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L’Aïd al-Adha en Nubie égyptienne

Après de années de migration forcée et de négligence gouvernementale, les Nubiens risquent de s’éteindre à tout jamais
Des villageois à la sortie de la mosquée, où ils viennent de réciter leur prière matinale à l’occasion de l’Aïd (MEE/Omer Khalid)

Les Nubiens étaient autrefois une communauté heureuse et forte, mais après des années de migration forcée et de négligence gouvernementale, ils sont aujourd’hui inquiets, risquant de s’éteindre sans laisser la moindre trace en Égypte.

En termes géographiques, la Nubie s’étend de l’extrême sud de l’Égypte au nord et au nord-ouest du Soudan. Le nom de Nubie a été utilisé pour la première fois à l’époque ptolémaïque, mais sa signification demeure un mystère. Les origines des Nubiens remontent aux peuples éthiopiens et yéménites qui ont traversé la mer Rouge.

Les Nubiens, qui ont adopté le christianisme à l’époque romaine, se sont convertis à l’islam sous les Abbassides, engageant alors des relations sociales avec les Arabes et les Égyptiens. Ces échanges ont permis l’ascension de nombreux dirigeants nubiens illustres à l’instar du Kanz ad-Dawla, qui fut à la tête d’une révolution contre le régime fatimide en Égypte.

Des Nubiens se relaxant quelques minutes avant le début des prières matinales de l’Aïd dans la mosquée blanche du village. Toutes les mosquées de la région sont peintes en blanc pour lutter contre la chaleur. Village d’Abo Hour, Nubie, Assouan (MEE/Omer K

La tragédie moderne des Nubiens a débuté il y a un demi-siècle, à l’époque du président Gamal Abdel Nasser, pendant la construction du haut barrage d’Assouan, qui a nécessité en 1964 l’évacuation de tous les villages nubiens. La triste description des événements et le ressenti des Nubiens lors de leurs derniers jours passés chez eux se retrouvent dans la quasi-totalité de leurs écrits.

Heissin Taha, Nubien aujourd’hui âgé de plus de 80 ans et qui fut concerné par la politique de migration forcée de Gamal Abdel Nasser, se souvient du jour où il a dû quitter son village en parcourant une série de photos en noir et blanc de leurs maisons. « Le soleil s’était levé ce jour-là, mais nous n’avons pas vu la lumière. C’était un jour sombre et silencieux, personne n’a crié ni même pleuré, jusqu’au moment où nous nous sommes tous retrouvés entassés dans le train avec nos affaires ; c’est alors que nous avons réalisé que nous ne rentrerions jamais chez nous ! »

On les a déplacés près d’Assouan, mais ils n’ont jamais reçu de remboursement ni de compensation pour ce qu’ils ont enduré. Il y a bien eu des promesses du temps de Nasser, mais elles n’ont rien donné.

Aujourd’hui, ils sont contraints à une migration d’une autre nature. Emam Soliman, Nubien de 19 ans habitant le village de Kalabsha, explique : « Ici, dans notre région, il n’y a aucun débouché, pas d’études supérieures après le lycée, et, pour la majorité des gens d’ici, cela coûterait vraiment cher d’envoyer quelqu’un dans une bonne université. De plus, on n’a aucune chance de trouver un emploi. On a le choix entre travailler à la ferme ou partir tenter sa chance au Caire. »

Trois jeunes Nubiennes quittent la mosquée du village après les prières de l’Aïd. Village d’Abo Hour, Nubie, Assouan. (MEE/Omer Khalid)

Les conséquences de ces mouvements migratoires sont très visibles, et dans les jours qui ont précédé l’Aïd, MEE n’a trouvé dans les villages visités en Nubie presque aucun homme âgé entre 15 et 50 ans. Tous les jeunes hommes travaillent maintenant au Caire, ou bien pour l’industrie touristique des gouvernorats voisins comme Assouan et Louxor. Les rues nubiennes sont vides, on y voit seulement de petits enfants qui courent et qui jouent, tandis que même les femmes quittent rarement leurs maisons, suivant la coutume locale.

Talal Hamd, Nubien d’environ 45 ans, se plaint de la négligence dont le gouvernement fait preuve à l’égard de sa communauté. « Ils ne veulent pas qu’on reproduise le schéma des Bédouins du Sinaï, qui sont devenus partiellement indépendants. Avant, on était une société forte et engagée. Alors ils ne nous offrent aucune perspective, dans le but de nous isoler les uns des autres et de nous diviser tout en nous maintenant dans une lutte perpétuelle pour subvenir à nos besoins fondamentaux. »

L’Aïd al-Adha représente l’une des rares occasions pour de nombreux Nubiens de retourner dans leur village et de se rassembler au moins quelques jours dans l’année. Cependant, ils ne sont pas tous en mesure de rentrer, à cause de leur travail ou de l’année scolaire qui est sur le point de commencer. Dans de telles conditions, la communauté nubienne court plus encore le risque de se fragmenter et de disparaître.

Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.

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