La Tunisie se rêve en futur eldorado de la santé
TUNIS – Aïcha* fait défiler ses publications Facebook sur son téléphone pour exhiber fièrement les photos prises à Carthage, Sidi Bou Saïd et dans la médina de Tunis. « Ce que j'ai préféré ? Carthage ! J'ai découvert cette civilisation et les lieux, c'est magnifique. » La Burkinabaise en oublierait presque l'objectif de son séjour en Tunisie : une opération pour soigner un décollement de la rétine.
À une dizaine de kilomètres de là, dans son bureau au ministère de la Santé, Nadia Fenina a pour objectif de multiplier les expériences comme celle d'Aïcha : « C'est une priorité du gouvernement », assure-t-elle à Middle East Eye.
La responsable de l'unité d'exportation des services de santé participe à l'organisation du cinquième salon Tunisia Health Expo, qui débute ce mercredi jusqu’au 10 mars dans la capitale tunisienne. Avec une nouveauté cette année : ce salon est jumelé, les 8 et 9 mars, avec le premier congrès sur le tourisme médical.
« Les Libyens sont nos premiers clients. Pendant longtemps, ils représentaient 80 % de notre clientèle étrangère »
- Boubaker Zakhama, président de la chambre syndicale des établissements sanitaires privés
« L'objectif est double. D'abord, montrer le potentiel de la Tunisie en termes d'infrastructure et de bien-être. Ensuite, informer les professionnels sur les stratégies de développement et le fonctionnement chez les leaders du marché comme la Malaisie ou l'Espagne... », explique Slah Taboubi, directeur du salon, à MEE.
Bref, « Tunisie destination santé » est le credo de ces événements. Les atouts du pays sont nombreux : une centaine de cliniques privées avec des équipements de pointe, une formation des personnels soignants réputée, l'absence de délais d'attente, des coûts moindres, des infrastructures touristiques déjà existantes...
En 2014, selon la dernière étude sur le tourisme médical en Tunisie, la jeune démocratie accueillait, chaque année, 400 000 patients étrangers pour des hospitalisations. À ceux-là, s'ajoutent 1,2 million de personnes venues pour des consultations ambulatoires.
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« Les Libyens sont nos premiers clients. Pendant longtemps, ils représentaient 80 % de notre clientèle étrangère. Depuis 2013-2014 et les difficultés économiques du pays, leur pourcentage a diminué à 40 ou 50 % », précise à MEE Boubaker Zakhama, président de la chambre syndicale des établissements sanitaires privés. « Mais nous avons compensé cette baisse avec l'augmentation des Algériens notamment. »
Le PDG de la clinique Carthagène estime ainsi que 40 % des patients reçus dans les établissements privés sont étrangers, avec des besoins différents selon leur nationalité.
Ghazi Mejbri, directeur général de Smedi-service médical International, une entreprise tunisienne qui offre des services de santé aux étrangers en Tunisie, note ainsi : « Les Européens viennent en Tunisie pour les soins de confort qui sont mal remboursés dans leur pays. Cela peut être de la chirurgie esthétique, de l'implantologie dentaire, des Procréations médicalement assistées (PMA) qui coûtent moins cher ici. Les Africains, eux, viennent pour des pathologies plus lourdes, car ils manquent d'infrastructures dans leur pays. »
« Je ne me suis pas ennuyée ! »
C'est le cas notamment d'Aïcha, cliente de Smedi. « Chez nous, il n'y a pas le matériel pour ce genre d'opération. Dès que j'ai été diagnostiquée, on m'a parlé de la Tunisie. On m'a dit que c'était le lieu le plus adapté pour ce problème », explique la mère de famille.
Cette fonctionnaire burkinabaise est arrivée le 22 février à Tunis. Dès le lendemain, elle était opérée pour son décollement de la rétine. Grâce à son assurance privée et à l'entreprise tunisienne, elle a profité d'une prise en charge complète. Après son opération, Aïcha a été installée dans une villa de Menzah 5 (au nord de Tunis), transformée en résidence médicalisée pouvant accueillir sept patients, où nous l'avons rencontrée.
Accompagnée quotidiennement par une aide-soignante, elle a vu un médecin deux fois par semaine. Avant son retour au pays, prévu le 6 mars, elle a pu faire quelques visites touristiques avec un animateur de la société. « Je ne me suis pas ennuyée ! », assure-t-elle dans le salon de la villa où elle s'est installée à la veille de son retour pour profiter du wi-fi.
Au même étage, la situation de Fatimatou* semble moins légère. Elle regarde TV5 Monde dans son lit. À côté, la présence d'un fauteuil roulant montre la fragilité physique de l'Ivoirienne, arrivée le 15 novembre pour traiter un problème à la vessie.
« Je pleurais beaucoup, je ne voulais pas me faire opérer. Mais le chirurgien s'est montré rassurant et le personnel autour de moi a été très patient. Mon mari est venu me voir la semaine dernière, il ne m'a pas reconnu tellement j'étais mal en point quand je suis partie. »
Si la Tunisie séduit comme destination de santé, elle a cependant encore du travail devant elle. Depuis février, les étudiants et les résidents (équivalent des internes) en médecine protestent contre leurs conditions de travail. Le mouvement 76 – symbolisant sept ans de revendications non-satisfaites et six ministres de la Santé qui se sont succédés depuis 2012 – exige l'adoption d'un statut légal des internes. Jusqu'à présent, leur travail n'est pas réglementé.
« Alors qu'un Européen peut trouver des billets vers la Tunisie à 150 euros, un Africain payera dans les 700 euros. C'est plus que le prix de l'implant dentaire »
- Ghazi Mejbri, directeur général de Smedi-service médical International
Boubaker Zakhama estime leurs revendications justes et s'inquiète d'une « fuite des médecins » : « Mille spécialistes sont partis à l'étrangers l'année dernière. »
Ghazi Mejbri espère une évolution nette dans le domaine du transport. Comme la plupart des professionnels du secteur, il note que chaque ouverture de ligne aérienne directe entre la Tunisie et un autre pays africain permet d'attirer une nouvelle clientèle. À ce titre, la ligne Tunis-Khartoum est attendue avec impatience.
Le Soudan est d'ailleurs l'invité d'honneur du congrès sur le tourisme médical cette semaine. Mais le coût de ces vols compte également. « Alors qu'un Européen peut trouver des billets vers la Tunisie à 150 euros, un Africain payera dans les 700 euros. C'est plus que le prix de l'implant dentaire » remarque le fondateur de Smedi.
Boubaker Zakhama, lui, insiste sur l'importance des certifications des établissements de santé : « L'Instance nationale de l'accréditation en santé [INAS, créée par un décret de 2012] vient tout juste de commencer son travail. À l'heure actuelle, aucun établissement n'est accrédité. Une trentaine de dossiers sont en cours d'étude. C'est important de commencer les certifications. C'est un gage de sérieux et de qualité. »
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Autre point faible de la Tunisie : son déficit en communication. Le président de la chambre syndicale des établissement privés l’affirme : « Si on veut que le secteur se développe, il faut une meilleure visibilité. »
Au ministère de la Santé, Nadia Fenina ne dit pas le contraire : « Nous avons lancé une étude en janvier sur la stratégie de communication. Nous devrions avoir, d'ici quelques mois, ses conclusions concernant l'éventuelle création d'une agence de promotion. »
Une autre étude est également en cours concernant l'organisation et la coordination entre les différents services.
« Aujourd’hui, l'exportation des services de santé touchent plusieurs ministères : le tourisme, la santé, l'industrie pour les produits pharmaceutiques, l'emploi... Mais personne ne sait vraiment ce que l'autre fait. Selon les résultats de cette seconde étude, nous envisagerons de créer une instance unique », explique Nadia Fenina.
Cette instance pourrait être chargée de la promotion du tourisme médical en Tunisie. Mais ses missions pourraient être bien plus larges. Ainsi le ministère de la Santé tunisien s'intéresse au développement de l'exportation des produits pharmaceutiques, aux formations du personnel étranger et au développement des infrastructures en Afrique.
« C'est une relation gagnant-gagnant », estime Nadia Fenina. « Les pays partenaires se développent, nous on améliore l'image de notre pays et on augmente les échanges. » Smedi et la clinique Carthagène l'ont bien compris. Les deux sociétés ont déjà plusieurs projets d'investissement en Afrique.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des patientes.
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