La production de miel à Gaza mise à mal par les politiques israéliennes
Un propriétaire de rucher et son fils travaillaient sur leurs ruches dans un champ proche de la frontière est de la bande de Gaza lorsqu'un tank israélien s'est mis à bombarder des zones inhabitées de l'enclave côtière.
Mohamed Ridwan ignorait qu'il s'agissait du début d'une offensive israélienne de cinquante-et-un jours et qu'un tiers de son rucher serait touché. Il interrompit son travail et prit la fuite avec son fils de crainte d'être blessé.
« Nous avons laissé plusieurs ruches ouvertes, raconte Ridwan. Je ne pensais pas que l'attaque durerait longtemps et qu'elle se poursuivrait pendant cinquante-et-un jours. J'ai cru qu'il s'agissait seulement d'une vague d'attaques qui prendrait fin au bout de quelques heures et que je pourrais alors retourner au champ pour terminer mon travail. »
Ridwan a 43 ans mais les rides marquées sur son front et ses mouvements laborieux le font paraître dix ans plus vieux. Il explique avoir choisi d'installer son rucher à côté de la zone tampon imposée par Israël à la frontière est de Gaza à cause de l'importante pénurie d'arbres, en particulier des Citrus, dont les fleurs sont nécessaires aux abeilles pour produire leur miel, ailleurs dans la bande de Gaza.
« Les abeilles volent jusqu'à l'intérieur de la Palestine occupée [Israël], vers les milliers de Citrus qui se trouvent dans les localités proches de Gaza, indique Ridwan. Là-bas, elles récupèrent assez de nectar pour produire du miel pur. »
Israël a rasé des milliers de Citrus
Les apiculteurs comme Ridwan sont exposés à de nombreux dangers dans la bande de Gaza. Un spécialiste au ministère de l'Agriculture, Jamal Abu Swairih, explique à Middle East Eye que les problèmes rencontrés par les apiculteurs pour accéder aux fleurs et au nectar les poussent à installer leurs ruchers dans des zones éloignées et souvent dangereuses. Beaucoup travaillent près de la zone tampon, où ils subissent régulièrement des tirs israéliens.
« De cette façon, les abeilles peuvent voler sur plusieurs kilomètres à l'intérieur [d'Israël] et récolter le nectar de milliers de Citrus. » Avant 2000, il y avait de nombreux arbres à Gaza et ils suffisaient à la production de grandes quantités de miel, mais l'occupation israélienne en a ravagé des milliers.
Abu Swairih précise que la destruction des terres par les militaires israéliens n'explique pas à elle seule la disparition des Citrus ; la salinité de l'eau souterraine utilisée par les agriculteurs de Gaza pour irriguer leurs plantations est également en cause.
« Les agriculteurs israéliens forent des puits bien plus profonds que ceux faits à Gaza, dit-il. Par conséquent, l'eau souterraine pure reflue vers Israël tandis que l'eau salée souterraine située sous la Méditerranée afflue à son tour vers les puits palestiniens. Cela tue les arbres du genre Citrus qui ont besoin d'eau pure à faible taux de salinité.
Ratib Sammour, chef du syndicat des apiculteurs à Gaza, raconte à MEE qu'« avant 2000, chaque ruche produisait jusqu'à 30 kg de miel par an mais que la production a fortement baissé dû au manque important d'arbres suite aux mesures punitives d'Israël envers la bande de Gaza. »
Sammour dit également que les trois offensives récentes subies par la bande de Gaza depuis 2008 « ont bouleversé la production de miel à cause des lourds dommages qu'ont subis les ruchers. »
D'après Abu Swairih, « plus de 15 000 ruches ont été dégradées uniquement lors de l'offensive de l'été dernier, la plupart d'entre elles étaient situées dans les zones au sud de la bande de Gaza, notamment aux environs de Khuzaa. »
L'impact du siège sur les abeilles
Avant 2000, les apiculteurs de la bande de Gaza produisaient plus de 500 tonnes de miel pur par an, d'après Sammour.
Environ 450 familles vivaient de l'apiculture. Mais aujourd'hui, Gaza ne produit plus que 150 à 170 tonnes de miel par an. Par conséquent, le nombre de familles pouvant vivre de l'apiculture est passé à 150, selon Abu Swairih.
Hassan Abdullah, un apiculteur âgé de 27 ans, rapporte que son père importait des reines italiennes pour ses ruches car leur présence est l'un des facteurs clés d'une « production de miel abondante ». Abdullah, qui possédait 50 ruches, informe MEE qu'il n'a pas pu importer de reine italienne depuis l'instauration du blocus de la bande de Gaza par Israël en 2007.
Abdullah et Ridwan se plaignent de la pénurie de médicaments et d'antibiotiques dont ils ont besoin « en urgence » pour préserver les ruches en bonne santé et empêcher les épidémies chez les abeilles.
Sammour confirme que les reines italiennes soutenaient la production par le passé. « Les reines italiennes incitent les abeilles ouvrières à produire plus de miel, explique-t-il. Cependant, elles doivent être fertilisées par un mâle issu d'une bonne dynastie, autrement il n'y aurait aucune différence entre une reine italienne et une autre reine. »
Production et prolifération ébranlées par les guerres
Les apiculteurs des environs de Khuzaa, un village situé à l'est de la ville de Khan Younis au sud de Gaza, affirment avoir perdu environ 10 000 ruches à eux seuls au cours de la dernière offensive israélienne contre Gaza.
Khuzaa est l'une des zones ayant subi les plus gros dégâts durant l'offensive de cet été ; des centaines de civils ont été tués. Des milliers de kilomètres carrés de terres agricoles, où se trouvaient notamment d'anciens arbres fruitiers, des granges abritant des animaux ou de la volaille ainsi que des ruches, ont été détruits.
Abdullah, dont le rucher se trouve à l'est de Beit Hanoun au nord de la bande de Gaza, a perdu une trentaine de ruches lors de la dernière offensive. Il en avait également perdu une douzaine lors des offensives de 2008-2009 et 2012. « Comme je vous le disais, nous ne pouvons pas installer nos ruches dans des zones plus sûres à cause du type d'arbres et de fleurs nécessaire à la production de miel », explique-t-il à MEE.
Il espère avoir 50 à 70 ruches supplémentaires cette année mais la guerre et la prévalence de la varroose, une maladie provoquée par un acarien parasite externe qui tue les abeilles à miel, ont causé des « pertes importantes et inattendues ».
« La varroose détruit au moins 30 % des ruches, ajoute-t-il. C'est un problème d'ordre mondial mais l'on dispose d'antibiotiques à l'étranger. »
Des solutions inefficaces
Ridwan raconte que lui et d'autres apiculteurs essaient de maintenir la prolifération des reines italiennes mais qu'aucune de leurs tentatives n'a été fructueuse jusqu'à présent.
Abu Swairih et Sammour expliquent que certains ont tenté de trouver des solutions aux problèmes rencontrés par les apiculteurs de la bande de Gaza mais qu'aucune ne s'est avérée satisfaisante à ce jour.
Cependant, Sammour travaille sur un « brumisateur » permettant de stériliser les ruches. « Cela permettrait de réduire de 70 % les épidémies chez les abeilles. Si cette machine fonctionnait, ce serait une avancée majeure dans le secteur de l'apiculture. »
Comme de nombreux autres biens, le miel reste un produit rare dans la bande de Gaza. Tout le miel produit à Gaza ne reste pas en rayon plus d'un mois.
Les commerçants de Gaza avaient pris l’habitude d’importer du miel égyptien pour répondre à la demande des Palestiniens à Gaza mais depuis la destruction de presque tous les tunnels de contrebande qui passaient sous la frontière entre l'Égypte et Gaza, le miel égyptien a disparu des rayons.
Les apiculteurs à Gaza commencent la récolte du miel en avril et terminent en mai. Chaque ruche produit actuellement jusqu'à 10 kg de miel. Un kilo de miel vaut 15 dollars et la demande reste élevée.
Traduction de l'anglais (original).
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