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L’accord de Hama met l’accent sur les prisons syriennes avant les négociations

Une manifestation dans la prison de Hama s’est terminée par des concessions sans précédent de la part du gouvernement syrien. Mais est-ce un signe de la politique future ou une tactique dilatoire ?
La manifestation dans la prison de Hama a abouti à des concessions du gouvernement syrien (via le service de presse de Hama)

Un accord potentiellement sans précédent (comportant notamment la libération de prisonniers) a mis fin – provisoirement – à une semaine de confrontation tendue entre le gouvernement syrien et 800 prisonniers surtout politiques à la prison centrale de Hama, selon les groupes de défense des droits de l’homme.

Alors que les militants préviennent que les tensions s’accroissent dans la prison, certains espèrent que Hama pourrait fournir un point de ralliement bien nécessaire autour de la question des prisonniers politiques dans les prochaines négociations de paix syriennes.

Les détenus de la prison civile de Hama ont déclenché une émeute, le 1er mai, supposément pour protester contre la tentative de transfert de cinq détenus vers la célèbre prison militaire de Sednaya, où ils auraient été exécutés.

Les détenus ont pris le contrôle de plusieurs zones de la prison de Hama, capturant quelques officiers au passage.

Beaucoup craignaient qu’un raid de sécurité visant à reprendre le contrôle de la prison n’entraîne des pertes massives. Toutefois, il semblerait qu’un accord convenu par les représentants des détenus et les ministères de la Justice et de l’Intérieur syriens ait précipité plusieurs concessions sans précédent du gouvernement en échange de la fin de l’agitation.

Elles comprenaient la restauration de l’eau, de l’énergie et de la nourriture aux détenus, ainsi que la libération de tous les prisonniers accusés de terrorisme.

Hadeel al-Shalchi, chercheur sur la Syrie auprès de Human Rights Watch (HRW) à Beyrouth, a déclaré à Middle East Eye que cet accord était un territoire relativement inexploré pour l’appareil de sécurité syrien.

« Depuis quand le gouvernement écoute-t-il les demandes des prisonniers – surtout s’ils s’engagent dans une sorte de bras de fer ? », a demandé Shalchi, exprimant sa surprise face au fait que le gouvernement syrien se soit montré « conciliant » au cours des négociations.

« C’est la première fois qu’on entend vraiment parler de ce qui se passe », a ajouté Shalchi.

Lundi 9 mai, une déclaration du ministère de l’Intérieur, accompagnée d’une photo du ministre de l’Intérieur Mohamed al-Shaar parlant aux détenus, a semblé confirmer l’accord. Ceci, après qu’une source du ministère avait déclaré à l’agence de presse officielle SANA au début de l’impasse qu’il n’y avait « rien de vrai » concernant les rapports de « chaos » à l’intérieur de la prison.

Le ministère était indisponible pour commenter ces développements.

Cependant, les militants syriens préviennent désormais que l’accord montre des signes d’effondrement, au milieu des rumeurs selon lesquelles le gouvernement ne libère pas les prisonniers comme promis – HRW et des militants indépendants citant des chiffres contradictoires suggérant qu’entre 20 et 50 détenus de Hama auraient été libérés. Il n’a pas été possible de vérifier de manière indépendante ces revendications.

Dans le même temps, les détenus de Hama ont recentré l’attention sur les dizaines de milliers de prisonniers politiques qui ont été « portés disparu » ou emprisonnés depuis 2011, après des semaines de gros titres sur les frappes aériennes du gouvernement à Alep, les représailles des rebelles et les autres grands récits sur le champ de bataille de Syrie.

En effet, cette information survient alors que les négociateurs de l’opposition se préparent à mettre la question des prisonniers au premier plan des négociations syriennes qui devraient reprendre à Genève ce mois-ci.

65 000 personnes arrêtées depuis le soulèvement

Amnesty International, citant des chiffres du groupe de suivi Syria Network for Human Rights (SNHR), a déclaré l’année dernière que le gouvernement syrien avait fait disparaître et arrêté au moins 65 000 personnes – dont 58 148 civils – depuis les soulèvements de 2011.

Amnesty a fait valoir que les disparitions forcées, perpétrées par le gouvernement syrien, ses alliés et plusieurs branches de l’appareil de sécurité, ont été « commises dans le cadre d’une attaque organisée contre la population civile qui a été généralisée et systématique, et s’apparentent donc à des crimes contre l’humanité ».

Le nombre de civils et de combattants pro-Assad détenus par l’opposition reste inconnu en raison des difficultés à obtenir des chiffres précis. Il y a néanmoins eu plusieurs allégations d’atrocités commises dans les prisons tenues par les rebelles.

Le célèbre militant syrien pour les droits de l’homme Mazen Darwish, président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression, a été détenu en Syrie pendant trois ans à partir de septembre 2012, notamment plusieurs mois à Hama.

Parlant à MEE depuis Bruxelles, Darwish a déclaré que le bras de fer à Hama était dû en partie « à l’échec de la communauté internationale et des Nations unies, ainsi que celui du processus politique, à faire avancer la question des détenus ».

« Le recours continuel aux exécutions arbitraires a donné lieu à l’explosion de la situation que nous avons vue la semaine dernière », a-t-il estimé.

« Mais nous ne voulons pas que la question des prisonniers se résume à Hama », a poursuivi Darwish, en faisant valoir que, jusqu’à présent, il y avait eu peu de discussions sur les prisonniers dans les établissements non civils, notamment ceux détenus par les milices pro-régime tel que les forces de défense nationale formées par l’Iran et le Hezbollah libanais, ou ceux à l’intérieur d’un archipel de services de sécurité tristement célèbres répartis sur Damas.

La sensibilisation internationale sur la question des prisonniers politiques en Syrie a connu une forte croissance depuis 2013, lorsque « César », un ancien photographe médico-légal de la police militaire de la Syrie, a fait défection et révélé plus de 50 000 photographies détaillant les crimes présumés contre l’humanité perpétrés par les agences de sécurité autour de Damas.

Prisonniers « à nouveau au premier plan » ?

Plusieurs hauts fonctionnaires ont identifié la question des prisonniers, et la possibilité de rejets mutuels, en tant que mesure de confiance clé dans les négociations futures – un moyen de « maintenir l’élan », selon les mots d’un haut responsable américain. En mars, le secrétaire d’État américain John Kerry et le président russe Vladimir Poutine ont souligné l’importance de cette question au cours de réunions à Moscou.

Pourtant, le processus politique de Genève et le Haut Comité des négociations de l’opposition (HCN) ont échoué à faire avancer la question au même niveau d’importance que l’accès humanitaire aux zones assiégées par le gouvernement ou que les trêves provisoires et souvent transitoires constatées dans différentes parties du pays.

Après un fléchissement des discussions en mars, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, a déclaré : « Comme vous le savez, il a été jusqu’à présent question de l’aide humanitaire et de la réduction des violences, mais concernant les détenus, nous n’avons rien obtenu en termes de résultats ».

Le 21 avril, de Mistura a annoncé son intention de nommer un expert chevronné pour se concentrer sur cette question. Certains espèrent que cette nomination permettra de progresser lorsque les négociations de Genève commenceront plus tard ce mois-ci.

Certains militants croient que cette nomination, s’ajoutant aux récents troubles à Hama, pourrait donner un élan bien nécessaire.

Bassam al-Ahmad, un militant pour les droits de l’homme et ancien porte-parole du Violations Documenting Center (VDC) qui a déjà été détenu à la prison d’Adra en Syrie, a accueilli avec prudence l’accord de Hama en raison de son effet potentiel sur les négociations.

« Quand nous [l’opposition] avons parlé de la question des détenus au cours des négociations, tous les discours disaient « C’est important, mais parlons d’abord de l’organe de transition. Parlons d’abord du gouvernement d’unité », a-t-il déclaré à MEE. « Mais maintenant, la question des prisonniers – en particulier Hama – est revenue au premier plan. »

Dans le même temps, Bassam al-Ahmad a ménagé les attentes, suggérant que l’accord pourrait refléter une « étape intelligente du régime ».

« Écoutez, on a un accord », a-t-il dit. « Peut-être que le régime va faire quelque chose de différent – il n’y a aucune garantie à cela – mais ils ont convenu de rétablir l’électricité et l’eau, la nourriture, et de libérer certaines personnes. C’est bien. »

Il a demandé un suivi international de l’accord, des Nations unies ou du Comité international de la Croix-Rouge, pour s’assurer qu’il tienne.

« En arabe, on dit ‘’Oublions le passé et parlons du présent et de l’avenir’’. C’est peut-être le message que le régime souhaite envoyer à la communauté internationale. »

Les yeux seront tournés vers Hama dans les prochains jours, alors que les spéculations se font grandissantes quant à savoir si le gouvernement syrien et les détenus de Hama respecteront l’accord.

Shalchi de HRW a déclaré mardi dernier que « la vie était revenue à la normale » dans la prison, bien que Darwish ait suggéré que les spéculations sur les lentes libérations de prisonniers ont alimenté les craintes qu’une « escalade » soit encore possible.

« Les tensions augmentent une fois de plus », a-t-il indiqué à MEE mardi dernier.

Dans le même temps, Darwish a prévenu que la question des prisonniers était « beaucoup plus importante que Hama ».

« À Hama, il y a environ 800 prisonniers politiques ou prisonniers d’opinion. Mais il y a des dizaines de milliers de détenus [en Syrie] », a-t-il dit. « C’est une question qui touche presque chaque famille syrienne. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation

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