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Mosquées de fortune et iftar dans les camps : le Ramadan des réfugiés de Calais et Dunkerque

Des demandeurs d’asile venus du monde entier prient et jeûnent ensemble dans les camps du nord de la France, avant de tenter de rejoindre le Royaume-Uni à bord de petites embarcations
Des hommes prient dans la mosquée de fortune construite dans le camp de Grande-Synthe, dans la forêt en périphérie de Dunkerque (MEE/Marta Maroto)
Par Marta Maroto à CALAIS, France

L’adhan, l’appel musulman à la prière, retentit sur des dizaines de téléphones portables dans des tentes éparpillées le long de la forêt. 

Pendant quelques minutes, la vie s’arrête dans le camp de migrants de Grande-Synthe, en périphérie de la ville côtière française de Dunkerque, qui donne sur le détroit du pas de Calais. 

Des hommes en manteau épais interrompent leurs occupations quotidiennes pour aller prier à la « mosquée de Dunkerque ».

Ce lieu de culte de fortune est une tente de couleur ocre soutenue par de fragiles poteaux, où des tapis de sol recouvrent un terrain sablonneux et rugueux. 

À l’entrée, un grand pichet d’eau potable offerte par des organisations humanitaires sert aux ablutions.

Pendant les mois d’hiver, les campements de Calais et de Dunkerque accueillent près d’un millier de migrants et de demandeurs d’asile venus du monde entier qui tentent de rallier le Royaume-Uni, dont de nombreux musulmans qui font le Ramadan.

La précarité des conditions de vie et la peur constante de l’expulsion s’intensifient pour les habitants des camps qui s’abstiennent de manger et de boire pendant de longues heures au cours du mois sacré des musulmans.

« Personne n’a envie de passer le Ramadan loin de chez soi. Mais je ne pense pas que nous aurions pu imaginer que nous aurions à le faire dans un tel endroit », confie Jan, originaire d’Afghanistan, à Middle East Eye.

« Personne n’a envie de passer le Ramadan loin de chez soi. Mais je ne pense pas que nous aurions pu imaginer que nous aurions à le faire dans un tel endroit »

– Jan, réfugié afghan

Après avoir fui Kaboul, la capitale afghane, Jan vit aujourd’hui un Ramadan calme et méditatif dans la forêt près de Grande-Synthe. Il explique que le temps froid en Europe lui permet d’économiser de l’énergie pendant le jeûne. 

Jan montre fièrement sa cuisine de fortune : des palettes et des morceaux de bois font office de sièges et de table, tandis qu’une marmite usée sur de vieilles braises lui sert à se chauffer pendant la journée et à préparer le repas de rupture du jeûne, l’iftar, au coucher du soleil. 

Après l’iftar, lorsque les dernières flammes se sont éteintes, l’activité du camp laisse place à un groupe de marcheurs presque furtifs, quasi silencieux. 

Portant tous leurs effets personnels sur le dos, les migrants se dirigent vers la côte lorsque la mer est calme pour embarquer sur de frêles embarcations en plastique, dans le but de traverser la voie navigable commerciale la plus fréquentée au monde. 

Des traversées de la Manche pendant le Ramadan

À son point le plus étroit, la Manche s’étend sur seulement 33 kilomètres. Les falaises blanches de la ville britannique de Douvres sont visibles depuis les plages du nord de la France lorsque le ciel est dégagé. 

La frontière naturelle a connu une forte augmentation des arrivées au cours des deux dernières années : 45 700 passages vers le Royaume-Uni ont été enregistrés en 2022, soit bien plus que les 28 400 recensés en 2021, un chiffre qui avait déjà triplé par rapport à l’année précédente. 

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Cette augmentation est en partie due à la fermeture des voies légales d’entrée en Grande-Bretagne pour les demandes d’asile. Elle est également liée à la progressive hermétisation sécuritaire de la frontière du côté français après la pandémie de covid-19 et au renforcement des contrôles des camions empruntant le tunnel sous la Manche.

L’intensification de la surveillance à la frontière « oblige les petites embarcations à partir de plus loin sur la côte, ce qui augmente le risque de naufrage », prévient Francesca Morassut, coordinatrice d’Utopia 56, une association française qui vient en aide aux réfugiés et aux personnes déplacées. 

Le mois dernier, la France et le Royaume-Uni ont signé un nouvel accord afin de sévir contre les traversées de la Manche. Le gouvernement britannique s’est engagé à verser 541 millions d’euros dans le but de renforcer les mesures de sécurité prises par la France à la frontière. 

Néanmoins, après un si long voyage qui les a menés jusqu’au nord de la France, les réfugiés martèlent que rien ne pourra les empêcher de tenter d’atteindre le Royaume-Uni, où ils disposent de liens familiaux ou espèrent obtenir des papiers et un emploi. 

Ahmed, un Soudanais de 17 ans, hausse les épaules et reconnaît qu’il ne suit pas l’actualité. Il a essayé à sept reprises de monter à bord d’une de ces petites embarcations.

« Parfois, nous avons été interpellés par la police. D’autres fois, le plastique ou le moteur n’a pas tenu et nous avons dû faire demi-tour », raconte-t-il à Middle East Eye.

Un drapeau français flotte à la lisière du campement informel appelé « Old Lidl », à la périphérie de Calais (MEE/Marta Maroto)
Un drapeau français flotte à la lisière du campement informel appelé « Old Lidl », à la périphérie de Calais (MEE/Marta Maroto)

Ahmed vit depuis dix mois sur une esplanade à la périphérie de Calais, un site connu sous le nom d’« Old Lidl ». 

Dans une vidéo publiée sur TikTok, il décrit joyeusement pour ses proches restés au Darfour comment les coutumes du mois sacré sont suivies dans ces camps de réfugiés boueux. 

Certains habitants du camp choisissent de ne pas jeûner pendant le Ramadan, en prévision de trajets périlleux

« Ces dernières années, nous avons constaté que moins de personnes jeûnaient, mais nous ne pouvons pas expliquer cette tendance », explique Claire Millot, coordinatrice de Salam, une association présente sur le terrain depuis 2002.

Hammu (20 ans), qui attend l’appel des passeurs pour tenter de rallier le Royaume-Uni, comprend cette décision.  

« Certains essaient de se faufiler dans les camions tous les jours », explique-t-il à MEE. « Il est compréhensible qu’ils ne jeûnent pas, parce qu’en courant avec l’estomac vide, ils pourraient subir une chute mortelle.

« S’il y a quelque chose de positif dans le fait de passer le Ramadan loin de chez soi, loin de sa famille et sous une tente, c’est que l’on partage l’iftar avec de nouveaux amis et que l’on apprend à connaître d’autres cultures », ajoute-t-il. 

Des expulsions régulières

Hammu et les autres habitants des camps sont confrontés à la menace persistante des expulsions régulières.

Tous les deux jours, la police française effectue des descentes sur les sites et saisit des effets personnels, des provisions et des tentes, repoussant encore un peu plus les camps dans la forêt.

Périodiquement, la gendarmerie force les migrants à monter dans des bus et les transporte vers des centres d’accueil situés dans d’autres régions. Ces opérations ont pour but de disperser les camps et d’empêcher la formation de vastes campements. 

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Cette politique fait suite au traumatisme de la « jungle de Calais », qui accueillait en 2016 jusqu’à 10 000 personnes, dont 1 200 mineurs non accompagnés.

L’ONU a salué la fermeture de la jungle il y a sept ans, décrivant des conditions « épouvantables ».

Aujourd’hui, dans les petits camps disséminés autour de Calais, les conditions de vie ne sont pas tout à fait différentes. 

Afash, un Yéménite de 25 ans, affuble toujours l’endroit où il vit du nom de « jungle ». 

« Mon pays est en guerre, mais l’Europe ne comprend pas le Yémen », affirme-t-il à MEE, expliquant qu’il s’est vu refuser l’asile en Allemagne après un an d’attente. 

Afash dort sous un pont près de la mairie de Calais, où de gros rochers ont été placés pour empêcher la prolifération de tentes.

Chef cuisinier lorsqu’il vivait au Yémen, il profite de ce Ramadan pour essayer de reproduire les saveurs du kebsa, un plat arabe traditionnel à base de riz épicé et de poulet. Il prépare également de grands bols de soupe pour ses amis. 

Éprouvant des difficultés à se fournir en ingrédients spécifiques, les réfugiés des camps utilisent le peu d’argent qu’ils peuvent rassembler ainsi que les dons des associations. Les bouteilles en plastique livrées par les organisations humanitaires sont découpées et transformées en récipients pour stocker les épices, mélanger le riz ou servir la nourriture. 

« Mon pays est en guerre, mais l’Europe ne comprend pas le Yémen » 

– Afash, réfugié yéménite

Malgré la distance, Afash téléphone à sa mère tous les jours. 

« À chaque fois, ma mère me demande si je jeûne, si je mange bien. Elle me rappelle de ne pas sortir avec des filles ou de ne pas boire d’alcool », confie-t-il en souriant. 

« Comme toutes les mères, elle a peur de ce qui pourrait arriver à son fils. » 

Pendant ce temps, le soleil se couche à Grande-Synthe, où la mosquée de fortune résiste aux vents violents. 

L’inaccessibilité du site, dans la forêt en périphérie de Dunkerque, rend les descentes de police moins fréquentes qu’à Calais, non loin de là. 

Fawaz, un Syrien de 28 ans qui a un oncle qui l’attend en Grande-Bretagne, explique qu’après trois mois passés dans le camp de Grande-Synthe, il pourrait s’agir de son dernier repas du soir en France. 

Il espère que demain, il pourra célébrer le Ramadan au Royaume-Uni, où il prévoit de reconstruire sa vie, comme des milliers d’autres réfugiés présents dans le nord de la France.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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