La Saint-Valentin ? De plus en plus de Tunisiens préfèrent rester célibataires !
TUNIS – « Pour la plupart des jeunes que je côtoie, l’obligation de se marier est souvent un facteur de stress, car même s’ils sont en phase avec leur temps et le monde, à la fin de la journée, ils retournent dans un foyer où les mentalité ont peu changé. »
Lotfi Saibi est PDG de l’entreprise 4D Leadership house qui forme des jeunes aux notions de leadership et de savoirs comportementaux. Il constate que la pression mise sur les jeunes pour qu’ils se marient afin de pouvoir vivre en couple entrave leur épanouissement.
« Cela se répercute souvent sur leur travail. Ces jeunes manquent de concentration car même quand ils veulent vivre leur vie, ils doivent respecter le chemin tracé par leurs parents, qui finit souvent avec le mariage. Ils se sentent souvent coupables ou redevables vis-à-vis de leur famille, et cela, même s’ils réussissent leur vie professionnelle », ajoute-t-il.
En Tunisie, 40 % des hommes et 30 % des femmes sont célibataires
Selon le dernier recensement de l’Institut national de la statistique (INS), près de 40 % des hommes et 30 % des femmes sont célibataires, soit à peu près un Tunisien sur deux. Le phénomène n’est pas propre à la Tunisie : en Algérie ou en Iran, le célibat augmente aussi de plus en plus, tout comme au Maroc où 60 % des femmes sont célibataires.
Par ailleurs, les Tunisien(ne)s se marient de plus en plus tard, essentiellement pour des raisons socio-professionnelles. Pour l’Office national de la famille et de la population (ONFP), qui a mené des études sur le sujet, le célibat est parfois aussi lié à la détérioration de l’image du couple, liée à l’augmentation du taux de divorces, ou à la cherté de la vie. Et depuis la révolution, les sociologues relèvent aussi des enjeux liés à des revendications identitaires.
Dans un livre paru en 2017, Le célibat des hommes cadres en Tunisie, la sociologue Raoudha el-Guedri s’interroge, au-delà des questions socioéconomiques, sur les nouveaux processus d’individualisation menant au célibat tardif : les 21 personnes sondées ont souvent un statut professionnel et une stabilité économique qui pourrait leur permettre de se marier. Ils ont entre 35 et 49 ans et entrent dans ce qu’elle qualifie un « célibat tardif ou définitif ».
Dans sa conclusion, l’auteur montre que le célibat, même quand il est choisi, reste difficile à assumer dans une société où le mariage est la norme.
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Alors que les cadres interrogés disent souhaiter davantage d’indépendance, et ont une vision de la femme et de la sexualité parfois conservatrice, les femmes avouent mal vivre leur célibat tardif, en raison de la stigmatisation renvoyée par l’entourage. Un phénomène qui touche également les mères célibataires, souvent rejetées par la société.
Pour la jeune génération pourtant, le célibat est perçu comme une liberté ou une volonté de s’affranchir des normes sociales imposées par la famille et l’entourage. Il est aussi considéré comme une manière pragmatique d’attendre pour s’engager face à la précarité économique.
Pression culturelle
Dans certaines familles, selon la coutume, le prétendant au mariage doit avoir un travail stable, une voiture, parfois même avoir déjà construit une maison. Mais pour de nombreux jeunes actifs (20-35 ans), ce genre de pression n’est pas compatible avec la notion d’amour ou d’engagement.
Amine Aoun, 31 ans, superviseur dans une société de télécoms au sud de la Tunisie, en a fait l’expérience. Il est le dernier célibataire d’une famille de six enfants et affirme vouloir prendre son temps.
« J’ai quitté la maison de mes parents pour avoir mon indépendance. Mais dans la famille élargie, on me pose sans arrêt des questions, de manière très intrusive »
- Hazar Abidi, 31 ans, chroniqueuse radio
« La pression économique est très forte, car il arrive que l’épouse compare avec d’autres femmes ce que son mari possède ou pas. Et puis la famille fait aussi pression, parce que le mariage est un passage obligé. »
Amine confie que le mariage n’est pas envisageable tant que sa vie professionnelle ne sera pas assise. « Je voudrais peut-être continuer ma carrière à Tunis ou au Canada. Cela implique qu’un jour, je quitterai le foyer familial pour de nouvelles responsabilités, et je veux pouvoir le faire librement », argumente-t-il.
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Pour d’autres, le mariage est une pression plutôt « culturelle ». Hazar Abidi, 31 ans, chroniqueuse radio, raconte : « J’ai quitté la maison de mes parents pour avoir mon indépendance et mon chez moi. Ce n’est pas toujours facile en tant que femme, mais j’ai la chance d’avoir une famille qui n’est pas trop exigeante sur cette question. Mais dans la famille élargie, on me pose sans arrêt des questions, de manière très intrusive. Même les chauffeurs de taxi me demandent parfois si je suis mariée ! »
Dans le dialecte tunisien, les phrases récurrentes – « Quand sera-t-on heureux pour toi ? » ou « Y-a-t-il quelque chose ? (sous-entendu : y a-t-il quelqu’un dans ta vie ? » ou encore « Ne sois pas en retard pour prendre le train ! (comprendre : ne rate pas le coche) » – évoquent toutes un empressement vers le mariage et la fondation d’une famille.
« Je suis tombée sur des hommes qui, au début, se disent ouverts, mais se montrent assez rapidement machistes »
- Azza Ammar, 33 ans, professeur d’éducation physique
Malgré la pression sociale, ils sont nombreux à vouloir trouver l’âme sœur, refusant de se marier juste pour le statut social.
« J’ai eu trois relations sérieuses et cela n’a pas marché car je suis tombée sur des hommes qui, au début, se disent ouverts, mais se montrent assez rapidement machistes. J’ai même failli me marier très jeune. Heureusement, j’ai appris à m’interroger sur ce que je voulais vraiment, et c’est avant tout trouver la bonne personne, même si ma grande famille me reproche souvent d’être ‘’trop exigeante’’, témoigne Azza Ammar, 33 ans, professeur d’éducation physique.
En Tunisie, un mariage de la classe moyenne peut coûter de 10 000 dinars (3 300 euros) à 40 000 dinars (13 000 euros)
« S’il n’y a pas vraiment de différence avec les nouvelles générations, c’est-à-dire que les filles font des études et une carrière et ont toujours pour objectif de se marier, je pense que ma génération assume aussi de prendre son temps », relève-t-elle. Azza revendique aussi de ne pas avoir envie de faire un « grand mariage ». « Je suis contre l’idée d’un mariage où l’on dépense tout pour le paraître. J’aimerais juste une simple cérémonie avec la personne que j’aime. »
En Tunisie, un mariage de la classe moyenne peut coûter de 10 000 dinars (3 300 euros) à 40 000 dinars (13 000 euros). Un budget très lourd pour les jeunes, frappés par un chômage très élevé (30 %), une précarité et une instabilité de l’emploi qui n’était pas celle de leurs parents.
Le choix du célibat
Mahmoud, 30 ans, musicien et auteur-compositeur, admet préférer les relations libres et sans attaches. « Je ne supporte pas l’idée de suivre une norme sociale et un système où tu ne peux pas être vraiment libre. Il y a toujours une pression de la famille pour se marier mais les jeunes tentent désormais de trouver un compromis entre ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils veulent faire », note-t-il.
Ghada, 31 ans, chef de projet dans une ONG, a aussi fait le choix de ne pas s’engager dans des relations sérieuses. « Ce n’est pas vraiment compliqué de trouver quelqu’un, mais c’est plutôt le contrat moral pour lequel on s’engage dès que ça devient sérieux qui me déplaît. Je n’aime pas l’engagement qui impose des règles et je ne crois pas que l’amour soit quelque chose d’éternel », tranche-t-elle.
« Les femmes comme les hommes ont du mal à assumer une sexualité avant le mariage »
- Youssef ben Haddada, 21 ans, étudiant aux Beaux-Arts de Tunis
Ghada doit gérer la pression habituelle de la famille, mais aussi celle de ses amis. « Même s’ils ne me jugent pas, les amis mettent aussi indirectement la pression, ne pas être ‘’casée’’, ce n’est pas normal. Notre génération a pourtant plus de libertés, en particulier à Tunis, en milieu urbain, où nous vivons de manière plus anonyme que dans certaines régions. »
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Pour Youssef ben Haddada, étudiant de 21 ans aux Beaux-Arts de Tunis, le choix du célibat est dû aussi à des problèmes de communication liés aux tabous de la société tunisienne.
« Dès que l’on parle d’intimité ou d’affection, les femmes se méfient, il y a un problème de confiance », relève-t-il. « Les femmes comme les hommes ont du mal à assumer une sexualité avant le mariage et on préfère toujours parler d’engagement avant de parler d’amour ou d’expérience. »
Une inégalité de genre qui persiste
La sexualité et les rapports en dehors du mariage reste encore tabous en Tunisie, malgré l’évolution des mœurs. Les personnes rencontrées par MEE, pour la plupart, disent ne pas avoir de problème à avoir une relation intime en dehors du mariage, ou ne pas être opposé à l’idée du concubinage.
Mais dans la société en général, le tabou persiste. En 2012 par exemple, la psychologue Nédra ben Smaïl s’interrogeait dans un livre sur la virginité des Tunisiennes et le phénomène de « revirgination » à savoir la réparation chirurgicale de l’hymen.
Et elle s’interrogeait sur la question de savoir si cette pratique représentait une émancipation ou non, dans la mesure où elle devenait un moyen pour les femmes de vivre librement leur vie sexuelle et ensuite de se plier à des critères sociaux pour trouver plus facilement un mari.
À en croire l’étude de la sociologue Raoudha El-Guedri l’homme à la recherche d’une épouse, quel que soit le statut socio-économique ou le niveau d’instruction, n’a pas vraiment évolué : il fantasme toujours sur le même idéal, celui d’une femme chaste et vierge.
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