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La crise sanitaire, un prétexte pour durcir l’enfermement des sans-papiers en France

Une nouvelle loi prévoit des peines de prison et une interdiction de retour sur le territoire pour les étrangers en situation irrégulière qui refusent un test PCR en prévision de leur éloignement. Les ONG de défense des migrants dénoncent le détournement du droit à la santé pour procéder à des expulsions
Le Centre de rétention administrative de Mesnil-Amelot, au nord de Paris, le 6 mai 2019 (AFP/Christophe Archambault)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

À Mesnil-Amelot, tout près de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, dans le nord-est de Paris, deux mondes se côtoient. Il y a un petit bourg de 1 000 habitants, cerclé de champs, et, derrière, un tas de grillages et de barbelés, le plus grand Centre de rétention administrative (CRA) pour étrangers en situation irrégulière en France, avec une capacité d’accueil de 150 personnes, multipliée parfois par deux.

Dans la nuit du 28 juillet 2021, une centaine de retenus ont déclenché une mutinerie dans ce centre de Mesnil-Amelot. Certains sont montés sur le toit de l’établissement, d’autres ont allumé un feu, alors que trois ont réussi à s’évader en escaladant les grilles.

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Aux sources de la révolte : un cercle infernal d’enfermement, en cours depuis plusieurs mois et qui vient d’être validé par le Conseil constitutionnel, dans le cadre de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire du COVID-19.

La nouvelle réglementation criminalise les migrants qui refusent « de se soumettre à des obligations sanitaires (dont des tests PCR), nécessaires à l’exécution d’office de la mesure (d’éloignement) dont ils font l’objet ».

Elle précise que ce refus relève du délit de soustraction à une mesure de reconduite à la frontière et sera inséré comme alinéa dans l’article L824-9 du Code sur l’entrée et le séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Enchaînement des séjours en rétention et en prison

Avant la promulgation de la loi sur la gestion de la crise sanitaire, l’administration française a déjà eu recours au CESEDA pour demander l’envoi de sans-papiers en prison. L’article L824-9 prévoit notamment des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et une interdiction d’entrée sur le territoire français de dix ans maximum.

Dans son rapport annuel sur la rétention publié le 9 juillet dernier, La Cimade, association de solidarité avec les migrants, rapporte le cas de trois Tunisiens condamnés à des peines de trois à six mois de prison et, pour certains, à une interdiction de territoire français pour avoir refusé de se soumettre à des tests PCR, en prévision de leur expulsion.

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« Les personnes qui refusent de s’exécuter sont placées en garde à vue à la fin des 90 jours de rétention [durée maximale d’enfermement]. Elles sont alors souvent condamnées à des peines de prison puis retrouvent les centres de rétention à la fin de leur incarcération », fait savoir Marion Beaufils, responsable de la rétention en Île-de-France de La Cimade, en indiquant que les concernés « sont à bout de souffle à force d’enchaîner les séjours dans les CRA ».

Dans un témoignage au site Infomigrants, Ahmed, un sans-papier, enfermé dans le CRA de Mesnil-Amelot, décrit son parcours comme une partie malheureuse de Monopoly avec un passage obligatoire en prison. « J’ai été condamné deux fois à la prison pour refus de test PCR. À chaque fois, j’y suis resté environ trois mois et demi, puis on m’a ramené au CRA », raconte-t-il.

Test PCR contre laisser-passer

Depuis la reprise des dessertes aériennes (interrompues à cause de la crise sanitaire), la France cherche à tout prix à accélérer le renvoi des sans-papiers dans leurs pays. Sauf que la plupart des États concernés demandent à ce que leurs ressortissants soient en possession de tests PCR négatifs, pour leur délivrer des laissez-passer.

« Sans ces tests, les services de l’immigration ne pouvaient pas procéder aux expulsions. D’où leur recours aux tribunaux pour vaincre la résistance des étrangers récalcitrants. Depuis septembre et octobre 2020, plusieurs poursuites pénales ont été engagées contre des occupants de CRA, dans une totale illégalité », explique à Middle East Eye Paul Chiron, responsable des actions juridiques en rétention à La Cimade.

« Des tribunaux ont alors considéré le refus de tests PCR comme un délit de soustraction à une mesure d’éloignement, dans une totale contradiction avec le code civil et la loi de bioéthique qui inscrit dans notre dispositif légal le principe du respect du corps humain et de son inviolabilité », développe-t-il.

À plusieurs reprises, l’ONG a alerté l’opinion publique sur la criminalisation des étrangers qui n’acceptent pas de se faire tester par les unités médicales des CRA, en prévision de leur éloignement du territoire français.

« [La mécanique de la] rétention-détention-rétention [conforte] la politique toujours plus répressive du gouvernement à l’égard des étrangers en situation irrégulière »

- Paul Chiron, La Cimade

« Ces condamnations manifestement illégales, puisque contraires au principe de consentement libre et éclairé aux soins, apparaissent également disproportionnées quant au but poursuivi », avait averti La Cimade en octobre 2020.

Avec d’autres organisations d’aide aux migrants, comme le Syndicat des avocats de France (SAF), l’ONG s’est par ailleurs engagée sur le plan juridique en aidant des migrants déjà condamnés par des tribunaux de première instance à faire appel.

« Le fait de violer le principe de consentement médical pour condamner les personnes étrangères qui refusent de subir un test PCR est une aberration », déplore Paul Chiron, en évoquant la mécanique de la « rétention-détention-rétention » qui conforte selon lui « la politique toujours plus répressive du gouvernement à l’égard des étrangers en situation irrégulière ».

Violation de la liberté des étrangers

En mai 2021, une visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), une autorité indépendante, dans le centre pénitentiaire de Toulouse-Seyesses, dans le sud de la France, révélait « un lien étroit entre les mesures d’incarcération et les mesures de rétention administrative dont la conjonction entraîne le sur-enfermement des étrangers, aggravé par la crise sanitaire ».

 Dans un communiqué publié le 29 juillet dernier, le CGLPL a dénoncé la décision de certains tribunaux d’envoyer des étrangers en prison pour avoir refusé des tests, estimant que « toute personne, quelle que soit sa situation, peut s’opposer à un acte médical » et que « l’exercice d’une liberté fondamentale ne saurait être qualifié de délit, ni faire l’objet de poursuites et d’emprisonnement ferme ».

Cette position est aussi celle de certaines cours d’appel comme à Douai, Nîmes et Rennes, qui ont refusé de confirmer les peines des personnes condamnées en première instance.

Rassemblement en faveur des migrants le 24 novembre 2020 sur la place de la République à Paris où la police a brutalement démantelé un camp de migrants mis en place pour protester contre des évacuations forcées (AFPAlain Jocard)
Rassemblement en faveur des migrants le 24 novembre 2020 place de la République à Paris où la police a démantelé un camp mis en place pour protester contre des évacuations forcées (AFP/Alain Jocard)

Mais avec la nouvelle réglementation sur la gestion de la crise sanitaire, les juges se trouvent complètement désarmés.

« Cette loi vient surmonter les résistances. Le législateur, donc le gouvernement, a voulu réparer ce qu’il savait illégal en créant une nouvelle infraction dans une loi censée protéger la santé publique. Ce qui est une aberration », indique à MEE Serge Slama, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes.

Selon lui, la criminalisation du refus des tests PCR par les étrangers en rétention dans les CRA constitue un grave précèdent.  

« Si, demain, la vaccination est rendue obligatoire par les pays d’origine des étrangers en rétention, la loi pourrait également s’appliquer et punir les personnes qui refuseraient de se faire vacciner », avertit Serge Slama.

À Mesnil-Amelot, les retenus ont choisi l’émeute pour résister. Il y a eu la mutinerie du 28 juillet, et toutes les autres survenues auparavant. En janvier dernier, 70 migrants ont mis le feu aux bâtiments pour s’insurger contre un choix cornélien : refuser de subir des tests au risque de se retrouver en prison ou les accepter et être expulsés.

Une loi qui ne protège pas les retenus contre le COVID

Depuis le début de la crise sanitaire, les migrants se révoltent également contre leurs conditions de détention.

Serge Slama ironise d’ailleurs sur les objectifs de la loi sur la gestion de la crise sanitaire, qui criminalise les étrangers en situation irrégulière au lieu de protéger leur santé.

« Il n’y a pas de dispositif national de santé pour les centres de rétention, où surviennent des clusters COVID de manière hebdomadaire. Les conditions sanitaires y sont déplorables, sans compter le fait que ces établissements sont conçus comme des prisons »

-  Serge Slama, professeur de droit public

« Il n’y a pas de dispositif national de santé pour les centres de rétention, où surviennent des clusters COVID de manière hebdomadaire. Les conditions sanitaires y sont déplorables, sans compter le fait que ces établissements sont conçus comme des prisons pour enfermer des personnes destinées à être expulsées », déplore l’enseignant.

Il observe en outre que peu d’étrangers sont renvoyés dans leurs pays depuis le début de la crise sanitaire. « C’est notamment le cas de ressortissants de nationalité algérienne retenus dans les CRA depuis mars 2020 et sans aucune perspective d’expulsion », précise-t-il.

Dans son rapport sur la rétention, La Cimade a déploré l’enfermement de 28 000 étrangers en 2020. À de nombreuses reprises, elle a demandé, tout comme le CGLPL, la fermeture provisoire des centres de rétention, compte tenu de la réduction des possibilités d’expulsion des occupants (moins 48,7 % en 2020) et du risque sanitaire qu’ils encourent à cause du coronavirus.

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Comme d’autres ONG de défense des migrants, La Cimade milite aussi depuis plusieurs années pour la promotion de mesures alternatives à l’enfermement, comme l’obligation de présentation régulière aux autorités, la libération conditionnelle ou le cautionnement.

Mais tous ces appels n’ont jamais abouti. En mars 2020, le Conseil d’État a refusé que les CRA soient fermés. Il a néanmoins demandé au gouvernement de ne plus maintenir dans ces centres les personnes dont le départ ne peut pas être organisé à brève échéance.

Pour échapper à l’enfermement, les étrangers, de leur côté, n’ont souvent qu’une seule option : la demande d’asile. Or ce droit est considéré comme « virtuel » par La Cimade, compte tenu du nombre élevé d’entraves (demande à effectuer dans un délai de cinq jours après l’arrivée dans un CRA, paiement des frais de traduction, etc.) mises en place pour empêcher les migrants d’y accéder.

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