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La tragique histoire de Redouane, réfugié yéménite

Redouane, 28 ans, est un visage de la guerre au Yémen, qui selon un nouveau bilan de l'ONU, a fait plus de 7 000 morts et près de 37 000 blessés. MEE l'a rencontré en Algérie où, impuissant, il tremble pour sa famille et son pays
Redouane, 28 ans, était journaliste à Sanaa (MEE)
Par MEE

ALGER - Dans les médias, il n’est jamais questions de son village, Hajjah, au cœur des montagnes yéménites, à presque trois heures de route au nord-ouest de Sanaa, la capitale. Pourtant, comme le relève Redouane, un journaliste yéménite de 28 ans, « à l’image de nombreux autres villages du pays, la situation de Hajjah ressemble étrangement à celle d’Alep, en Syrie ».

« Occupé par les rebelles houthis qui empêchent l’accès à l’aide humanitaire et contrôlent les entrées et les sorties du village, bombardé quasiment tous les jours par les avions de la coalition menée par l’Arabie saoudite, il est complètement assiégé », raconte-t-il.

Le temps où, avec son père, ses frères et ses sœurs, le jeune homme vivait tranquille dans son village, est révolu. En novembre, le Yémen est entré dans son vingtième mois de conflit qui, selon l'ONU, a fait plus de 7 000 mort et près de 37 000 blessés.

« Les affrontements entre les sunnites [comme la famille de Redouane] et les Houthis [rebelles chiites soutenus par l’Iran] ont commencé il y a plus de six ans. Ils ont doucement grignoté du terrain », se souvient-il. Au moment où Ali Abdallah Saleh, l’ancien président du Yémen, s’enfuit en Arabie saoudite, en juin 2011, Redouane décide de partir.

« J’avais le choix entre la Jordanie et l’Algérie, qui à ce moment-là, ne demandaient pas de visa. Comme j’ai entendu dire que les Yéménites étaient maltraités dans les aéroports en Jordanie, j’ai choisi l’Algérie. »

Une semaine avant son départ, la situation dégénère. Son frère, Merouane, 19 ans, est embrigadé par les Houthis pour se battre à leurs côtés. « Il s’est échappé mais les Houthis l’ont rattrapé. Il a tout fait pour que je puisse partir. Il a vendu ses armes pour que je puisse acheter un passeport. »

Aujourd’hui, Redouane, 28 ans, vit en Algérie. Ou plutôt, comme il dit, il « survit ». Loin des siens et avec un statut de réfugié politique accordé par le HCR que les autorités algériennes ne reconnaissent pas. Alors le jeune homme ne peut pas travailler. Pour pourvoir manger, il fait de petits travaux chez un ébéniste. Le soir, il rentre chez lui où l’attendent sa femme, une Algérienne, et son bébé. Tous les trois vivent dans une cave qu’ils payent 15 000 DA (127 euros) par mois. Lui, le journaliste. « Cette situation est difficile, bien sûr. Mais quand je pense aux miens, c’est encore pire. »

La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a envoyé des chars, des troupes et du matériel pour lutter contre les Houthis (AFP)

Dès qu’il en a la possibilité, il appelle sa sœur pour avoir des nouvelles de la famille. Redouane s’inquiète surtout pour son père, un ex-militaire du gouvernement yéménite qui est régulièrement menacé par les rebelles. « Quand ils sont arrivés dans notre village, ils ont essayé de convertir tout le monde. Mon père est connu pour être un opposant alors ils le harcèlent. Ils l’ont déjà agressé. »

Mais pire que la menace des rebelles, il y a la faim. « La région où se trouve mon village, autrefois exploitée par les agriculteurs et les éleveurs, est une des plus touchées par la famine. Les habitants n’ont rien à manger à part de la semoule, poursuit-il. Je connais des enfants en bas âge et des femmes qui sont morts de faim. »

Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) de juin 2016 relève que 14 millions de personnes au Yémen souffrent d'insécurité alimentaire, dont 7 millions d'insécurité alimentaire sévère. Dans certains gouvernorats, 70 % de la population lutte pour se nourrir. Les enfants sont particulièrement touchés.

Jens Laerke, un porte-parole du bureau humanitaire des Nations unies (OCHA), a déclaré à MEE que de nombreuses régions du Yémen sont désormais officiellement reconnues comme étant dans un état de « pré-famine » et que le nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire dans le pays avait augmenté de 20 % depuis juin 2015.

Alawi Mohsen, 18 mois, est resté hospitalisé six semaines pour malnutrition (MEE/Azzam al-Zubairi)

Redouane a aussi vu des amis se faire tuer. Ou encore un kamikaze se faire exploser. Et puis, il a fait de la prison. « En 2006, dès qu’une ville tombait aux mains des Houthis, j’étais sur les lieux pour couvrir les événements. Ils m’ont embarqué et m’ont laissé deux semaines en cellule. »

Les jours où Redouane déprime, il essaie de penser à l’avenir. Mais cela ne le rend pas plus optimiste. « Je ne sais pas si un jour je pourrai rentrer chez moi. En tout cas, si les Houthis gagnent cette guerre, je ne pourrai plus être journaliste car avant de partir, ils m’ont obligé à signer un document dans lequel je me suis engagé à ne plus travailler dans les médias. »

D’un éventuel plan de paix, Redouane n’attend rien. Selon lui, il ne pourra être décidé que par l’Arabie saoudite ou l’Iran car « le président Abd Rabbo Mansour Hadi n’est qu’une marionnette ». Le 15 novembre, le secrétaire d'État américain John Kerry a annoncé une nouvelle initiative de paix impliquant un cessez-le-feu à partir du jeudi 17 novembre et un nouveau gouvernement d'union nationale avant la fin de l'année, proposition aussitôt rejetée par le gouvernement.

Alors Redouane envisage de gagner Londres, où il sait que la communauté yéménite est plus importante. « J’aimerais bien essayer de réunir des opposants mais nous ne sommes pas comme les Syriens, notre opposition n’est pas aussi puissante, elle est trop désorganisée. » 

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