeunes et semer la peur, puis procèdent à une opération humiliante et agressive de contrôle et de fouille. 

La police des frontières, les forces spéciales, la police de la circulation ainsi que les autorités municipales et fiscales israéliennes s’activent tout au long de la journée, se concentrant sur les jeunes dans la rue et les habitants rentrant chez eux après le travail. 

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Comme le reste de Jérusalem-Est, Issawiya est passée sous occupation israélienne en 1967 et est aujourd’hui limitée sur tous les fronts par les colonies israéliennes et leurs infrastructures, qui sont toutes illégales au regard du droit international. 

L’autoroute 1, située à la frontière est du faubourg, a été construite pour relier les colonies de la Cisjordanie occupée à Jérusalem et à Tel Aviv. 

Au sud, Issawiya est à cheval sur le campus de l’Université hébraïque. Au nord et à l’ouest, se trouvent les colonies de la Colline française et de Tsameret HaBira. 

La ville est soumise à des restrictions perturbatrices sous forme de barrages routiers et de fouilles arbitraires. 

« Punir la ville et ses familles »

Lorsqu’elles procèdent à des arrestations, les autorités israéliennes n’hésitent pas à recourir à la force, agressant les jeunes, enfonçant les portes des maisons avant de perquisitionner, et procédant à des fouilles violentes.

Des sources locales ont déclaré à Middle East Eye qu’au cours des deux derniers mois, pas moins de 250 jeunes hommes avaient été arrêtés par la police, principalement lors de descentes nocturnes. 

« Tout ce qui se passe est une tentative de terroriser les familles d’Issawiya – des jeunes aux personnes âgées »

- Fadi Elayyan, un habitant

La majorité d’entre eux ont été détenus pendant de courtes périodes puis relâchés, souvent sous caution et assignés à résidence pour des périodes variées, pouvant aller parfois jusqu’à une semaine. 

Au moins cinq d’entre eux sont toujours en détention, selon l’avocat Mohammad Mahmoud, qui les représente devant les tribunaux israéliens. 

Maître Mahmoud a déclaré à MEE que ces jeunes faisaient face à diverses accusations, comme la participation à des manifestations et des affrontements avec les forces israéliennes, incluant des jets de pierres et de cocktails Molotov, notamment suite à l’annonce du meurtre d’Obaid. 

Les cautions de ceux qui ont été libérés dépassent les 60 000 shekels (plus de 15 000 euros), toujours selon leur avocat. 

Mohammad Abu al-Hummos, un activiste politique d’Issawiya, estime que les mesures israéliennes sont hautement arbitraires et constituent une forme de sanction collective. 

Elles représentent le « désir de la police de l’occupation israélienne de procéder à toute perquisition ou arrestation, peu importe la raison, pour punir simplement la ville et ses familles », déclare-t-il à MEE

Un père convoqué par la police pour un bambin

Le 30 juillet, l’histoire de Mohammad Elayyan, âgé de 4 ans, est devenu virale sur les réseaux sociaux quand lui et son père ont été convoqués par la police israélienne pour un interrogatoire. 

Le grand-père du garçon, Nayef Elayan, a déclaré dans une interview que Mohammad jouait dans la rue avec d’autres enfants lorsqu’un véhicule de la police israélienne a fait irruption dans la zone. 

Plus tard dans la journée, les forces israéliennes se sont rendues au domicile de Mohammad à la recherche du garçon, affirmant qu’il leur avait jeté des pierres. 

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Quand ils se sont rendu compte qu’il avait 4 ans et qu’ils ne pouvaient pas l’arrêter, conformément à la loi, ils ont remis à son père, Rabiaa, une convocation pour le lendemain matin lui demandant d’amener Mohammad avec lui. 

Pour soutenir le père et le fils, un groupe d’habitants d’Issawiya les a accompagnés au commissariat de police de la rue Salah al-Din, la principale artère commerciale de Jérusalem-Est. 

En raison de la pression populaire croissante, les autorités israéliennes n’ont pas rencontré l’enfant, mais ont interrogé son père. 

Ce dernier a déclaré que des policiers l’avaient menacé de ne plus jamais revoir son fils si ce dernier leur jetait des pierres.

« Les enfants ne constituent pas une menace », a déclaré Fadi Elayyan, l’un des parents de Mohammad. 

« Tout ce qui se passe est une tentative de terroriser les familles d’Issawiya – des jeunes aux personnes âgées » 

Le domicile d’un homme malade perquisitionné

Un jour après le cas de Mohammad, la police israélienne a convoqué un autre Palestinien résidant à Issawiya au sujet d’actes reprochés à son fils âgé de 6 ans.

Selon l’agence de presse officielle de l’Autorité palestinienne, Wafa, Firas Obaid a reçu un mandat le convoquant dans un commissariat de police israélien pour interrogatoire au sujet de son fils Qais, accusé d’avoir tenté de jeter des pierres sur des policiers israéliens patrouillant dans la ville.

Les forces de sécurité israéliennes dans les rues d’Issawiya (AFP)
Les forces de sécurité israéliennes dans les rues d’Issawiya (AFP)

Dans une autre affaire très médiatisée il y a trois semaines, les forces israéliennes ont tenté d’arrêter Iyad Attiyah, un jeune homme de 24 ans atteint du syndrome de Williams, un trouble génétique rare pouvant entraîner des problèmes physiques et cognitifs.

Sa mère, Laila Attiyah, a déclaré à MEE que la police avait effectué une descente chez eux après minuit à la recherche de son fils. 

Iyad a été convoqué par les services de renseignement, un ordre qui n’a été annulé que lorsque les services sociaux sont intervenus, présentant des documents prouvant sa maladie. 

« Motifs ridicules »

Dans le cadre de la récente répression, la police de la circulation israélienne a été postée à chacune des entrées d’Issawiya. 

Les agents arrêtent arbitrairement les véhicules pour effectuer des inspections chronophages des voitures, des permis de conduire, des assurances et des cartes d’identité, avant d’infliger des amendes allant de 250 à 1 000 shekels (65 à 255 euros), alourdissant ainsi le fardeau économique que portent les habitants. 

D’après Mohammad Abu al-Hummos, des dizaines de cartes grises ont été révoquées en raison d’infractions présumées au code de la route pour des « motifs les plus ridicules » lors d’inspections inopinées. 

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« Dans des situations normales, de tels motifs ne conduiraient pas à des violations ou à l’annulation d’une carte grise dans des quartiers non palestiniens », affirme-t-il. 

« Il y a des véhicules qui ont seulement dépassé leur période d’immatriculation d’un mois, ce qui n’est pas illégal, mais leurs propriétaires reçoivent néanmoins des amendes. » 

Jeudi dernier, la police a intercepté un bus transportant des enfants de 8 à 12 ans en route pour sortie récréative. 

Le conducteur a été accusé d’infraction, sa carte grise a été révoquée et cinq jeunes hommes qui accompagnaient les enfants en tant que guides ont été arrêtés. 

Les magasins n’ont pas été épargnés. Les équipes de la municipalité et des services fiscaux israéliens ont effectué plusieurs perquisitions dans les magasins, notamment sur la route principale, et procédé à des inspections des autorisations, des équipements et des acquittements de taxes. 

En réaction, les propriétaires de magasins ont tenté d’éviter de générer davantage d’infractions fiscales en fermant leurs magasins et en ne les ouvrant qu’après le départ de la police. 

En conséquence, l’activité sur le marché commercial de la ville s’est fortement ralentie. 

Message de résistance

Interrogées sur les motifs de la répression israélienne, les familles d’Issawiya ont souligné la position adoptée depuis longtemps par le quartier contre l’occupation.

La ville est l’une des plus connues à Jérusalem pour ses ripostes aux agressions des forces israéliennes, et les actions de ses citoyens ne se limitent pas à rejeter les mesures prises par Israël au nom de la sécurité.

Les familles d’Issawiya refusent également la présence d’institutions « civiles » israéliennes, telles qu’un centre communautaire financé par le gouvernement dans la ville. 

À plusieurs reprises, des jeunes d’Issawiya ont incendié le centre communautaire, notamment, la dernière fois, après l’assassinat d’Obaid, pour envoyer un message de résistance à Israël. 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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