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Ceux qui aident les réfugiés ne sont ni des trafiquants, ni des terroristes. Cessez de les prendre pour cible

À travers le monde, les actes d’humanité terminent devant les tribunaux, dans la violence et par la calomnie de ceux qui défendent les droits des migrants. En tant que rapporteuse spéciale de l’ONU, je veux que les gouvernements les protègent
Des réfugiées soudanaises qui ont fui les affrontements en Libye dans une école de Tripoli, en avril 2019 (AFP)
Des réfugiées soudanaises qui ont fui les affrontements en Libye dans une école de Tripoli, en avril 2019 (AFP)

Il fut une époque où faire preuve de bonté envers les autres était vu comme une bonne chose. Aujourd’hui, à travers le monde, je vois des personnes attaquées et prises pour cible pour avoir aidé des gens dans le besoin, pour avoir apporté de la nourriture, de l’eau et des médicaments à ceux qui ont froid dans des forêts ou sont déshydratés dans des déserts. 

J’ai entendu des gens dans beaucoup de pays pris pour cible pour leur travail consistant à venir en aide aux migrants. Certains en Libye m’ont raconté comment ils ont été attaqués et torturés pour avoir essayé d’aider les autres, empêchés par le gouvernement de rendre visite aux migrants détenus, maltraités dans des centres de détention, et menacés par des gangs pratiquant la traite des êtres humains. 

Je dis aux gouvernements qu’ils doivent cesser de harceler et de poursuivre ceux qui aident les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile

À travers le monde, des actes d’humanité se terminent devant les tribunaux, dans des affaires portées contre des personnes dont la conscience dicte qu’il n’est pas normal de laisser des enfants et des familles souffrir et mourir dans des conditions désespérées. 

Ces personnes sont des défenseurs des droits de l’homme, qui soutiennent pacifiquement les droits des autres. En tant que rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, j’ai été mandatée pour conseiller les États membres de l’ONU sur la façon de mieux les protéger, comme ces pays l’ont promis. 

Je présente mon dernier rapport à l’Assemblée générale de l’ONU cette semaine. Intitulé « Refuser de renoncer », il expose en détail des exemples d’individus, sur chaque continent, qui refusent d’ignorer ce qui arrive, parfois sur leur seuil, aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Mais il montre également comment, lorsque ces individus apportent leur aide, ils risquent d’être poursuivis, voire emprisonnés, pour cela. 

Importants risques personnels

Je dis aux gouvernements qu’ils doivent cesser de harceler et de poursuivre ceux qui aident les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. Certains de ces défenseurs sont des avocats qui fournissent des conseils juridiques aux demandeurs d’asile ; d’autres sont des médecins qui leur fournissent des médicaments ; d’autres encore sont ceux qui distribuent de la soupe aux gens qui ont faim et qu’ils voient au bout de leur jardin. 

Zehida Bihorac est institutrice en Bosnie-Herzégovine. Depuis 2018, elle fournit une aide humanitaire aux réfugiés et aux migrants aux alentours de Velika Kladuša, sa ville natale, située près de la frontière croate. En juin et juillet 2020, alors qu’elle était au volant d’une voiture, non loin de la frontière, la police l’aurait suivie et arrêtée, l’aurait filmée en pleine visite d’un camp de réfugiés, l’aurait accusée d’aide illégale à l’immigration et l’aurait menacée de l’arrêter. 

Puis, les attaques dont elle est la cible sur internet se sont intensifiées. Un groupe Facebook a diffusé des rumeurs à caractère sexuel, l’a accusée d’être une femme « immorale » inapte à travailler avec des enfants, en plus de décrire avec force détails la manière dont les réfugiés et ceux qui les aident devraient être tués.  

Des migrants dans un camp improvisé dans la ville frontalière de Velika Kladuša, en Bosnie-Herzégovine, le 15 octobre 2021 (AFP)
Des migrants dans un camp improvisé dans la ville frontalière de Velika Kladuša, en Bosnie-Herzégovine, le 15 octobre 2021 (AFP)

Lorsqu’elle a déposé plainte contre les auteurs de ces propos au commissariat de police local, aucune action n’a été entreprise et on lui a dit qu’elle pouvait déjà s’estimer heureuse que les policiers l’aient écoutée. 

Les conséquences auxquelles Zehida Bihorac doit faire face pour son choix sont typiques des situations que connaissent un grand nombre de défenseurs des droits de l’homme qui travaillent sur ces questions. Beaucoup prennent d’importants risques personnels et sont accusés d’être des passeurs, des agents étrangers, des trafiquants ou des terroristes. Ils subissent les attaques des autorités gouvernementales, d’extrémistes violents et d’organisations criminelles. 

J’ai entendu parler de défenseurs engagés sur ces questions qui ont été incarcérés, diffamés, expulsés, enlevés et agressés physiquement. Beaucoup sont contraints d’accomplir ces actes de bonté en secret, et certains ont été tués pour leur travail. 

Actes de solidarité

Malgré cela, les défenseurs des droits de l’homme continuent d’apporter assistance juridique et aide médicale et humanitaire d’urgence aux personnes qui en ont un besoin vital. J’ai entendu de nombreuses personnes du monde entier vivant près de frontières maritimes ou terrestres, qui ont décidé de défendre les droits d’autrui au mépris du danger pour elles-mêmes. Ces personnes doivent être applaudies et non vilipendées pour leur travail. 

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Les migrants qui viennent en aide à d’autres migrants courent davantage de risques. Certains mettent en péril leur propre statut juridique dans le pays d’accueil en aidant les autres, et sont particulièrement vulnérables aux attaques. Ils doivent faire l’objet d’une attention particulière en raison du travail qu’ils font. 

Point positif dans tout cela, certains tribunaux classent les affaires portées par les autorités contre certains défenseurs des droits de l’homme qui effectuent ce travail. Des défenseurs des droits de l’homme ont été acquittés en France, en Allemagne, en Pologne et aux États-Unis. En Italie, une affaire a été classée cette année contre des défenseurs des droits de l’homme qui étaient venus en aide à des migrants parce que le juge a décidé « l’inexistence du crime ». 

Mais celles et ceux qui agissent en solidarité avec d’autres ne devraient pas avoir à compter sur des tribunaux pour les protéger – et même pour les défenseurs qui sont finalement disculpés, ces affaires devant les tribunaux peuvent être longues, stressantes et chères. 

Les gouvernements doivent arrêter de sanctionner les personnes qui protègent pacifiquement les droits d’autrui, cesser de prendre pour cible les individus qui donnent de la nourriture à ceux qui ont faim ou des médicaments aux malades, et cesser de poursuivre les gens pour des actes élémentaires de gentillesse et de décence.  

- Mary Lawlor (Irlande) est la rapporteuse spéciale sur les défenseurs des droits de l’homme de l’ONU. Elle est la fondatrice de Front Line Defenders. Elle est également professeure adjointe de commerce et de droits de l’homme au Trinity College de Dublin.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mary Lawlor (Ireland) is the UN Special Rapporteur on the situation of human rights defenders. She was the founder of Front Line Defenders. She is also an Adjunct Professor of Business and Human Rights in Trinity College Dublin.
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