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Pourquoi il est dangereux d’oublier les réfugiés syriens

La réduction de l’aide et la diversion créée par la guerre en Ukraine aggravent les conditions de vie des 6,6 millions de réfugiés syriens
Des enfants syriens déplacés transportent des boîtes de nourriture distribuées par une organisation caritative locale avant l’iftar pendant le mois du Ramadan, dans un camp de déplacés de la province d’Idleb, le 3 avril 2022 (AFP)
Des enfants syriens déplacés transportent des boîtes de nourriture distribuées par une organisation caritative locale avant l’iftar pendant le mois du Ramadan, dans un camp de déplacés de la province d’Idleb, le 3 avril 2022 (AFP)

Les réfugiés de Syrie pourraient tomber dans l’oubli. La plupart des gouvernements occidentaux ont ouvert les bras aux 5,3 millions de réfugiés fuyant l’Ukraine, leur apportant un toit et un soutien pendant le conflit.

Pourtant, alors qu’ils étaient encore plus nombreux à fuir la guerre en Syrie dix ans plus tôt, la plupart des gouvernements étrangers se sont montrés moins accueillants.

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À la place, de nombreux réfugiés syriens sont confrontés à l’incertitude : marginalisés dans leurs sociétés d’accueil, ils sont toujours terrifiés à l’idée de retourner en Syrie. Et alors que les gouvernements occidentaux réduisent leur soutien financier, leurs perspectives pourraient bientôt s’assombrir davantage.

Les chiffres concernant les réfugiés syriens sont saisissants. Sur une population d’environ 23 millions d’habitants avant la guerre, plus de la moitié ont dû fuir de chez eux.

Plus de six millions et demi de personnes ont quitté la Syrie. La majorité (5,6 millions) se sont réfugiés dans des pays proches de la Syrie.

Une majorité d’entre eux (3,6 millions) se trouvent en Turquie, tandis qu’1,5 million de réfugiés vivent au Liban – augmentant ainsi la population du pays de près de 40 %. La Jordanie accueille également 660 000 réfugiés.

Peu de chances qu’ils puissent rentrer chez eux

Contrairement à ce que laisse entendre le mythe populaire, seule une personne sur vingt vit dans un camp de réfugiés. Mais nombreux sont ceux qui rencontrent des difficultés financières. Le HCR estime que plus d’un million de personnes n’ont que peu de ressources financières, voire pas du tout, tandis qu’au Liban, neuf réfugiés sur dix vivent dans une extrême pauvreté.

Il y a peu de chances que ces réfugiés puissent rentrer chez eux prochainement. La plupart ont fui le régime violent de Bachar al-Assad, qui a désormais repris le contrôle de la majeure partie de la Syrie, et craignent des représailles s’ils rentrent chez eux.

Il est à craindre que l’attention portée à l’Ukraine et la lassitude générale à l’égard de la Syrie et de ses réfugiés n’entraînent un déclin permanent du soutien

Même si la situation était plus favorable, les recherches montrent que les réfugiés mettent des années à rentrer chez eux et que beaucoup ne reviennent jamais.

Mais la situation dans les sociétés d’accueil se dégrade. Au Liban, les réfugiés n’ont pas d’accès officiel à l’économie du pays, tandis qu’en Jordanie, les emplois sont également limités.

La Turquie se révèle l’État d’accueil le plus conciliant : les réfugiés peuvent accéder au marché de l’emploi et à l’éducation, mais ces mesures ont provoqué une réaction sociale brutale et l’hostilité envers les réfugiés va croissant.

Et pourtant, les gouvernements occidentaux réduisent leur soutien. Le Royaume-Uni est l’un des pires coupables. Dans le cadre de l’engagement pris par le chancelier de l’Échiquier Rishi Sunak, qui entendait faire passer la part de l’aide internationale de 0,7 % à 0,5 % du PIB, le budget du bureau des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement pour la Syrie a été réduit de 67 %.

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Alors que l’année dernière, l’UE a pu mobiliser les donateurs internationaux pour combler les déficits de financement, il est à craindre que l’attention portée à l’Ukraine et la lassitude générale à l’égard de la Syrie et de ses réfugiés n’entraînent un déclin permanent du soutien.

Des arguments moraux s’opposent à une telle négligence, d’autant plus que bon nombre des gouvernements qui retirent leurs fonds, tels que le Royaume-Uni, ont joué un rôle actif dans la guerre civile en Syrie.

Néanmoins, si cela ne peut convaincre les décideurs politiques de changer de cap, l’argument sécuritaire pourrait être plus efficace. 

Les recherches montrent que les réfugiés qui ne sont pas intégrés dans leur société d’accueil, comme c’est le cas des Syriens au Liban, en Jordanie et dans une certaine mesure en Turquie, sont plus susceptibles de prendre les armes et de déstabiliser leur pays d’accueil.

Une menace sécuritaire

L’histoire récente du Moyen-Orient en donne hélas plusieurs exemples. Des réfugiés palestiniens marginalisés ont rejoint le Fatah et d’autres groupes militants, contribuant ainsi à Septembre noir, la guerre civile qui a touché la Jordanie en 1970.

Les Palestiniens victimes du même type d’exclusion au Liban, dont les droits étaient encore plus restreints, ont rejoint des milices pour combattre dans la guerre civile libanaise de 1975 à 1990.

Ailleurs, les talibans ont recruté massivement des réfugiés afghans vivant au Pakistan, sur fond de mécontentement, ce qui a permis leur victoire militaire en 1996.

L’histoire nous montre que lorsque l’on refuse aux réfugiés un certain soutien pendant une période prolongée, il est plus probable que certains d’entre eux soient encouragés à prendre les armes

Il ne s’agit pas de suggérer qu’un quelconque réfugié syrien envisage actuellement de prendre les armes contre son gouvernement d’accueil, ni que ces gouvernements doivent les considérer comme des menaces potentielles pour leur sécurité.

Toutefois, l’histoire nous montre que lorsque l’on refuse aux réfugiés un certain soutien pendant une période prolongée, il est plus probable que certains d’entre eux soient encouragés à prendre les armes.

Dans le cas syrien, il y a la menace supplémentaire du djihadisme radical, qui pourrait trouver des recrues motivées au sein d’une génération qui grandit en exil et dans la pauvreté.

Pour éviter cela, l’idéal serait que les gouvernements déploient davantage d’efforts pour résoudre la crise syrienne et trouver un moyen pour les réfugiés de rentrer chez eux en toute sécurité. Cependant, la décennie écoulée nous a montré qu’aucun n’est prêt à engager les ressources économiques ou militaires nécessaires.

Des réfugiés syriens attendent de monter dans un bus à Istanbul pour se rendre à la frontière, le 28 février 2020 (AFP)
Des réfugiés syriens attendent de monter dans un bus à Istanbul pour se rendre à la frontière, le 28 février 2020 (AFP)

À la place, il faudrait peut-être reconnaître que de nombreux réfugiés syriens ne rentreront pas chez eux de sitôt et que les gouvernements qui les accueillent ont besoin d’un soutien accru.

Au minimum, il faudrait notamment inverser la courbe des récentes réductions de l’aide et veiller à ce que la question ukrainienne ne détourne pas l’attention de la crise des réfugiés syriens qui se poursuit encore aujourd’hui.

Mais il serait également judicieux que les gouvernements étrangers fassent de sérieux efforts pour aider les gouvernements hôtes à intégrer correctement leur population de réfugiés. Cela vaut particulièrement au Liban et en Jordanie, deux économies en difficulté et à peine capables de soutenir leur propre population.

Bien que les gouvernements occidentaux disposent des ressources nécessaires pour s’attaquer à ce problème, il est malheureusement peu probable qu’ils le fassent, compte tenu de leurs récentes priorités en matière d’aide et de leur focalisation sur l’Ukraine.

Les gouvernements les plus riches de la région, notamment l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis, feraient bien de revoir et de renforcer leur engagement envers les réfugiés.

Cet engagement ne serait peut-être pas aussi prestigieux que leurs autres projets de politique étrangère, mais il pourrait écarter une future menace sécuritaire tout en assurant une plus grande stabilité régionale.     

Christopher Phillips est maître de conférences en relations internationales à la Queen Mary University of London, dont il est également vice-doyen. Il est l’auteur de The Battle for Syria : International Rivalry in the New Middle East (Yale University Press), et coéditeur de What Next for Britain in the Middle East (IB Tauris).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Christopher Phillips is a professor of international relations at Queen Mary, University of London, where he is also a deputy dean. He is the author of The Battle for Syria, available from Yale University Press, and co-editor of What Next for Britain in the Middle East, available from IB Tauris.
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