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Aïd : l’observation de la lune de nouveau sujette à débat cette année

Comme chaque année, le processus de décision du jour de l’Aïd al-Fitr et de la fin du Ramadan a suscité des débats animés parmi les musulmans, plusieurs pays annonçant même deux dates différentes pour la fête
Des Saoudiens regardent le ciel pour repérer le croissant de lune dans la ville de Taëf, dans le sud-ouest de l’Arabie saoudite (AFP)

Chaque année, le processus de décision du jour de l’Aïd al-Fitr suscite moult débats et discussions animés chez les musulmans, et 2023 n’a pas fait exception à la règle.

Plusieurs pays, comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et la Turquie, ont célébré l’Aïd vendredi. Mais d’autres, dont le Maroc, le Pakistan et Oman, l’ont fait samedi.

Ailleurs, en Libye, au Liban et en Irak, le premier jour de l’Aïd a été annoncé à la fois vendredi et samedi par différentes autorités.

Les musulmans suivent le calendrier lunaire, qui se compose de douze mois d’une durée comprise entre 29 et 30 jours. Cet écart signifie que, comme pour les autres mois, la fin du mois de jeûne du Ramadan dépend de l’observation d’une nouvelle lune.

Certains pays comptent sur des observateurs locaux pour repérer le nouveau croissant, tandis que d’autres laissent le soin à l’Arabie saoudite – qui abrite les sites les plus sacrés de l’islam – d’annoncer la date de l’Aïd.

Tard jeudi après-midi, les membres du comité d’observation de la lune d’Arabie saoudite sont sortis réaliser leurs observations de la lune, comme l’a documenté, parfois de manière dramatique, le compte Twitter The Holy Mosques.

Des « discussions tendues » entre les astronomes de la ville centrale saoudienne de Sudair ont notamment eu lieu, où des voix « dissidentes » et « certains désaccords » ont été entendus.

L’astronome koweïtien Adel al-Saadoun a pour sa part déclaré avec passion : « Il est impossible de voir le croissant ce soir... et je défie quiconque le voit de le photographier pour en apporter la preuve. »

Malgré cela, l’Aïd a été officiellement déclarée peu de temps après, lorsque la lune a été aperçue dans deux régions d’Arabie saoudite (sur treize).

L’observation saoudienne remise en question

Le débat ne s’est pas arrêté là : beaucoup dans le monde ont remis en question l’observation saoudienne.

Plusieurs utilisateurs et commentateurs des réseaux sociaux ont fait référence à l’analyse de la visibilité du croissant de lune, qui suggérait qu’il n’aurait pas dû être possible d’apercevoir la lune en Arabie saoudite.

Selon les projections publiées par le gouvernement britannique au début du mois, la lune n’aurait pas dû être visible (à l’œil nu ou avec des aides optiques) dans la grande majorité de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie et de l’Australie jeudi.

« Je ne me lasserai jamais de commenter le fait que les Saoudiens affirment avoir vu la nouvelle lune alors que c’est astronomiquement impossible », a tweeté l’analyste du Moyen-Orient Ahmed Gatnash.

Plus tôt la semaine dernière, le Centre astronomique international basé à Abou Dabi a semblé être d’accord avec ces projections.

« Apercevoir le croissant jeudi prochain n’est pas possible à l’œil nu de n’importe où dans les mondes arabe et islamique », a-t-il déclaré dans un communiqué.

« Voir le croissant jeudi n’est pas possible avec un télescope dans la plupart des pays arabes, à l’exception de certaines parties de l’Afrique de l’Ouest à partir de la Libye, et donc samedi sera très probablement le premier jour de l’Aïd al-Fitr. »

Le centre a ajouté qu’une telle observation ne serait possible qu’avec un télescope précis, un observateur professionnel et un climat exceptionnel – des conditions qui, selon lui, étaient peu probables dans le monde arabe cette année.

Guide de la façon dont les musulmans repèrent traditionnellement le nouveau croissant de lune (MEE Graphics)
Guide de la façon dont les musulmans repèrent traditionnellement le nouveau croissant de lune (MEE Graphics)

Mais bien sûr, il ne s’agissait là que de projections, et de nombreux pays musulmans ont bel et bien vu la nouvelle lune.

Outre l’Arabie saoudite, la lune a également été aperçue au Koweït, au Qatar, aux Émirats arabes unis et en Turquie.

De nombreux pays n’ont pas effectué d’observations officielles, mais ont célébré l’Aïd vendredi sur la base de l’annonce saoudienne.

Mais dans plusieurs autres pays, la lune n’a pas été aperçue, et donc l’Aïd a eu lieu samedi. Il s’agit notamment du Maroc, du Pakistan, de l’Inde (en dehors du Kerala, qui suit l’Arabie saoudite), de l’Australie, de l’Indonésie et du Japon.

Oman, notamment, qui a une frontière commune avec l’Arabie saoudite, n’a pas repéré la lune et a donc célébré la fête samedi.

Faisant écho au défi lancé par l’astronome koweïtien Adel al-Saadoun, de nombreux observateurs ont appelé les autorités saoudiennes à produire une image de la lune.

Bien qu’aucune image officielle n’ait été fournie, l’astronome saoudien Mulham al-Hindi a publié une image d’un contour extrêmement faible de la lune qui, selon lui, a été prise à l’aide d’une caméra infrarouge basée sur un dispositif à transfert de charges (CCD).

Plusieurs pays ont annoncé deux dates différentes pour l’Aïd cette année.

En Irak, le chef religieux chiite Ali al-Sistani a annoncé qu’elle aurait lieu samedi, tandis que l’Assemblée de la jurisprudence islamique irakienne a choisi vendredi.

De même au Liban, le grand mufti sunnite a déclaré que la fête aurait lieu vendredi, alors que le Conseil suprême islamique chiite l’a annoncée pour samedi.

Les différences entre autorités religieuses découlent souvent de la jurisprudence islamique et des débats sur la question de savoir si les observations de la lune doivent être basées sur des calculs, réalisées à l’œil nu ou à l’aide d’appareils optiques.

En Libye, deux Aïds différentes ont été annoncées, mais pour des raisons qui semblent être davantage d’ordre politique que religieux.

Les régions sous le contrôle du gouvernement basé à Tripoli ont essentiellement célébré l’Aïd samedi, tandis que dans l’est du pays, dirigé par un Parlement rival, la fête a commencé samedi.

« Couper le cordon ombilical saoudien »

Un débat a fait rage au Royaume-Uni pour savoir si les musulmans du pays devaient continuer à suivre les annonces de l’Arabie saoudite.

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« De plus en plus de musulmans en Grande-Bretagne coupent maintenant le cordon ombilical saoudien. Nous avons des dizaines de groupes communautaires locaux parfaitement compétents qui observent la lune au Royaume-Uni chaque mois », a déclaré l’universitaire Yahya Birt.

« Pourquoi ne pas simplement les écouter ? Ainsi, les familles et les communautés pourraient célébrer ensemble l’Aïd 2023. »

La New Crescent Society, un groupe qui vise à faire revivre la tradition islamique de l’observation de la lune au Royaume-Uni, a déclaré que l’Aïd devrait avoir lieu samedi car la lune n’avait été repérée nulle part sur les îles britanniques. Mais la grande majorité des musulmans ont quand même célébré l’Aïd vendredi.

Les érudits religieux d’Arabie saoudite ont constamment exhorté les autres pays à ne pas suivre son exemple, mais à effectuer leurs propres observations.

Une école de pensée islamique suggère que s’ils sont incapables d’effectuer des observations de la lune dans leur propre pays, les fidèles devraient suivre celle du pays à majorité musulmane le plus proche. Au Royaume-Uni, ce serait le Maroc, qui cette année a organisé l’Aïd samedi.

« Si l’Arabie dit que l’Aïd est vendredi, je suis le Maroc [parce que] je n’ai pas de tenue pour l’Aïd », a plaisanté un utilisateur des réseaux sociaux.

Traduit de l’anglais (original).

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